Par Stéphane Alliès -Mediapart.fr
Etrange soirée à la Mutualité, pour le dénouement de l'imbroglio socialiste entamé samedi dernier. Entre la volonté presque forcée d'un précaire retour au calme et le sentiment diffus que le feuilleton de la conquête du leadership socialiste ne fait que commencer. Le conseil national extraordinaire du PS a donc entériné mardi soir la victoire de Martine Aubry lors du second tour de l'élection au poste de premier secrétaire. De 102 voix et non plus 42, selon les conclusions «sans consensus» de la commission de récolement, ainsi que l'a expliqué son président Daniel Vaillant.
Martine Aubry a donc été officiellement élue à la tête du parti socialiste. Dans une ambiance morose, chacun a décidé de laisser ses rancœurs au vestiaire. Ségolène Royal, qui a emprunté une porte dérobée à l'aller comme au retour, a laissé l'eurodéputé Vincent Peillon argumenter à la tribune leur souhait de procéder à un nouveau vote.
Prenant en exemple les congrès du passé, «où on a fermé les yeux sur nos mauvaises pratiques, car les résultats étaient nets, ou parce que les synthèses réconciliaient tout le monde», le virtuel n°2 de Royal a lancé: «Je ne suis pas sûr qu'en faisant ce que nous faisons aujourd'hui, nous réussissions la tâche historique que nous voulons tous accomplir». Et de lancer, froidement: «Notre proposition ne sera pas retenue, mais permettez qu'on la fasse! Sachez que quelque chose s'est transformé dans le parti. Et la force ne remplacera jamais le droit.»
Comme pour être sûr de ne pas voir naître un enthousiasme, Bertrand Delanoë a lui envoyé Jean Glavany apporter son soutien à Martine Aubry, afin qu'il parle d'unité, «avec (son) cœur de vieux militant avec 35 ans de parti». Dans la salle, on entend glousser: «Et après, il y a qui au programme? Jospin?» L'ancien ministre de Mitterrand a appelé au sang-froid: «Voulons-nous sauver ce parti ou l'achever? Ce vieux parti sans lequel beaucoup d'entre nous n'auraient pas été élus… Et il nous est d'ailleurs arrivé à beaucoup de devenir parlementaire pour beaucoup moins de cent voix».
Après que Benoît Hamon a tenu à rappeler que «ce vote crée des devoirs, ceux d'un changement profond et d'un PS ancré à gauche», la salle a voté (à main levée), sans grand entrain. Tout juste quelques protestations isolées («On vote comme ça, sans même débattre?!»), avant d'entériner le rapport de la commission des récolements. 159 voix pour, 76 contre, 2 abstention. Sans vague ni remous, et deux déclarations apaisantes face à la presse, à l'issue du conseil…
Le courant Royal divisé
Comme Mediapart le dévoilait lundi soir, les soutiens locaux de l'ancienne candidate à la présidentielle n'adhèrent que modérement à son obstination. Lors du vote d'approbation des résultats, les puissantes fédérations des Bouches-du-Rhône et de l'Hérault n'ont pas suivi les proches de Ségolène Royal, qu'ils soutiennent depuis septembre dernier. Un autre de ces "barons locaux", le maire de Lyon Gérard Collomb, était lui excusé pour cause de conseil municipal, que certains dans son entourage décrivent comme «tombant à pic». Collomb aurait marqué son désaccord avec «la stratégie jusqu'au-boutiste de Ségolène».
Du côté des Bouches-du-Rhône non plus, on ne goûte que moyennement la contestation des résultats par l'entourage de Royal. Et la menace de porter leurs récriminations devant les tribunaux ulcère Patrick Mennucci, l'un des hommes forts de la fédération: «Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur et se replier sur le terrain, là où les gens nous font confiance. Mais je n'irai pas devant un tribunal! Ça n'a jamais été ma position.»
Pourtant, l'hypothèse du recours à la justice a été confirmée mardi soir par les proches de Ségolène Royal, quand celle-ci ne l'évoqua pas une seconde lors de son intervention devant la presse, dans la foulée du mémoire en protestations [PDF], diffusé à la presse dans la journée.
À la sortie, Benoît Hamon, fan de rugby, pensait pourtant avoir placé un «beau cadrage débordement» préventif lors de son discours, quand il prévenait: «Nous n'avons pas un problème de démocratie, mais un problème de comportement. Et j'espère qu'on peut être responsable dans cette salle, sans être irresponsable à peine passée la porte». Il n'eut pas d'échos et le plaquage fut sec.
Ainsi, Manuel Valls a-t-il déclaré: «Ce qui s'est passé ce soir est un déni de justice, il y aura évidemment des tribunaux qui seront saisis». Tandis que Jean-Louis Bianco précisait, en se référant aux propos de Robert Badinter: «Il faut un vote dans les sections qui posent problème, sinon nous irons devant la justice». Seul Jean-Pierre Mignard exprimait une réserve: «Il n'y a aucune honte à aller en justice, mais convient-il de fragiliser ce parti davantage?»
Mercredi matin, Vincent Peillon rétropédalait sur la question judiciaire, tandis que Ségolène Royal postait une vidéo sur Désirs d'avenir dans la nuit, prenant date et indiquant son intention de porter sa dynamique hors le parti…
Ainsi que certains chez Royal l'ont exprimé, autant laisser Martine Aubry tenter de se dépatouiller dans l'édifice branlant du parti, jusqu'à des élections européennes d'ores et déjà bien mal engagées.
Quelle majorité autour d'Aubry?
La maire de Lille s'est donnée deux semaines pour «tendre la main à tous» et initier un «renouvellement profond» de la direction. Elle a programmé son premier conseil national pour le 6 décembre prochain. Elle s'exprimera mardi prochain devant le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, pour parler aux députés et leur dire qu'ils sont «au centre du dispositif de rénovation».
Dans le discours inaugurant son mandat, elle l'a joué sobre à la tribune de la Mutualité. Mais elle a suscité des interrogations quand elle déclara vouloir tenir compte de «la ligne choisie au congrès». «Quelle ligne?!», a-t-on entendu fuser du fond de la salle. En guise de réponse, Martine Aubry a prôné «un ancrage à gauche».
Elle a également parlé d'une équipe «où la parité sera respectée, et à l'image de nos territoires et de la société». Elle a enfin déclaré qu'elle allait «appeler Ségolène pour lui faire des propositions et entendre les siennes», quant à la nomination de proches dans la nouvelle direction.
La question de la majorité sur laquelle va s'appuyer la nouvelle patronne du parti est le nouvel objet d'incertitude socialiste. Lors de sa conférence de presse, elle s'est assise aux côtés de la députée Marylise Lebranchu, une proche, et de l'eurodéputé Harlem Désir, bras droit de Bertrand Delanoë. Selon nos informations, le poste (essentiellement protocolaire) de président du conseil national, actuellement occupé par Gérard Collomb, pourrait échoir au maire de Grenoble Michel Destot, strausskahnien ayant rallié tôt le maire de Paris.
On devrait assister à la mise en avant d'une nouvelle génération issue de l'entourage de Martine Aubry, comme le député de l'Essonne François Lamy (49 ans), le fabiusien Guillaume Bachelay (35 ans), le strausskahnien Christophe Borgel (44 ans, ancien animateur du syndicat étudiant Unef-Id), ou l'ancien président du MJS David Lebon (31 ans).
Le scénario d'une alliance avec Benoît Hamon pourrait aussi prendre corps. L'eurodéputé, troisième homme de l'élection éliminé au premier tour, explique à Mediapart qu'il est «tout prêt à participer. Mais on attend de voir ce qui va nous être proposé comme équipe. Si c'est pour faire une synthèse molle, on n'en sera pas. Et s'il faut intégrer des ségolénistes, tout dépend. Avec Aurélie Filipetti, il n'y a aucun problème. Pas avec Valls ou Peillon.»
À voir l'ambiance chaleureuse qui régnait dans le bar face à la "Mutu", on pouvait même se prendre à imaginer que les relations traditionnellement privilégiées entre une "grosse fédé" et une direction nationale pouraient ne pas se rompre. Par exemple en assistant à la poignée de main chaleureuse et riante entre Christophe Borgel, représentant d'Aubry à la commission de récolement -où le cas des Bouches-du-Rhône ne fut pas évoqué-, et Jean-Noël Guérini, le premier fédéral desdites Bouches-du-Rhône.
Sur le parvis de la salle parisienne, une vingtaine de militants pro-Royal ont manifesté aux cris de "Démocratie!", interpellant journalistes et cadres socialistes. Ils offrirent une sortie sous les huées à François Hollande, dont c'était le dernier jour de premier secrétaire.
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/stephane-allies
[2] http://www.mediapart.fr/journal/france/251108/vote-aubry-royal-enquete-a-lille-ou-les-accusations-de-fraudes-se-multiplient
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/211108/revivez-le-second-tour-socialiste-en-live-aubry-en-tete-de-42-voix
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/241108/finalement-aubry-gagne-le-vote-socialiste-pour-102-voix
[5] http://www.mediapart.fr/journal/france/010608/martine-aubry-sept-ans-de-refection
[6] http://www.mediapart.fr/journal/france/241108/finalement-aubry-gagne-le-vote-socialiste-pour-102-voix#comment-73679
[7] http://www.mediapart.fr/files/PROTESTATION ELECTORALE_251108.pdf
[8] http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5ia_fxLoKFQ4sEBRLpksJT9aOgs_w
[9] http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5gmi-dhfqjkiqiDBJDFq-WXL22RIA
[10] http://www.francois-lamy.org/
[11] http://www.lepoint.fr/actualites-politique/guillaume-bachelay-l-heritier-de-fabius/917/0/191915
[12] http://www.borgel.fr/
[13] http://davidlebon.net/
[14] http://benoithamon.fr/