Par Marine Turchi, Stéphane Alliès - Dimanche 12 juillet 2009 - Mediapart.fr
A Hénin-Beaumont, la confusion politique reprend ses droits, sitôt terminée l'accalmie républicaine anti-FN. Une semaine après l'élection de Daniel Duquenne (avec 52,3% des voix) à la mairie de la cité minière du Pas-de-Calais, la fédération socialiste ouvre la boîte à règlements de comptes. Le nouveau maire, jusqu'ici exclu du PS, devrait être réintégré, et la ville bruisse déjà du retour en grâce du chevènementiste Jean-Marie Alexandre, première personnalité à être venu féliciter le nouvel édile.
Car Jean-Marie Alexandre est considéré comme le «parrain politique» de Gérard Dallongeville, maire PS déchu et écroué, qu'il avait soutenu en 2008, au moment du retrait des délégations d'adjoints de Marie-Noëlle Lienemann et Pierre Ferrari, seuls socialistes à critiquer alors la gestion financière de la municipalité (relire notre enquête sur dix ans de faillites politiques à Hénin-Beaumont, en cliquant ici).
Last but not least, le maire emprisonné Dallongeville a rendu public depuis sa cellule un recours en annulation du scrutin contre son successeur. Un recours dont on retrouve la lettre manuscrite sur le blog de Steeve Briois, le candidat du FN.
Ce jeudi, Marie-Noëlle Lienemann a choisi de briser le silence chez nos confrères d'Arrêts sur images, dans l'émission «La ligne jaune» de Guy Birenbaum. Plus d'une heure durant, le réquisitoire contre la fédération PS du Pas-de-Calais est édifiant (voir la vidéo en cliquant ici). Dans le même temps, la fédération départementale du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) a été mise sous tutelle par la direction nationale (22 voix pour, 9 abstentions). Par «volonté de protéger le MJS local», explique-t-on au MJS. Car la plainte pour diffamation déposée lundi par Ferrari à l'encontre de Duquenne ne passe pas chez les barons.
Si aucune procédure d'exclusion n'est officiellement engagée, la première fédérale Catherine Génisson (proche de Martine Aubry) a estimé que Ferrari s'était «exclu de lui-même». Un propos qui a entraîné «l'auto-exclusion» du maire de Lens, Guy Delcourt (voir la vidéo en cliquant ici), seul soutien local au candidat investi tardivement par la première secrétaire et maire de Lille, contre l'avis de la fédération du Pas-de-Calais.
Si le «national» (MJS comme PS) souhaite calmer le jeu, c'est que tout le monde craint un embrasement judiciaire. Plusieurs de nos sources dans le Pas-de-Calais redoutent en effet que d'autres affaires liées au «système Dallongeville» n'éclatent au grand jour dans d'autres villes du bassin minier, accréditant alors la thèse d'un «système» bien plus global, d'un «système» fédéral.
En attendant, Mediapart a choisi de donner la parole à Pierre Ferrari, 27 ans, afin qu'il puisse livrer dans la longueur sa version des cinq dernières années de sa jeune vie politique, marquée au fer rouge par son combat avec Gérard Dallongeville, comme avec la fédération PS du Pas-de-Calais.
Quand et comment êtes-vous entré à la mairie d’Hénin-Beaumont, détenue par Gérard Dallongeville?
En 2004, je fais la connaissance du maire au travers de manifestations, on discute politique et communication, il a besoin d’un webmaster. Je lui fais part de ma formation (licence en communication), il me donne ma chance, j’ai 23 ans. Et ça marche bien parce qu’en 2006, on obtient les «trois arobases» pour le site, ce sera la seule récompense du mandat de Dallongeville. Pendant deux ans je garde cet emploi. Dans un premier temps, Dallongeville essaie de me contrôler, car lui n’a pas de lien avec la fédération mais moi je suis très indépendant, je ne veux pas mélanger le cadre politique et professionnel.
Quand vos relations avec Gérard Dallongeville se dégradent-elles?
Le jour où je deviens responsable du MJS à Hénin-Beaumont sans son accord, car lui est en froid avec le PS et voit d’un mauvais œil le fait que je prenne des responsabilités politiques. Je me suis toujours intéressé à la politique, alors quand j’ai l’opportunité de recréer un mouvement des jeunes socialistes dans le Pas-de-Calais et de prendre une section à Hénin-Beaumont, je fonce. Mais la véritable rupture, c'est en 2007, aux législatives: je m’engage pour Albert Facon, je mène sa campagne avec le MJS. Dallongeville est son pire ennemi, donc il me dégage de la communication.
«L'erreur du PS, c'est d'avoir réintégré Dallongeville en 2008»
Après cette rupture, vous cherchez à monter votre liste pour les municipales de 2008?
Oui, avec le PCF, le MRC, les Verts. Tout de suite, le PS réagit et me dit que je dois faire union avec Dallongeville. Pour me persuader, ils envoient Marie-Noëlle Lienemann fin 2007, elle essaye de recoller les morceaux entre la liste qu’on veut monter et Dallongeville. Après quelques semaines ici, elle n’est pas persuadée que partir avec Dallongeville soit l’idéal, mais la fédération le lui impose et elle parvient à fusionner les deux listes.
Dallongeville tente alors de vous rendre inéligible avec un emploi fictif. Comment?
Il signera auprès du DRH des attestations de service alors que je ne travaille plus en mairie d’Hénin-Beaumont, mais ailleurs (je suis devenu secrétaire national du MJS, vice-président du MJS du Pas-de-Calais, puis responsable national, à Solférino). Tout ça dans le but de me rendre inéligible pour les municipales de 2008: je suis responsable du MJS, je veux monter ma liste contre lui, donc il sait que tout cela lui sera utile. Comme je suis sur sa liste, il file le dossier au FN pour qu’il se charge de mon cas. Le FN n’attendait que ça et demande mon invalidation au tribunal administratif, qui l'invalide en première instance. Heureusement pour moi, la chambre régionale des comptes me blanchit complètement. J’ai alors porté plainte contre Dallongeville, et l’ai révélé publiquement.
En mars 2008, vous devenez son adjoint en charge de l'emploi et de la formation. A ce moment-là, êtes-vous au courant de ses malversations?
Non, je sais que politiquement il ne me fait aucun cadeau, qu’en termes de gestion il est loin d’être irréprochable (j’ai lu les rapports de la chambre régionale des comptes de 2004). Quelques mois plus tard, je commence à me dire qu'il y a de sacrés problèmes. En août, je dénonce sur France 3 Nord-Pas-de-Calais ses méthodes de gestion, il m’enlève ma délégation, puis ma fonction en septembre, donc je deviens conseiller municipal d’opposition. Je savais très bien qu’en prenant la parole, il allait me dégager, mais trop c’était trop. Trois mois avant on prenait l'engagement de ne pas augmenter les impôts, des engagements en termes de transparence et il ne les respecte pas. David Noël [adjoint communiste] dénonce cela aussi. Lui n’est pas viré car il a le soutien de sa fédération alors que moi le PS me lâche complètement, parce qu’il est en train de réintégrer Dallongeville.
Vous devenez donc le seul socialiste de l'opposition à Dallongeville, réintégré lui par le PS?
Je me retrouve seul dans l’opposition avec le FN et l’Alliance républicaine. A chaque conseil municipal, je dis les choses contre Dallongeville et toute la difficulté pour moi, c’est de taper sur lui sans employer l’argumentaire populiste du FN, sachant que je suis isolé. Peu avant que le scandale n'éclate sur Dallongeville, en avril, il y a eu le vote du budget. Marie-Noëlle Lienemann et moi avons expliqué au PS que ce n'était pas possible de suivre Dallongeville là-dessus, il nous a dit: «Dans ce cas là vous ne prenez pas part au vote.» Moi ça ne m’allait pas, j’ai voté contre, j'ai été convoqué en commission des conflits, c’est pour vous dire la mentalité du PS...
Pierre Ferrari évoque aussi la réintégration de Dallongeville par le PS, en mars 2008. «L’erreur du parti, c'est d’avoir rendu la carte à Dallongeville, alors que six mois après ça aurait été différent», affirme-t-il.
«La fédé du Pas-de-Calais m'a tout proposé»
Pourquoi réintégrer Dallongeville? Pour faire barrage au FN ou pour éviter que quelqu’un de plus libre ne sorte certaines affaires concernant la ville ou la région?
Vous avez la réponse aux dernières municipales. [...] Ils [la fédération] ont tout fait pour que je n’arrive pas deuxième car moi ils ne me tiennent pas. [...] Ils m’ont tout proposé.
Concrètement, que vous a proposé la fédération du Pas-de-Calais ?
Ils m’ont dit «si tu fais ce qu’on te dit, tu seras premier adjoint, premier vice-président de l’agglomération et tu auras une place éligible au conseil régional pour les prochaines régionales».
Et qu'en disait-on, à Solférino ?
Catherine Guénisson [première fédérale du Pas-de-Calais] déclare que le PS ne soutiendra personne dans cette élection. Martine Aurby, elle, ne l’entend pas de cette manière-là.
Il raconte:
Et ajoute: «Il faut souligner le courage de Martine Aubry car la fédé du Pas-de-Calais, c’est un Etat dans l’Etat, c’est un certain nombre de militants, ça pèse lourd. Elle prend le risque de soutenir un petit jeune [...] tandis que je n’aurai jamais le soutien de ma fédé qui préférera en coulisses soutenir Duquenne. Pour eux, c’est “tout sauf Ferrari”, c’est: “c’est pas un petit jeune qui va imposer à la fédé ce qu’il veut”.»
La fédération craignait le grand déballage...
Moi je n'aurais rien caché des saloperies que Dallongeville a pu faire, j’aurais tout mis sur la place publique pour repartir sur des bases saines. [...] Dans la fédé du Pas-de-Calais, soit on rentre dans le moule, soit ils nous mettent "out".
Pourquoi le candidat divers gauche Daniel Duquenne a-t-il refusé de fusionner avec votre liste?
J’ai toujours pris l’engagement qu’il n’y aurait pas de triangulaire et je l’ai appliqué tout de suite. Mais Duquenne et moi, on avait pris d’autres engagements, début juin, dans mon local : quoi qu’il arrive on fusionnait. On prend aussi l’engagement de ne pas sortir de tracts assassins les uns sur les autres, nous, notre ennemi, c’est le FN, après, que le meilleur gagne. Le problème, c’est que dès que le sondage de la Voix du Nord (qui me place en deuxième position, derrière le FN) sort, Daniel change complètement d'attitude.
Y a-t-il eu un deal entre la fédération et Daniel Duquenne?
Ça me paraît évident, à partir du moment où il a le soutien de [Jean-Marie] Alexandre [chevènementiste], qui est un proche de Percheron, que dans les sections ils appellent à voter Duquenne, que personne ne viendra me soutenir pendant la campagne, si ce n’est Guy Delcourt…
Vous portez plainte pour diffamation contre Daniel Duquenne. Qu'attaquez-vous exactement?
J'attaque deux tracts et des déclarations dans la presse locale, dans lesquels il dit que j’ai été complice du «système» de Dallongeville, il me traite de «Dallongeville bis», ce qu’il n’avait jamais dit avant. Dans les derniers jours de la campagne, ça a été très très sale.
Pourquoi porter plainte aujourd’hui alors que les Héninois n'ont plus confiance en la gauche et recherchent la sérénité?
Parce qu’on ne peut pas accepter de se laisser salir non plus, il y a un temps pour tout, là le temps est venu de rétablir la vérité. Moi je ne fais pas un recours en annulation contre Duquenne, je l'ai félicité pour son élection, mais il a dit des choses qui étaient fausses, il a sali mes colistiers, notre électorat était perdu.
Le MJS du Pas-de-Calais vient d'être mis sous tutelle. Comment jugez-vous cette décision?
Cette décision n'est motivée par rien qui ne tienne la route, si ce n’est que le MJS, c’est forcément Pierre Ferrari dans le Pas-de-Calais! Le PS du Pas-de-Calais a démontré qu’il n’avait définitivement rien compris à ce qui se passait à Hénin-Beaumont et ailleurs. Ils s’attaquent à un symbole fort, les jeunesses socialistes du Pas-de-Calais, qui sont autonomes, elles ont leur liberté de penser, et moi c’était mon principal atout. Ils souhaitent s’attaquer à Pierre Ferrari et je ne l’accepte pas, il ne faut pas mélanger les choses. Cela démontre que la fédération continue à sacrifier de nouvelles générations politiques. Mais on ira en commission d’arbitrage des conflits pour s’en expliquer.
[2] http://www.mediapart.fr/club/blog/stephane-allies
[3] http://www.mediapart.fr/journal/france/010709/henin-beaumont-corruption-clientelisme-bienvenue-chez-les-chtis-socialistes
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/060709/henin-beaumont-battu-de-500-voix-le-fn-refuse-la-defaite
[5] http://www.lavoixdunord.fr/Locales/Lens/actualite/Autour_de_Lens/Henin_et_Alentours/2009/07/09/article_j-m-alexandre-et-la-force-tranquille-de.shtml
[6] http://briois.ublog.com/weblog/2009/07/on-nous-écrit-de-la-prison-de-longuenesse.html
[7] http://www.arretsurimages.net/index.php
[8] http://marc.vasseur.over-blog.com/article-33666177.html
[9] http://www.nordeclair.fr/Actualite/Depeches/2009/07/05/henin-ferrari-fn-le-pen-briois-duquenne.shtml
[10] http://nord-pas-de-calais-picardie.france3.fr/info/nord-pas-de-calais/Guy-Delcourt-s'auto-exclut-du-PS-55999271.html
[11] http://www.mediapart.fr/journal/france/090709/dix-jours-henin-beaumont-ou-comment-raconter-une-drole-de-bataille-electorale
[12] http://www.mediapart.fr/journal/france/010709/une-semaine-de-campagne-henin-beaumont