Lundi 27 novembre, le porte-parole du département d'Etat américain, Sean McCormack, a reconnu qu'"il y a eu (...) un scrutin plutôt transparent, libre et juste". L'ambassadrice américaine à Quito, Linda Jewell, a quant à elle félicité M. Correa de son "apparente victoire", en appelant de ces voeux la poursuite de la coopération entre les deux pays.
Mardi matin, après dépouillement de 85 % des bulletins, Rafael Correa était en effet crédité de 59% des votes exprimés, contre 41% pour son rival, Alvaro Noboa. Ce magnat de la banane, candidat pour la 3ème fois, demandait un recompte vote par vote dans 2 provinces. La commission électorale devait rendre ses résultats définitifs dans la journée.
"Rafael Correa a su capter au 2nd tour le vote anti-Noboa. Nombre d'électeurs ne partagent pas son projet radical, mais ils abhorraient l'idée de voir l'homme le plus riche du pays prendre les rênes de leur destin", note le politologue Fernando Bustamante. Son collègue, Simon Pachano, se félicite de la très large victoire du futur président, "un gage de gouvernabilité dans un pays (où l'échiquier politique est) polarisé". Les 3 derniers chefs d'Etat élus de ce pays andin de 12 millions d'habitants ont été renversés.
Partisan d'une Assemblée constituante pour refonder les partis et les institutions - à commencer par le Congrès dont il appelle de ses voeux la dissolution -, Rafael Correa a choisi de ne pas présenter de candidats aux élections législatives du 15 octobre. Il devra donc affronter une féroce opposition : celle des parlementaires bien décidés à conserver leur poste.
Opposé à la dollarisation de l'économie adoptée en 2000, Rafael Correa a rappelé que "le réalisme" l'obligerait à conserver le dollar comme monnaie nationale. Mais ce docteur en économie est convaincu que l'Amérique latine "a payé cher vingt ans de néolibéralisme". Rafael Correa s'oppose à la signature du traité de libre commerce en négociation avec les Etats-Unis. Souhaitant donner la priorité aux dépenses sociales, il veut renégocier la dette extérieure du pays avec les organismes internationaux et n'exclut pas un moratoire unilatéral sur les remboursements.
Au soir de la victoire, il a redit vouloir réviser les contrats avec les multinationales pétrolières. Il espère aussi que l'Equateur - qui produit 543 000 barils de pétrole par jour - rejoindra l'OPEP. Le futur président a enfin confirmé que l'accord qui permet aux militaires américains d'utiliser la base aérienne de Manta - à la frontière de la Colombie - ne serait pas renouvelé en 2009.
Ce professeur de l'université huppée de Quito, dont il fut le doyen de la faculté d'économie, s'est converti, meeting après meeting, en véritable bête de scène. Sourire sans faille et enthousiasme communicatif, il propose "une révolution citoyenne" pour refonder les institutions. Et il promet de payer la dette sociale, en renégociant la dette extérieure et les contrats pétroliers.
D'aucuns voient émerger en lui le "Hugo Chavez équatorien". Une Indienne espiègle venue célébrer l'élection n'apprécie pas la comparaison : "Rafael est joli garçon, lui." Les dames présentes acquiescent.
Les 2 hommes se sont rencontrés l'année dernière, lors du bref passage de Rafael Correa à la tête du ministère de l'économie, entre avril et août. Ils se sont plu. "Avec un ministre comme Correa, la révolution bolivarienne serait depuis longtemps tirée d'affaire", a déclaré le chef de l'Etat vénézuélien, chantre de l'anti-impérialisme, à l'issue de l'entretien. Hommage paradoxal quand on sait que Rafael Correa a obtenu son doctorat en économétrie aux Etats-Unis, à l'université de l'Illinois Urbana-Champaign, après un détour par Louvain-la-Neuve, en Belgique.
Rafael Correa, en désaccord sur le remboursement de la dette extérieure, s'est drapé dans un souverainisme sourcilleux. Il préfère alors claquer la porte du gouvernement. Ses concitoyens apprécient. "Un ministre de l'économie charismatique et populaire, cela ne s'était jamais vu", rappelle Alberto Andrade, qui a participé avec lui aux rencontres hebdomadaires du Forum Equateur alternatif. Ce groupe de réflexion informel réunit économistes, universitaires et chefs d'entreprise depuis que le gouvernement a choisi, en 2000, de dollariser l'économie. "La presse me présente comme un outsider, en oubliant que ce groupe réfléchit depuis 7 ans aux problèmes du pays et aux solutions concrètes à leur apporter", insiste Rafael Correa.
Les conseillers compétents suffiront-ils à pallier l'absence de parti et d'expérience politiques du nouvel élu ? Les contradicteurs de M. Correa en doutent et dénoncent, déjà, les risques de dérive populiste. Le candidat cache mal son agacement. "Si, aux Etats-Unis, un homme politique parle justice sociale, c'est un démocrate. En Amérique latine, c'est un populiste."
De Belgique, Rafael Correa a rapporté une maîtrise en économie du développement, ainsi que son épouse, avec qui il a eu 3 enfants. Surpris par l'irruption imprévue de la politique dans leur vie, le couple s'est juré de préserver l'intimité familiale. Institutrice - que l'on dit douce et timide - à l'école française de Quito, où ses enfants poursuivent leur scolarité, Anne Malherbe fuit les caméras. Elle a fait savoir qu'en cas de victoire elle n'avait pas l'intention de jouer le rôle de première dame de la nation.
Issu d'une famille aisée et catholique, Rafael Correa a, lui, été élevé chez les salésiens. "Evidemment boy-scout" jusqu'à l'adolescence, il continue, longtemps après, de catéchiser dans les quartiers misérables de la grande ville de Guayaquil, logeant à l'occasion chez l'habitant. Après ses études, Rafael part pendant deux années travailler dans une mission des salésiens à Sumbahua (province de Cotopaxi). Il travaille alors sur des projets de développement rural pour les communautés indigènes. La vie dans les Andes à 4 000 m d'altitude est rude. Rafael apprend le quechua et "tout ce qui lui a vraiment été utile dans la vie". Lui, affirme en riant : "J'appartiens à l'aile dure des petites soeurs de la charité."
Selon son ami - non croyant - Marco Erazo, "l'engagement politique de Rafael Correa est indissociable de sa foi catholique. C'est parce qu'il croit en Dieu que la misère des hommes lui est intolérable". Cet ancien de Sciences Po Paris raconte que Rafael Correa connaît de mémoire les encycliques sociales de l'Eglise.
"L'humanisme est plus qu'une doctrine ou une attitude, chez Rafael", poursuit M. Erazo. Il raconte avec émotion la gentillesse au quotidien, faite de mille petites attentions, du politique novice que tous ses amis disent généreux. Pablo Davalos, qui fut son vice-ministre de l'économie pendant 4 mois, en convient : "Rafael est remarquablement honnête, sincère, brillant, travailleur." Mais, de l'ami, Pablo parle au passé. "Les quatre mois que nous avons passés au ministère ont transformé Rafael. Il est devenu hautain et irascible, de moins en moins enclin à écouter, de plus en plus jaloux de son image." Aujourd'hui, ils sont brouillés irrémédiablement, raconte l'ex-haut fonctionnaire, qui craint "l'effet dévastateur du pouvoir sur les hommes". Et de prophétiser : "Si Rafael devient président, son ego sera son pire ennemi."
L'arrogance teintée de sarcasme du personnage a desservi le candidat, qui, au premier tour, n'emportait que 23% des voix. "Je ne voterai pas pour ce type qui croit tout savoir et qui, à sa façon, se prend pour le Messie", expliquait Cecilia, fonctionnaire municipale. Mais, au deuxième tour, elle a voté Correa "sans hésitation", pour contrer Alvaro Noboa, le richissime roi de la banane qui, pour la troisième fois, tentait d'accéder à la présidence de son pays.
Marco Erazo en convient, Rafael Correa, qui est "encore très jeune et étale un peu trop diplômes et mérites". Mais, pour négocier face aux jeunes loups des multinationales, aux fonctionnaires méprisants des organismes financiers internationaux et aux envoyés de George W. Bush, "un peu de superbe ne fait pas de mal", considère Marco Erazo.
Ses amis comme ses ennemis le disent : à la tête de son pays, il devra faire preuve d'une force de caractère et d'un leadership à toute épreuve.
1963
Naissance à Guayaquil (Equateur).
1987
Passe deux années dans la mission des salésiens dans la province de Cotopaxi.
1991
Passe un master d'économie à l'Université catholique de Louvain.
2001
Docteur en économie de l'université de l'Illinois Urbana-Champaign.
2005
Ministre de l'économie et des finances en avril, il démissionne en août.
2006
Il est élu à la présidence de la République.