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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

29 juillet 2021 4 29 /07 /juillet /2021 11:00

J'ai répondu, comme représentant du syndicat CGT des collaboratrices et collaborateurs parlementaires, hier midi à Florent Le Du, journaliste à L'Humanité, sur l'état de la situation après qu'aient été révélées plusieurs affaires de harcèlement moral au travail mettant en cause plusieurs sénatrices en poste. Je vous reproduis ci-dessous cet entretien publié ce matin 29 juillet 2021 dans l'édition papier du quotidien et sorti hier soir en ligne.

Frédéric FARAVEL

Afin d'améliorer la protection des assistants victimes de harcèlement moral, la CGT appelle à témoigner anonymement. Entretien.

Au début du mois, la sénatrice écologiste Esther Benbassa a été accusée par huit anciens collaborateurs de harcèlement moral, manifesté par des fortes pressions, des chantages et des humiliations. Des révélations qui ont rappelé le calvaire que vivent de nombreux assistants d'élus, alors que les parlementaires Frédérique Espagnac (PS) et Joëlle Garriaud-Maylam (LR) font aussi l'objet d'accusations. Pour faire bouger les lignes et rendre compte de cette réalité, la CGT collaborateurs parlementaires a lancé un appel à témoignages.

Vous avez lancé la semaine dernière un appel à témoignages de victimes de harcèlements moraux à destination des collaborateurs parlementaires du Sénat. L'objectif est d'ainsi libérer la parole ?

Il est nécessaire de trouver un moyen de briser l'omerta, d'avoir un espace pour que les collaborateurs puissent s'exprimer, raconter les abus dont ils ont été ou sont encore victimes. Cela doit nous permettre de mesurer l'ampleur du phénomène. Nous ne pensons pas que ce soit massif, mais on ne peut pas non plus en rester au discours qui consiste à dire qu'il s'agit de cas isolés ou d'accidents. Il faudra envisager une forme de publication des témoignages recueillis afin de rendre compte auprès du grand public et des responsables politiques de cette réalité. Cette première démarche, faite de manière anonyme, pourra aussi convaincre certaines victimes de sauter le pas et d'engager une procédure avec notre soutien.

Espérez-vous que ces témoignages permettent à terme une meilleure protection ?

Une meilleure prise en compte des cas de harcèlement moral au Sénat doit notamment permettre de faire avancer la cellule de prévention du harcèlement de la Chambre haute. Celle-ci nous a reproché de nuire à son travail [il y a eu ici une confusion de la part du journaliste : ce n'est pas la cellule, mais la présidente de l'Association de Gestion des Assistants de Sénateurs (la vice présidente du Sénat et sénatrice RDSE de Gironde ex UDI, Mme Nathalie Delattre) qui a fait ce reproche à la CGT-CP lors de la réunion de l'instance de dialogue social le 20 juillet 2021] avec notre appel à témoignages, mais c'est tout le contraire, nous allons la nourrir. Cependant, encore faut-il ensuite une volonté politique politique de la faire fonctionner, de lui donner des moyens, et d'établir une procédure claire qui permette de garantir la protection des collaborateurs. Les responsables politiques doivent d'ailleurs se saisir de cette question. Comment protéger leur santé mentale mais aussi leur avenir professionnel car, aujourd'hui, il leur est de fait impossible de continuer à travailler pour leur employeur et aucune réaffectation n'est possible.

Pourquoi l'omerta est-elle particulièrement difficile à briser dans ce milieu professionnel ?

C'est un petit monde où le poids symbolique du pouvoir vous muselle sans doute encore plus qu'ailleurs. Comme dans d'autres milieux, la difficulté consiste d'abord à se rendre compte que l'on est victime de harcèlement moral, de sortir d'une certaine emprise exercée par l'élu. Un ancien collaborateur qui a souhaité témoigné nous a expliqué qu'il a dû être alerté par ses proches et finalement prendre vraiment conscience de ce dont il était victime dans le bureau d'un psychologue. Mais il n'a pas voulu engager une procédure, de peur que cela lui cause davantage de torts. Les pouvoirs de nuisance d'un élu sur son collaborateur sont potentiellement très forts. Politiquement et professionnellement, l'employeur peut briser la carrière de son assistant, en lui bouchant l'horizon, en pourrissant ses réseaux professionnels et politiques. Finalement, c'est une autre forme d'emprise qui se poursuit. Par ailleurs, les sanctions sont rarement prononcées ou très faibles, ce qui n'encourage pas non plus les victimes à porter plainte. Ce n'est qu'en libérant la parole que cette situation peut évoluer.

fac simile de l'entretien dans L'Humanité du jeudi 29 juillet 2021

fac simile de l'entretien dans L'Humanité du jeudi 29 juillet 2021

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10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 18:21

Je publie ici un article rédigé à 4 mains avec Augustin Belloc, jeune camarade valdoisien, pour la Gauche Républicaine et Socialiste, sur les résultats des élections américaines du 3 novembre 2020 qui ont vu la victoire de Joe Biden à la présidentielle.

Frédéric Faravel

la foule démocrate de New York et le dépit de quelques supporters de Donald Trump

la foule démocrate de New York et le dépit de quelques supporters de Donald Trump

Il aura fallu quatre jours pour que le monde connaisse le résultat du vote des électeurs américains du mardi 3 novembre dernier. Ils étaient appelés à se prononcer sur la présidence des États-Unis, les membres de la Chambre des Représentants (chambre basse), les deux tiers du Sénat, et sur toute une série de référendums locaux… La complexité de ce système électoral, l’importance prise cette année par le vote par correspondance à cause de la pandémie (plus de 100 millions d’électeurs), et la tension politique de cette campagne expliquent les délais et le suspense dans la récolte des résultats.

C’est aussi une élection hors norme du point de vue américain lui-même, puisque le taux de participation a atteint quelques 66%, 10 points de plus qu’en 2016, niveau jamais atteint depuis 120 ans. Cette participation en forte hausse s’est portée sur chacun des camps en présence. Joe Biden, avec 76,3 millions de voix, engrange plus de suffrages qu’aucun candidat à la présidence des États-Unis avant lui, soit 10 millions de plus qu’Hillary Clinton en 2016 ou Barack Obama en 2012, et 7 millions de plus que celui-ci en 2008.

Mais la surprise vient d’abord de Donald Trump, qui avec plus de 71 millions de suffrages franchit également ce record en gagnant plus de 8 millions de voix supplémentaires par rapport à son score de 2016, progressant dans de nombreux secteurs de l’électorat. Il n’y a pas eu de vague démocrate, le président sortant et les candidats républicains à la Chambre et au Sénat font mieux que résister. Si les Démocrates conservent leur avance en nombre de Représentants, ils voient leur majorité se réduire d’une dizaine de sièges ; les résultats au Sénat sont plus ambivalents, car pour le moment les Démocrates et leurs alliés « indépendants » font jeu égal avec les Républicains avec 48 sièges, la majorité dépendant des résultats pour le moment des deux sièges de la Géorgie, qui se joueront le 5 janvier 2021 dans des seconds tours (La Géorgie et la Louisiane ont choisi le scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour le Sénat, contrairement au restes du pays).

Raccommoder une Amérique déchirée

La victoire de Joe Biden ne fait cependant aucun doute, quoi qu’en dise le président sortant et une large partie de ses supporters : on voit difficilement comment défendre l’idée qu’il y aurait eu une fraude massive et concertée en faveur du candidat démocrate quand sur les mêmes bulletins les électeurs américains ont pu choisir de voter pour des Représentants républicains, dont les résultats étaient salués par la Maison Blanche. La Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, l’Arizona et peut-être même la Géorgie (où Biden aurait quelques 12.000 voix d’avance, qui font l’objet d’un recomptage) ont basculé vers le candidat démocrate, lui donnant une avance indéniable en termes de délégués (290 à 306, 270 étant nécessaires pour être élu) qui viennent s’ajouter à la majorité populaire.

Dans un pays structurellement marqué par l’importance des communautés, la stratégie d’Hillary Clinton de miser en 2016 sur une coalition d’afro-américains, de latino-américains, de personnes LGBT et de citadins avait relativement échoué : si elle avait recueilli plus de suffrages que son adversaire, sa campagne segmentée et communautaire n’avait pas eu d’échos dans les catégories populaires précarisées de la Rust Belt, ce qui lui avait coûté plusieurs États-clefs et donc leurs délégués. L’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, Gérard Araud, avait expliqué a contrario comment le slogan de Donald Trump, Make America Great Again, portait une dimension universelle à laquelle n’importe quel Américain pouvait se référer. Cette stratégie des libéraux américains, relayée en France par Terra Nova et encore prisée par certains social-démocrates européens et progressistes autoproclamés, visant à remplacer une base électorale populaire défaillante par les milieux urbains éduqués et les minorités, avait plus que démontré ses limites, voire ses effets néfastes. Pour sortir de cette ornière, les Démocrates avaient misé, aux élections de mi-mandat de 2018, sur les banlieues aisées délaissant Donald Trump et le parti républicain. Ils avaient ainsi pu mettre fin à près d’une dizaine d’années de contrôle républicain de la chambre basse, en faisant basculer un certain nombre de circonscriptions-clefs.

Les primaires démocrates de 2020 avaient souligné la profonde division du parti : l’aile gauche en progression et déterminée à reconquérir les classes populaires était portée par les candidatures d’Elizabeth Warren et Bernie Sanders ; l’aile droite misait avant tout sur le rejet de Donald Trump chez les modérés et d’anciens républicains, et était représentée par Pete Buttigieg et l’ancien maire républicain de New York, Michael Bloomberg. Joe Biden, situé à l’aile droite mais dont la popularité chez les afro-américains et dans une partie de la classe ouvrière syndiquée est indéniable, avait finalement remporté ces primaires.

La gauche socialiste du parti démocrate, un atout majeur dans la victoire de Joe Biden
La gauche socialiste du parti démocrate, un atout majeur dans la victoire de Joe Biden

Contrairement à Hillary Clinton en 2016, il a pris en compte la force croissante des démocrates-socialistes dans la conception de son programme et dans sa stratégie de communication. S’il a continué de miser sur le basculement des banlieues aisées des États du sud, il a toutefois mené campagne pour reconquérir la Rust Belt avec un programme de sécurité sociale conséquent, même s’il n’est pas encore à la hauteur des espérances de l’aile gauche du parti démocrate.

Pour contrebalancer le risque de basculement de certains États du sud, Donald Trump avait adopté une stratégie originale : conquérir tout ou partie de l’électorat latino. La multiplication de clips de campagne en espagnol dans les dernières semaines avant l’élection ainsi que son raidissement sur la question de l’avortement avaient pour but d’attirer un électorat perçu comme plus religieux que la moyenne. Cette stratégie était osée, car c’est sur la critique radicale de l’immigration mexicaine que Donald Trump avait fondé sa popularité lors des primaires républicaines de 2016. Pendant les élections présidentielles, Hillary Clinton avait obtenu un score très important dans cette partie de la population. En parallèle, Donald Trump a tenté de consolider ses gains dans la classe ouvrière, en martelant que son bilan en termes d’emploi et de politique commerciale était le meilleur depuis Ronald Reagan.

Raccommoder une Amérique déchirée

Ces élections présidentielles et au congrès nous semblent contenir quatre principaux enseignements :

1) La décision démocrate de miser d’abord sur les banlieues aisées était une erreur stratégique que Joe Biden a eu raison de contrebalancer ;
2) La popularité de celui-ci dans les syndicats et son programme reprenant des éléments de la campagne de Bernie Sanders ont permis aux démocrates de reconquérir une partie de la classe ouvrière ;
3) Si Joe Biden a fait quelques progrès dans la Rust Belt, les Républicains et Donald Trump y ont fortement résisté comme le démontrent les résultats à la Chambre des Représentants et la conservation de l’Ohio par le président sortant ;
4) Ce dernier a réussi à attirer de nombreux électeurs latino lui permettant de se maintenir ou de limiter les dégâts dans un certain nombre d’États du sud et du sud-ouest.

Les banlieues aisées n’ont pas basculé comme l’espéraient les Démocrates. Si les banlieues des métropoles de Phoenix et d’Atlanta, en Arizona et en Géorgie, les ont suffisamment favorisés pour retourner ces deux États (ce n’est pas encore confirmé pour la Géorgie) systématiquement républicains depuis 1996, cela n’est pas généralisable à tout le pays. Les résultats à la Chambre des représentants démontrent que les gains démocrates de 2018 n’étaient pas durables, et que si le rejet de Donald Trump a pu faire voter Biden, il n’a pas été suffisant pour conserver ces circonscriptions. Ainsi, les banlieues aisées de Los Angeles, de Miami, de New York (dont la très symbolique circonscription de Staten Island), la circonscription d’Oklahoma City ou encore celle de Charleston sont redevenues républicaines après un bref passage démocrate de deux ans, tandis que l’avenir de celles des banlieues de Salt Lake City est encore incertain. Les élus démocrates de ces circonscriptions, souvent des hommes d’affaire ou des vétérans, situés très à droite du parti démocrate sur les sujets économiques, n’ont pas réussi à se faire réélire.

En revanche, en faisant campagne auprès de la classe ouvrière et en promettant une extension de la sécurité sociale, Biden a pu enrayer le recul des Démocrates auprès des Américains blancs de la classe ouvrière, et a pu refaire basculer les États ouvriers du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie. Toutefois, l’Iowa et l’Ohio ont tous les deux voté pour Donald Trump : les Républicains retrouvent au moins une des deux circonscriptions perdues en 2018 dans l’Iowa et parviennent à en conquérir une dans le Minnesota. Les résultats y ont été très serrés, et les démocrates vont devoir démontrer aux électeurs indécis de la classe ouvrière qu’ils peuvent répondre à leur insécurité économique.

supporters latino de Trump lors d'un meeting en 2020

Donald Trump, qui a bénéficié d’un soutien plus large que prévu dans les banlieues huppées, a réussi son pari de miser sur l’électorat latino. La Floride et le Texas ont voté pour lui avec des marges plus élevées que prévu, et Joe Biden recule drastiquement dans les comtés à forte proportion hispanophone. Dans les comtés frontaliers du Mexique au Texas, majoritairement latino, Hillary Clinton avait battu Donald Trump avec environ 75% des suffrages. Joe Biden s’y effondre, et n’obtient qu’à peine plus de 50% des voix. Des circonscriptions à majorité latino du Texas, censées être sûres pour les Démocrates, ont été remportées avec une marge très faible, et ils perdent une circonscription au Nouveau-Mexique et deux en Floride dans des zones fortement hispanophones. Donald Trump a semble-t-il mobilisé un électorat hispanique conservateur qui jusque-là s’abstenait. Il ne faut pas oublier que jusqu’aux polémiques contre l’immigration mexicaine dans les années 2010, l’électorat hispanophone était très partagé. Toute la question est de savoir si les Républicains vont parvenir à fidéliser cet électorat.

Raccommoder une Amérique déchirée

Joe Biden a sans doute remporté l’élection car ses équipes ont compris qu’il fallait nuancer la stratégie communautariste et de séduction des banlieues aisées pour reconquérir une partie de la classe ouvrière. La communautarisation du débat politique n’a pas empêché la volatilité du vote des minorités et les riches américains sont restés fidèles au parti républicain ; les Démocrates vont être contraints de questionner leur ligne stratégique depuis la présidence Clinton jusqu’aux élections de mi-mandat 2018. Il semble clair que le parti démocrate doive chercher à redevenir le parti du peuple (Party of the People) qu’il a été des années 1930 aux années 1970. Il y a encore un long chemin pour y parvenir : les résultats en Floride semblent indiquer qu’un nombre important d’électeurs votant en faveur du salaire minimum à 15$ (scrutin référendaire) ont porté leurs suffrages dans le même temps sur Donald Trump… la crédibilité des Démocrates reste à construire sur ce qui est pourtant l’une des principales revendications de leur aile gauche, inscrite dans le programme de Biden.

Si Donald Trump a été battu, le trumpisme n’est pas mort. Le président sortant a élargi de manière impressionnante sa base électorale. Sa communication outrancière, sa remise en cause de l’État de droit, ses invectives contre les médias, son refus de reconnaître la défaite et ses cris dénonçant une indémontrable fraude massive ont toujours un écho puissant dans la société américaine. Ce comportement hasardeux plonge la démocratie américaine dans une crise politique jamais vue depuis le scandale du Watergate. La transition n’a pas encore pu commencer, elle se fera vraisemblablement dans le conflit et l’amertume : les partisans de Donald Trump resteront persuadés qu’on leur a volé cette élection. Les Démocrates vont devoir gouverner avec une grande partie de la population persuadée que l’élection a été truquée. Donald Trump n’ayant effectué qu’un mandat, il aura droit de se représenter en 2024 et pourrait compter sur ce ressentiment comme moteur politique. S’il n’est pas candidat, nul doute qu’il trouvera des successeurs « dignes de lui ».

Le Squad de la Chambre des Représentants autour d'AOC
Le Squad de la Chambre des Représentants autour d'AOC

Joe Biden a su mener campagne sans jouer au centriste modéré, ce que dément pourtant toute sa vie parlementaire. Toujours placé à la droite du parti démocrate, il était connu pour concevoir ses projets de lois avec les républicains et avait plaidé en 2004 pour que John McCain, sénateur républicain, soit le colistier de John Kerry, le candidat démocrate contre George W. Bush. Si son programme comporte des avancées sociales certaines, le possible maintien des Républicains au Sénat pourrait handicaper sa réalisation, d’autant que les Représentant démocrates n’ont pas grand chose à voir avec le Squad autour d’Alexandria Ocasio Cortez. Enfin les inclinaisons naturelles du futur président ont de quoi inquiéter les démocrates-socialistes, qui vont poursuivre leur combat politique pour un parti démocrate proche du peuple et de ses aspirations.

Raccommoder une Amérique déchirée

Kamala Harris, sénatrice de Californie, va devenir la première femme à atteindre l’exécutif américain. Le symbole qu’elle représente, après deux ans de lutte féministe intense aux États-Unis contre les violences faites aux femmes et pour le droit à l’avortement, est important. Mais il ne faut pas oublier que Kamala Harris a mené comme procureure générale de Californie une politique très décriée, que de graves accusations de dissimulation de preuves ayant conduit au maintien en détention de personnes innocentes ont été portées contre elle, et que ces accusations avaient conduit à son retrait des élections primaires fin 2019. Sous son mandat, le taux de condamnation était passé de quelques 50% à plus des deux tiers, alors que la question afro-américaine, et notamment l’incarcération de masse des afro-américains (phénomène devenu massif sous la présidence Clinton), sera un des sujets majeurs de la présidence Biden. Kamala Harris n’en paraît pas moins dans une position avantageuse pour la présidentielle de 2024, à condition qu’elle soit habile. Dans tous les cas, si le Sénat n’avait pas de majorité son rôle serait décisif.

La défaite de Donald Trump est évidemment en soi un motif de réjouissance, tant il a aggravé les divisions et attisé la haine dans son pays, tout en contournant à bien des égards l’État de droit. Mais cette défaite ne fait pas tout et nous ne pensons pas que les choix stratégiques des États-Unis d’Amérique seront profondément bouleversés. Certaines orientations de Donald Trump, notamment en matière de commerce international, vont vraisemblablement perdurer et devraient d’ailleurs être méditées en Europe. Il faut cependant espérer que le futur président Biden mènera une politique sociale à la hauteur du programme qu’il a annoncé, ce qui pourrait aider à panser les plaies des Américains. Espérons également qu’à l’inverse de Donald Trump et des présidents précédents il sera plus respectueux de ses alliés et de la France en matière diplomatique et militaire, plus respectueux des libertés des citoyens européens qui avaient été massivement espionnés, et que nos relations industrielles cesseront d’être fondées sur la prédation.

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2 juin 2020 2 02 /06 /juin /2020 14:58

Voici quelques jours, George Floyd est mort d'asphyxie suite à une interpellation particulièrement musclée de la part de policiers. Ce n'est pas une première aux États-Unis où les violences policières causent de manière bien plus fréquente que dans d'autres démocraties des décès nombreux.

Cette fois encore, cette interpellation musclée et mortelle se double d'un contexte raciste, puisque le policier causant la mort était blanc, le citoyen interpellé et décédé étant noir. Les très nombreux cas similaires nous rappellent à quel point le racisme est profondément inscrit dans la société américaine, héritage de l'esclavage puis de la ségrégation qui ne prit fin officiellement qu'un siècle plus tard.

Aujourd'hui encore, la politique sécuritaire et pénitentiaire américaine font des personnes de couleur noire les premières « cibles » d'un appareil judiciaire connu pour être un miroir déformant des inégalités sociales. Cinquante années d'affirmative action n'auront pas permis – au-delà de la constitution d'une bourgeoisie et d'une petite classe moyenne supérieure noire – de rétablir un peu de justice sociale en direction de cette partie de la population américaine, qui souffre d'une somme de handicaps sociaux et économiques sans véritable commune mesure avec son poids réel au sein du peuple américain. La structuration profondément communautariste de la société américaine a fait l'objet d'études nombreuses, sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. Rappelons cependant qu'une partie de la violence et des crimes dont est victime la communauté noire est le fait de certains de ses membres.La mort violente de George Floyd aura été une nouvelle étincelle jetée une fois de plus sur la poudrière raciste des Etats-Unis d'Amérique. Plus encore que précédemment – on se souvient du mouvement #BlackLivesMatter voici quelques années sur fond de meurtres racistes et de violences policières – cet événement dramatique aura libéré une colère et une frustration toujours présentes, souvent contenues, mais jamais absentes et jamais guéries, au sein de la population noire des Etats-Unis d'Amérique. Les mobilisations pour demander justice et la fin des violences policières racistes dépassent largement la seule « communauté noire » comme le démontre les très nombreuses manifestations pacifiques (respectant ainsi la volonté de la famille de la victime) dans de très nombreuses villes américaines ; que quelques unes d'entre elles aient été suivies d'émeutes localisées ne sauraient effacer cette réalité sociale et politique.

"I can't breathe" : le cri de George Floyd, métaphore d'une Amérique étouffée par ses propres démons

Les fanfaronnades du président des Etats-Unis, Donald Trump, n'étonnent malheureusement plus personne avec leur avalanche de démagogie, mépris, de provocations, de discours violents et d'appel à la religion, visant à flatter un électorat pour partie raciste et intégriste. Elles sont plus irresponsables que jamais et donnent l'impression qu'un pompier pyromane siège à la Maison Blanche, qui secouerait un gros baril de fuel au-dessus de la poudrière. Si malheureusement, le caractère pacifique des démonstrations actuelles devaient céder le pas à la violence, il en serait grandement responsable.

Les Etats-Unis d'Amérique ont plus que jamais besoin d'une Révolution civique, pacifique et sociale. D'une certaine manière, c'était ce que proposait aux Américains Bernie Sanders. Ironie de l'histoire, alors qu'il était le seul à proposer les changements concrets qui répondaient aux difficultés profondes des USA et de la population noire, c'est l'électorat démocrate noir âgé (à l'instigation de sa bourgeoisie et sa classe moyenne supérieure qui partage peu sa réalité quotidienne) qui a donné au centriste Joe Biden (comme il l'avait donné à Hillary Clinton) les moyens de distancer définitivement le candidat socialiste dans les primaires démocrates. Il faut donc espérer que le candidat libéral prenne la mesure réelle de la situation et que son soutien aux manifestants pacifiques ne soit pas qu'un simple coup électoraliste : il faudra pour l'emporter en novembre prochain (et gagner le vote de la jeunesse qui se mobilise aujourd'hui) puis pour sortir les Etats-Unis d'Amérique de l'impasse actuelle qu'il muscle économiquement et socialement son discours, et que la lutte sur les discriminations institutionnelles se traduisent en actes concrets, afin de permettre au pays de retrouver la paix civile et sociale et à sa communauté noire de ne plus être la première victime de la pauvreté, du crime et de la violence.

Frédéric Faravel

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9 août 2017 3 09 /08 /août /2017 09:28
Venezuela. Une crise d’une importance capitale pour la gauche latino-américaine

Alors que le Venezuela traverse une crise économique, sociale, politique et institutionnelle majeure, dont les résonances seront déterminantes pour l'ensemble de la gauche latino-américaine, nous ne pouvons que constater une manière particulièrement biaisée d'aborder ce dossier dans la presse française, dont la seule grille de lecture semble être de voir quel avantage elle pourrait tirer de la décomposition du système chavo-maduriste contre la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon...

Peu d'articles ont tenté de resituer les véritables enjeux de la crise actuelle et ses racines anciennes. On rappellera ici l'excellent papier de Gaël Brustier dans Slate.fr qui permet déjà de rappeler le contexte général de la situation : " Victime de son économie de rente comme de la faiblesse de sa construction étatique, dépourvu de monopole de la violence légitime, en proie à une crise liée à la baisse des cours du pétrole, théâtre d’une extrême polarisation sociale et politique, le Venezuela s’enfonce dans la violence. Les interprétations de la situation au Venezuela sont souvent marquées par le recyclage de concepts, de termes, de mots hérités de la Guerre Froide."

Je me permets cependant de mettre en ligne ci-dessous un article beaucoup plus complet rédigé par deux universitaires chiliens - Giorgio Boccardo, professeur à l’Université du Chili [master « Les études latino-américaines »] ; Sebastian Caviedes, chercheur à la Fondation Nodo XXI, enseignant à l’Université du Chili - et publié en France sur le site Mémoires des luttes. Il permet selon moi de comprendre plus précisément les racines et la réalité du conflit en cours et de sortir du manichéisme occidental, au-delà de l'évidente dérive autoritaire du Président Nicolas Maduro qui fait face lui-même à une opposition qui n'a de démocratique et d'unifiée que le nom (tout autant putchiste et autoritaire que Maduro lui-même).

Espérons que les forces critiques présentes dans le chavisme et le socialisme bolivarien puissent faire émerger une voie de sortie de crise en se rappelant "qu’il ne suffit pas de « prendre l’Etat » pour avancer dans la transformation de la société capitaliste, même si c’est avec les outils de la démocratie libérale".

Frédéric FARAVEL

 

Venezuela. Une crise d’une importance capitale pour la gauche latino-américaine

Par Giorgio Boccardo, Sebastian Caviedes | 7 août 2017

Il est douloureux d’écrire sur le Venezuela. En partie parce que cela implique rendre compte du drame d’un peuple qui, pour la première fois, commençait à participer à la redistribution de ses ressources. Mais également parce que cela implique d’aborder le déclin d’un processus politique qui a été une référence pour la gauche latino-américaine pendant les dernières décennies.

C’est la raison pour laquelle il est fondamental d’encourager un débat critique et réfléchi sur la crise vénézuélienne. Cela n’implique pas qu’il faille se soumettre à l’opportunisme de la droite, qui, sous une façade démocratique, réduit tout débat à la question de savoir si oui ou non le régime vénézuélien est une dictature, alors que ses intentions vont dans le sens de réinstaller un modèle aussi socialement et politiquement excluant que celui de type néolibéral. Mais il ne serait pas non plus responsable d’éviter le débat comme le fait la majorité des penseurs critiques, qui prônent une sorte de solidarité inconditionnelle avec le processus, au point de se montrer apathiques face à la tragédie que vit le peuple vénézuélien.

Notre intérêt pour un débat sur la grave crise que traverse la société vénézuélienne, sur les réussites et les erreurs du chavisme tient à l’importance de ce qui est en jeu au Venezuela, non seulement pour l’avenir de ce pays et de toute l’Amérique latine, mais également pour la construction de projets radicalement démocratiques, alternatifs à ceux de la société capitaliste.

1. La crise du puntofijismo

Entre 1958 et 1993, l’ordre politique vénézuélien a reposé sur le Pacte de Punto Fijo [1]. Fondamentalement cela signifiait que les deux principaux partis politiques, Accion Democratica (AD) et Comité de Organizacion Politica Electoral Independiente (COPEI), d’orientation respectivement social-démocrate et chrétienne-sociale, se sont mis d’accord sur le fait que, indépendamment de qui gagnerait les élections, ils mettraient en place des gouvernements d’unité nationale sur la base d’un programme minimum et sur la répartition entre eux des institutions étatiques. Cet accord a entraîné une société « méritocrate » formée de groupes d’entreprises, de bureaucraties étatiques et des ouvriers du pétrole, tout cela autour de la distribution de la rente générée par l’« Etat dans l’Etat » que constituait Petroleos de Venezuela SA (PDVSA). Mais cette « méritocratie puntofijista » excluait une proportion considérable de travailleurs ainsi que les paysans et des groupes marginaux.

A la fin des années 1970, il y a eu une longue crise économique et politique. Le déclin de la rente pétrolière a réduit la capacité de l’Etat à répondre aux demandes des forces faisant partie du Pacte. De leur côté, AD et COPEI sont de plus en plus devenus des machines électorales clientélistes et corrompues et se sont éloignés des bases qui les avaient soutenus sur le plan politique [2]. Au cours du deuxième gouvernement de Carlos Andrés Pérez, partisan de l’AD (1989-1993), des politiques radicales d’ajustement structurel ont commencé à être appliquées, ce qui a entraîné, en février et en mars 1989, des protestations populaires massives connues sous le nom de « Caracazo ». La violente répression de ces protestations a provoqué des centaines de morts et des milliers de disparus.

La bureaucratie puntofijista s’opposait à des réformes, car leur application aurait entraîné leur mutation et la réduction des prébendes versées aux clientèles, ce qui aurait déstabilisé le délicat équilibre au sein de l’alliance bourgeoise dominante. Des changements furent effectués, mais ils ne purent stopper la crise économique et politique. En 1993, le puntofijismo a destitué Carlos Andrés Pérez [qui occupa le poste de vice-président de l’Internationale social-démocrate et était très lié à Felipe Gonzalez], accusé de corruption, et c’est ainsi que, pour la première fois depuis 1958, un candidat non issu du Pacte a pu s’imposer lors de l’élection présidentielle.

L’ex-partisan de COPEI, Rafael Caldera [il avait été président entre 1969 et 1974 ; après un échec il est réélu en 1998], a créé un nouveau parti chrétien-social et, en s’alliant avec des organisations de gauche, il a gagné les élections sur un programme anti-néolibéral. Cependant, après avoir évité la pire crise financière de l’histoire du pays [en 1994], Caldera a négocié avec le FMI et a impulsé l’Agenda Venezuela. Celui-ci prévoyait l’application de mesures monétaristes orthodoxes, une réduction drastique des prestations sociales aux travailleurs et le lancement de politiques d’ouverture et d’internationalisation de l’industrie pétrolière. Cet ensemble de mesures a suscité de nouvelles protestations.

Hugo Chavez a été libéré après avoir passé deux ans en prison pour son rôle dans le coup d’Etat manqué de 1992. Une tentative de coup d’Etat qui a fait de lui une référence politique à échelle nationale. Avec le soutien de militaires, d’intellectuels et de militants de gauche, il se lance dans une forte activité politique. C’est dans ce contexte d’une société profondément divisée, dont le système politique était totalement délégitimé et les conditions de vie de la population se dégradaient de plus en plus, que Chavez a fondé en 1997 le Movimiento Quinta Republica (MVR). L’année suivante il s’est imposé aux élections présidentielles en mettant en avant un projet qui exprimait cet énorme malaise social en lui donnant une orientation et un espoir.En résumé, la transformation néolibérale avait entraîné l’effondrement d’un système politique corrompu qui était en place depuis l’accord de Punto Fijo. C’est ce contexte de vide politique qui explique en partie la vertigineuse ascension de Chavez. Après quinze ans de ce gouvernement, le chavisme va inverser plusieurs des réformes néolibérales en appliquant une redistribution radicale de la rente pétrolière. Cela permettra le développement de nouvelles clientèles à un Etat qui soutient un projet national et populaire mais qui ne cesse pas pour autant d’être capitaliste [3].

2. L’ascension et le développement du chavisme (1999-2013)

Le projet initial de Chavez n’est pas très éloigné des orientations du populisme latino-américain : un discours anti-impérialiste, la récupération de la souveraineté nationale, la centralité de l’Etat, un chef de file militaire, des styles de pouvoir politique autoritaires et d’importants programmes de redistribution de la richesse [4]. Lors de son premier mandat, le gouvernement de Chavez a mis la priorité sur la convocation d’une Assemblée constituante pour la création de la Cinquième République. Avec une large majorité chaviste, la nouvelle Constitution réaffirme le caractère capitaliste de l’économie vénézuélienne avec un Etat fort, qui se réserve l’activité pétrolière et les autres industries d’intérêt publique ou stratégique. Sur le plan politique, il incorpore divers mécanismes participatifs en vue d’approfondir la démocratie [avant tout à l’échelle locale] ; ainsi les droits populaires sont significativement élargis sur les plans économique, social et culturel.

Etant donné l’extrême dépendance de toute l’économie – et de l’Etat vénézuélien – par rapport à la rente pétrolière, le chavisme commence par inverser certaines des mesures politiques néolibérales des années 1990 [5]. Cela le conduit à s’affronter directement avec la PDVSA [Petróleos de Venezuela SA, compagnie pétrolière dont le capital appartient pour l’essentiel à l’Etat], qui, depuis des années, donnait priorité à la rentabilité au détriment de l’intérêt national [tout en distribuant de manière socialement sélective une grande partie de la rente pétrolière]. Chavez a restructuré la politique fiscale de la PDVSA, augmenté sa contribution directe à l’Etat et a mis un terme au processus d’ouverture à des capitaux multinationaux initié au cours de la décennie précédente. Le gouvernement chaviste a également récupéré l’initiative au sein de l’OPEP, afin de contrôler les niveaux de production à l’échelle internationale et ainsi stabiliser ou augmenter les prix du baril. En particulier, la politique de « contrôle des prix » convenue avec des pays comme l’Irak [de Saddam Hussein] et la Libye [de Mouammar Khadafi] provoque des confrontations entre Chavez et les Etats-Unis.

Deux lois passées à cette époque par le gouvernement chaviste ont particulièrement suscité l’opposition du patronat : d’abord, celle relative à la terre et au développement agraire et, ensuite, celle concernant les hydrocarbures. La première de ces lois a été une tentative tardive de réforme agraire pour limiter le pouvoir des latifundistes et donner une certaine sécurité agroalimentaire aux paysans [mais sans appui technique, entre autres]. La deuxième permettait de récupérer le contrôle politique et économique sur la PDVSA. Les deux lois ont été cataloguées par le patronat et par l’opposition politique comme étant un attentat contre la propriété privée.

Pendant son deuxième mandat (2001-2007), Chavez a entamé l’affrontement avec une opposition qui était prête à utiliser tous les moyens pour renverser le gouvernement. Cette opposition regroupait des secteurs militaires, des patrons, des partis puntofijistes, la « méritocratie » de la PDVSA et presque tous les médias, sans compter le soutien du gouvernement états-unien. En avril 2002, elle a déclenché un coup d’Etat, mais une mobilisation populaire combative, appuyée par un secteur clé des militaires, oblige finalement les putschistes à restituer la présidence à Chavez. C’est à la fin de cette même année qu’une grève pétrolière patronale a été lancée [6].

Une fois de plus, la résistance populaire était en faveur du chavisme, ce qui a permis de faire reculer le sabotage de l’opposition. Après avoir surmonté ces deux assauts et malgré les dommages qu’ils ont entraînés sur le plan économique et la drastique réduction des revenus fiscaux, Chavez en est sorti renforcé. Il s’est produit un changement dans le rapport des forces qui a permis de désarticuler l’opposition d’un secteur militaire et les bureaucraties pétrolières, mais en échange d’un nouveau pacte avec les groupes populaires dont dépendait la survie du régime. Même s’ils avaient déjà voté pour Chavez, c’est la chaleur du conflit qui les fait sentir que ce gouvernement était « le leur » [7].

Au cours des premières années du chavisme, la crise budgétaire, la priorité constitutionnelle et la déstabilisation provoquée par l’opposition ont empêché une amélioration des conditions de vie des secteurs populaires. Mais étant donné, d’une part, la centralité des secteurs populaires pour la continuité du processus et, d’autre part, l’imminence d’un référendum révocatoire convoqué par l’opposition, l’administration chaviste a mis toute son énergie à développer une nouvelle politique sociale. Au moyen de ce qu’on a appelé les « Missions » [initiatives concernant la santé et l’éducation dans les quartiers paupérisés, s’appuyant fortement sur une aide de Cuba compensée par des livraisons pétrolières et des crédits], elle a appliqué un programme de démocratisation de la rente pétrolière qui a permis d’améliorer de manière significative les revenus, la santé, l’éducation, les communications et l’accès à la culture du peuple vénézuélien [8]. En contraste avec les politiques qui ont prévalu dans une bonne partie de l’Amérique latine, les dépenses sociales ont été concentrées de manière à diminuer les inégalités, devenant une composante fondamentale des dépenses publiques. En résumé, pendant cette période le chavisme a construit un relatif tissu productif et social ainsi qu’une nouvelle institutionnalité.

La légitimité de la nouvelle politique sociale s’est exprimée clairement lors du référendum révocatoire de 2004, où Chavez s’est imposé avec 59% des votes. De même, lors des élections des gouverneurs des départements [structure fédérale] la même année, il n’en a perdu que 2 sur les 23 Etats. L’année suivante, devant la possibilité d’être balayée de l’Assemblée nationale, l’opposition s’est retirée des élections, ce qui a laissé un Parlement constitué exclusivement de partisans du chavisme. Lors des élections présidentielles de 2006, Chavez a triomphé avec presque 63% des suffrages face à Manuel Rosales, candidat de l’AD.

Dès lors, Chavez s’est consolidé en tant que figure internationale, non seulement parce qu’il était un acteur important de la nouvelle stratégie de contrôle des prix de l’OPEP, mais aussi parce qu’il a réussi à freiner la politique états-unienne de subordination latino-américaine au travers de l’ALCA [zone de libre-échange des Amériques]. Il a pu accomplir cela grâce à une alliance avec les gouvernements du Brésil de Lula et de l’Argentine de Nestor Kirchner, en créant l’ALBA en 2004 [un projet que ne se concrétisera qu’à la marge] et au moyen d’autres initiatives d’intégration économique et sociale, sans compter le soutien croissant à des gouvernements tels que ceux de la Bolivie [Evo Morales] et de l’Equateur [Rafael Correa]. C’est ainsi qu’a pu s’établir une résistance politique et culturelle aux prétentions hégémoniques des Etats-Unis sur l’Amérique latine menées par George W. Bush.

Au début 2007, Chavez a annoncé que la « phase de transition » au Venezuela était achevée et que c’était le moment d’avancer dans la construction du « Socialisme du XXIe siècle ». Pour cela il lui fallait des lois de type constitutionnel pour lui accorder des pouvoirs extraordinaires, et donc une réforme constitutionnelle pour déclarer socialiste la République bolivarienne de Venezuela. A cela, il a ajouté la construction du Parti socialiste uni vénézuélien-PSUV [qui était étroitement contrôlé par les sommets du chavisme]. Parmi d’autres propositions spécifiques, Chavez réaffirmait la propriété et le contrôle de l’Etat sur les hydrocarbures, l’élimination des restrictions pour la réélection présidentielle pour plus de deux mandats [afin d’assurer une permanence de son pouvoir] et la réorganisation territoriale politique du pays [réorganisation du dit fédéralisme et de l’indépendance des unités fédérales par rapport au pouvoir central].

C’est précisément pendant cette période qu’il y a eu un infléchissement dans le processus économique et politique, qui allait avoir des conséquences très importantes pour le Venezuela. D’abord, au lieu de s’orienter vers une diversification productive afin de rendre le pays moins dépendant de la rente pétrolière et des cycles économiques internationaux, il s’est employé à renforcer la distribution de la rente [avec des dimensions clientélaires renforcées] et la formation d’un patronat chaviste de caractère commercial et financier [la dite "bolibourgeoisie"]. C’est ainsi que la « malédiction des ressources naturelles » a fini par enterrer sur le long terme les efforts de démocratisation sociale qui avaient été atteints. Ensuite, Chavez a fini par réduire son projet de socialisme à un étatisme et à un verticalisme [pouvoir concentré autour de Chavez et d’un secteur militaire]. En effet, au lieu de radicaliser la démocratie politique, il est resté prisonnier de l’autoritarisme militaire et – malgré sa rhétorique – de l’héritage du populisme et des dits socialismes réels. Enfin, au lieu d’accorder davantage de pouvoir politique aux classes populaires, il finit par le diminuer en faveur d’un clientélisme étatique plus important et d’un contrôle bureaucratique du processus.

Donc, au-delà des difficultés liées à l’affrontement face aux Etats-Unis et face aux forces réactionnaires de l’opposition ainsi que des limitations du sous-développement latino-américain, c’est justement au moment de l’apogée du chavisme que celui-ci perd une possibilité historique de radicaliser le processus social et politique en cours. Nicolas Maduro [fonction présidentielle prise le 8 mars 2013, puis élection gagnée le 14 avril 2013 ; Chavez décède le 5 mars 2013] a hérité de conditions sociales et politiques qui vont éclater suite à la baisse des prix du pétrole, mais ces conditions ont été créées bien avant son ascension à la présidence.

3. Le Venezuela après Chavez

Avec la mort de Chavez en 2013, et en l’absence d’autre leader de la même carrure dans le PSUV, le « choix » porta sur Maduro, d’une part, étant donné sa position de position de vice-président depuis octobre 2012 et, d’autre part, à cause de ses liens politiques à l’échelle nationale et internationale. Cela pour prendre la tête d’un amalgame complexe de tendances et de mouvements qui convergent dans l’alliance chaviste. Mais son ascension au pouvoir a coïncidé avec la diminution de la rente pétrolière. Celle-ci représentait près de 95% des revenus d’exportations, 60% de ses rentrées budgétaires et 12% de son PIB. En suivant cette pente, en 2015, les revenus issus de l’exportation de pétrole brut étaient tombés de 40%, et en 2016 la dette extérieure augmentait de plus de 350% par rapport à 1998 [9].

L’effet dévastateur de cette contraction économique fait que le gouvernement peut très difficilement maintenir les programmes de redistribution sociale et par conséquent aussi le consensus au sein de l’alliance dominante. A cela s’ajoute le renforcement des traits autoritaires du régime politique, aussi bien ceux hérités du processus bolivarien dans son ensemble que ceux liés à l’incapacité politique du nouveau président. Il faut surtout souligner la destruction du tissu social que l’hégémonie chaviste avait stabilisé. En effet, la crise économique et politique a aggravé la faille d’origine du chavisme, qui consistait en une mauvaise compréhension de l’organisation sociale de base sur laquelle s’est fondé ce mouvement considéré comme étant autogéré et autonome, alors qu’en réalité ce mouvement était plutôt le produit de politiques publiques menées par l’Etat vénézuélien [10].

Au sein du PSUV et du mouvement chaviste, cette faille s’est exprimée dans une culture politique qui, depuis l’époque de Chavez, a peu à peu supprimé le débat critique au sein des rangs du parti, ce qui avait été en partie un trait lors de sa fondation [11]. Par ailleurs, une des tendances de ces dernières années est l’augmentation de la militarisation de l’Etat et du gouvernement. Il est possible que cela soit dû au fait que Maduro, n’ayant pas de lien organique avec les Forces armées, a incorporé davantage de ses membres à des postes de pouvoir pour s’assurer leur loyauté. C’est ainsi qu’aujourd’hui un tiers des ministres (12 sur 31) et des gouverneurs (13 sur 20) sont des militaires, et beaucoup d’autres se trouvent dans des positions clés de l’économie, où, le manque de contrôles démocratiques crée des conditions favorisant la prolifération de la corruption, surtout dans les domaines comme la répartition des devises, le contrôle des ports [importations de biens de consommation, pour l’essentiel devant être achetés sur les marchés internationaux] ou la distribution d’aliments [12].

Outre la corruption, vieux problème vénézuélien qui est antérieur à l’expérience chaviste, la crise met en évidence les effets négatifs liés au régime rentier pétrolier (extractiviste) qui régit l’économie. Par exemple, dans le secteur énergétique, le manque d’investissements a provoqué des coupes et des restrictions dans la fourniture d’électricité et a fait sombrer le pays dans une pénurie de gaz naturel et de ses dérivés, alors même que celui-ci possède une des plus importantes réserves reconnues de gaz conventionnel à l’échelle mondiale. Pire, le gouvernement s’est déclaré intéressé à utiliser les techniques de perforation horizontale et de fracking, qui se sont avérées dommageables pour l’environnement et pour la santé, cela dans le but de commercer l’exploitation de gaz dans le bassin du lac Maracaibo [13]. Ce sont ces techniques qui, paradoxalement, ont permis aux Etats-Unis d’obtenir une relative autonomie énergétique, entraînant un déséquilibre dans le marché mondial du pétrole, ce qui a contribué à faire chuter les prix globaux et a nui au Venezuela [14].

En outre, la crise approfondit la pénétration du capital transnational, comme le montre la création de la Nouvelle zone de développement stratégique nationale « Arco minero del Orinoco », qui ouvrira presque 112.000 kilomètres carrés à la grande industrie minière locale et étrangère sous la supervision des Forces armées [15].

Consciente de la faiblesse de Maduro, la même opposition qui avait affronté Chavez s’est renforcée et a repris vigueur suite à la légitimité perdue sous l’effet du coup d’Etat de 2002. Rassemblée au sein de la Mesa de Unidad Democratica (MUD), elle réunit des groupes qui vont de la gauche modérée à l’extrême droite putschiste, chacun ayant son programme propre. A cause de leur poids majoritaire dans l’Assemblée nationale [élue en décembre 2015], les organisations qui dirigent la MUD sont Primero Justicia (PJ) et Voluntad Popular (VP) [16] aux côtés de l’ancien parti AD (Alliance démocratique). Parmi les membres de PJ se trouvent l’ex-candidat présidentiel Henrique Capriles et Julio Borges, l’actuel président du Parlement, archétypes de la génération politique qui, avec la montée du chavisme, n’ont pas pu effectuer leur passage logique à la politique puntofijista après avoir été éduqués à l’étranger et avoir appartenu au COPEI. VP, dirigée par Leopoldo Lopez, appelle à la mobilisation de rue, avec un degré élevé de violence, en refusant d’accepter la légitimité du gouvernement et faisant campagne pour une intervention étrangère contre le Venezuela de Maduro [17].

Bien qu’elle ait existé, l’orientation de l’opposition prônant le dialogue n’a duré que jusqu’à la publication des résultats de l’élection présidentielle de 2013. En effet, depuis l’intenable accusation de fraude électorale de la part de Capriles [18], appel qui a entraîné 11 morts, la radicalisation de l’opposition a donné lieu à des faits brutaux comme ceux qui se sont passés lors des manifestations d’étudiants de février 2014, lorsque Lopez et son parti, aux côtés de la parlementaire Maria Corina Machado et du maire de Caracas, Antonio Ledezma, ont soutenu une mobilisaton qui a fait 47 morts et durant laquelle on a vu l’installation de fils de fer tendus dans les rues pour décapiter les motocyclistes pro-gouvernementaux. L’appel à faire tomber le gouvernement a fait que Lopez et Ledezma ont été condamnés à des peines de prison. Cependant, une offensive internationale dirigée par l’ex président espagnol José Maria Aznar et d’autres ex-mandataires ibéro-américains, avec le soutien du secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro [d’origine uruguayenne], les a transformés – malgré leurs antécédents putschistes – en « martyrs » de la défense de la démocratie et des droits humains.

Le grand problème de l’opposition est le manque d’un projet commun et alternatif au chavisme. Cela est apparu clairement suite à la « super majorité » parlementaire qu’elle a obtenue en décembre 2015 [19]. Sa politique ne s’est centrée que sur le démantèlement de tout ce qui avait été fait précédemment et sur la stratégie la plus adéquate pour renverser Maduro, en négligeant la recherche de mesures concrètes pour affronter la criminalité et l’insécurité [ces phénomènes sont très marqués, depuis longtemps, entre autres dans la périphérie de la capitale Caracas ; le « Gran Caracas » compte quelque 4,5 millions d’habitants] ou pour soulager la crise économique. Les rares propositions programmatiques à son actif vont dans le sens d’une croissance de la rente pétrolière, la libéralisation économique et « l’aide » que pourrait offrir le FMI [face à la dette publique], ce qui est peu attractif pour la société vénézuélienne, car beaucoup de fractions populaires pensent que si l’opposition arrivait au pouvoir, ces mesures leur feraient perdre encore davantage que ce qu’elles ont déjà perdu [20]. Ces propositions vont enfin dans le sens d’une ré-articulation du pacte élitaire qui a dominé toute l’histoire vénézuélienne. En s’insurgeant contre le régime qui les exclut de la politique distributive étatique ou qui limite sa participation à la distribution de la rente pétrolière, cette opposition cherche à déstabiliser cet Etat par la force.

Mais dernièrement, la crise humanitaire provoquée par la détérioration socio-économique grave du pays a permis à l’opposition d’instrumentaliser en sa faveur la mobilisation populaire de l’ouest de Caracas, bastion du chavisme, ouvrant ainsi une brèche dans l’indiscutable enracinement populaire bolivarien. L’opposition appelle à créer un couloir humanitaire [terme utilisé par analogie avec les couloirs humanitaires demandés par des ONG pour des villes assiégées] afin de résoudre le manque de produits et de médicaments. Mais elle se mobilise surtout sur des revendications politiques telles que la libération des prisonniers politiques ou le référendum révocatoire contre Maduro. En même temps le peuple, qui se réfère en majorité au chavisme d’origine, se mobilise contre les autorités poussé par la faim, par la pénurie de médicaments et de produits de base ainsi que suite à l’explosion de la violence et de l’insécurité généralisées [liée à la paupérisation et à la crise des institutions et du régime] [21].

Le système de contrôle des devises et des prix imposé en 2002-2003 pour faire face au sabotage économique de l’opposition est devenu dysfonctionnel lorsqu’il a permis la spéculation par les secteurs qui contrôlent les devises. Le manque chronique de dollars a sapé toute capacité économique, surtout dans le secteur de l’importation. Par conséquent ce sont les groupes populaires qui dépendent des produits importés par le gouvernement et qu’il vend à des prix contrôlés qui sont les plus touchés [car ces produits sont rares]. Cette situation a entraîné une croissance du marché noir. Le manque d’une stratégie d’approvisionnement et de distribution – une autre tare du développement bolivarien – y a également contribué [22]. Outre ces graves problèmes de pénurie, les dernières données économiques diffusées par l’Institut national de statistique (INE) vénézuélien et par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) indiquent pour décembre 2015 une inflation générale de 180,9% et une inflation du prix des aliments de 218% [23]. Dans ce contexte, la dénutrition augmente, pour la première fois à cause de la faim et non pas des maladies, la population a perdu en moyenne 8 kg par personne, alors qu’augmentent ceux qui indiquent qu’ils ne mangent que deux fois par jour, ou moins [24].

Après avoir scellé définitivement son accord avec les secteurs populaires au début des années 2000, les politiques sociales chavistes ont entraîné une diminution pratiquement ininterrompue de la pauvreté et de l’indigence. Celles-ci atteignaient leur niveau le plus bas en 2012, lorsque la pauvreté était estimée à 25,4% de la population et l’indigence à 7,1% [25]. Mais, entre 2014 et 2016, le pourcentage de foyers pauvres monte en flèche, passant de 48,4% à 81,8% ; 51,5% des foyers se trouvant dans une situation de pauvreté extrême [26]. Cela démontre l’importance qu’a eue la redistribution sociale de la rente pétrolière, tout en étant en même temps le talon d’Achille du système.

La crise politique s’est accentuée depuis avril 2017, alors que les traits autoritaires se sont exacerbés avec Maduro, au point de contourner la Constitution de 1999, cela avec l’assentiment du Conseil national électoral (CNE) et, initialement, du Tribunal suprême de justice (TSJ) [27].

Il faut ajouter à cela l’augmentation de la radicalité des affrontements entre les forces de choc de l’opposition et celles du gouvernement. Ce qui est le plus marquant du point de vue politique est à quel point cette situation approfondit la division au sein du chavisme. Au début du mandat de Maduro la tension se manifestait entre, d’une part, une faction civile chargée d’importants ministères tels que celui de l’Agriculture et des Terres et celui de l’Energie et du Pétrole et, d’autre part, une faction militaire, composée d’éléments actifs et retraités, dont plusieurs compagnons de Chavez depuis l’émeute de 1992, et qui dirigeaient des secteurs nationaux stratégiques. Ces derniers contrôlaient l’Assemblée nationale et le PSUV en la personne de Diosdado Cabello [28]. Mais aujourd’hui cette division, faussant la polarité initiale, s’élargit vers de nouvelles franges civiles et militaires.

En ce qui concerne les militaires, le « commando F4 » gagne en importance. Ce groupe, dirigé par d’ex-compagnons d’armes de Chavez, reproche à Maduro son éloignement de tout projet révolutionnaire, socialiste ou bolivarien, tout en soulignant la précarité économique qui affecte la troupe professionnelle et les familles des militaires [29]. De son côté, la dissidence de gauche du chavisme – dont le noyau est Marea Socialista, un collectif de politiciens et d’intellectuels chavistes critiques dont l’existence précède la crise actuelle – gagne de nouveaux appuis, y compris des ex-ministres de Chavez et de Maduro, des dirigeants politiques, sociaux et universitaires qui critiquent la « rupture des lignes de force constitutionnelles » et l’état de polarisation et de violence qui affectent le pays [30].

Les deux groupes misent sur l’ouverture d’un dialogue politique et social pour permettre un consensus national. Mais pour l’opposition de gauche, il s’agit d’alerter sur le fait que le tournant anti-démocratique pris par Maduro, qui vient s’ajouter à celui de l’opposition et qui a mis à mal le fragile régime institutionnel vénézuélien, pourrait ouvrir la porte à l’intervention étrangère. Mais cette alternative de gauche est quoi qu’il en soit peu développée et, en réalité, elle n’a pas la capacité suffisante pour diriger le processus de transition. L’orientation qu’adopte ce processus continue plutôt à être entre les mains des militaires, dont le soutien à Maduro explique en bonne partie son maintien au pouvoir.

Ce qui est en jeu après la mort de Chavez est plus que le processus de démocratisation du Venezuela, une question qui pourrait concerner la majorité des pays latino-américains. En jeu est la possibilité que se développe en Amérique latine un capitalisme national et populaire dans le cadre d’une économie internationale de tendance néolibérale. Cependant, aujourd’hui la position immédiate que devraient défendre les forces de gauche dans la région est de veiller à l’autonomie populaire dans la résolution de cette crise, en évitant toute dérive vers un nouveau pacte élitaire, qui pourrait y compris être décidé depuis l’extérieur des frontières vénézuéliennes.

4. Critique et internationalisme face à la crise vénézuélienne

Le processus vénézuélien reste très ouvert. En grande partie parce qu’il n’y a pas eu [pour l’instant] de brèche importante au sein des Forces armées. Néanmoins les conditions de vie dramatiques que connaît quotidiennement le peuple pourraient accélérer le cours des événements. Suivant quelles fractions du chavisme et/ou de l’opposition finiront pas s’imposer (ou par conclure un accord), le cours historique de Venezuela pourrait prendre une orientation imprévisible. Mais plutôt que de chercher à prédire ce que l’avenir réserve au Venezuela, nous tenons à réaffirmer quelques réflexions sur la crise du chavisme et – qu’on le veuille ou non – ce qu’héritent de cette expérience les efforts de ceux qui visent à une transformation anti-néolibérale et cherchent la faire émerger sous différentes latitudes de la planète.

D’abord, quelle que soit l’attractivité des bénéfices que procure l’exploitation des ressources naturelles pour étendre la « démocratie sociale », y compris lorsque ces bénéfices sont monopolisés par l’Etat, ce moyen impose des limites aux projets politiques de transformation. En effet, ils génèrent une extrême dépendance par rapport aux cycles économiques internationaux [prix des commodities], ils produisent des crises socio-environnementales dans les territoires exploités et entraînent en général une dépression d’autres secteurs productifs (le dit « syndrome hollandais » qui résulte d’une surexploitation des ressources naturelles et conjointement produit le déclin de l’industrie manufacturière). Il est évident que de telles critiques doivent être compatibles avec les revendications légitimes de redistribution des secteurs populaires, qui sont justement ceux qui alimentent ces expériences.

Deuxièmement, il a été démontré une fois de plus qu’il ne suffit pas de « prendre l’Etat » pour avancer dans la transformation de la société capitaliste, même si c’est avec les outils de la démocratie libérale. La tragédie que vit le Venezuela nous renvoie de nouveau aux limites historiques des gauches au pouvoir au cours du XXe siècle qui, de manière répétée, ont réduit le problème du socialisme à l’étatisme, alors qu’il s’agit au contraire de socialiser de manière permanente le pouvoir et de démocratiser de manière croissante la vie sociale.

Troisièmement il faut noter que la crise au Venezuela aura un impact énorme pour la gauche latino-américaine. Une défaite entraînerait la délégitimation de certaines bonnes idées que le chavisme a tenté de développer, et permettrait une prédominance accrue de l’influence états-unienne dans la région, cette fois par le biais de la Colombie, où les Etats-Unis disposent de bases militaires importantes. D’autant que le Brésil est également traversé par une crise politique aiguë.

Nous ne savons pas comment va se terminer cette crise vénézuélienne. Mais quelle qu’en soit l’issue nous devrons porter la lourde charge de son héritage. Nous devrons l’expliquer, apprendre de ses réussites et de ses erreurs. Mais la gauche ne pourra en tout cas pas l’ignorer, même si cela entraîne des coûts politiques (ou électoraux) importants. Au minimum nous devons sortir de ce silence intéressé, défendre le fait que notre critique à l’égard du Venezuela est destinée à radicaliser ses réussites et à ne pas les inverser, apprendre de ses erreurs, mais aussi contrer les termes qu’essaient de nous imposer la réaction et le progressisme néolibéral dont les orientations ont été les principales responsables des conditions de vie très pauvres que connaissent les peuples latino-américains, jour après jour.

Dans l’immédiat, la solidarité de la gauche latino-américaine avec le peuple vénézuélien doit s’appuyer sur son engagement critique en faveur d’une solution anti-néolibérale et démocratique de la crise, poussant pour que les forces qui représentent cette orientation s’imposent. Avec la même détermination il faudra affronter le caractère putschiste, élitaire et néolibéral que représentent les actuels agissements de l’opposition. En fin de compte, la constitution d’une gauche radicale passe aussi par le fait de récupérer l’internationalisme critique et solidaire qui a caractérisé la tradition révolutionnaire de notre Amérique latine.

(Article publié le 29 juin 2017, traduction A l’Encontre)

Giorgio Boccardo enseigne à l’Université du Chili dans le master « Les études latino-américaines ». Sebastian Caviedes est chercheur à la Fondation Nodo XXI, enseignant à l’Université du Chili

Source : A l’encontre, Giorgio Boccardo, Sebastian Caviedes, 07-07-2017

NOTES

[1] Le Pacte de Puntofiho a été conclu en 1958 entre les trois grands partis vénézuéliens. Comme expliqué dans l’article, il va se prolonger jusqu’aux années 1980. Voir Becerra, M. (2001). El colapso del sistema de partidos en Venezuela : explicación de una muerte anunciada. En Maingón, T., Carrasquero, J., y Welsch, F. (Eds.). Venezuela en transición : elecciones y democracia, 1998-2000. Caracas : RedPol, pp. 36-51.

[2] Lander, E. (2007). Venezuela : logros y tensiones en los primeros ocho años del proceso de cambio. Gobiernos de izquierda en América Latina. Un balance político. Bogotá : Aurora, pp. 39-76.

[3] Ruíz, C., y Boccardo, G. (2015). ¿América Latina ante una nueva encrucijada ? Anuario del conflicto social.

[4] Chávez, H. (1996). Agenda Alternativa Bolivariana : Una propuesta patriótica para salir del laberinto. Caracas. Recuperado de : http://minci.gob.ve/2014/03/libro-rojo/

[5] Boué, J. C. (2002). Internacionalización de PDVSA : ¿Triunfo estratégico o desastre fiscal ? Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales, 8(2), pp. 237-282.

[6] Maya, M. L. (2003). Venezuela en la encrucijada. Revista OSAL, (9), pp. 55-60.

[7] Lander, E. (2007). Op. cit.

[8] Maya, M. L. (2008). Venezuela : Hugo Chávez y el bolivarianismo. Revista Venezolana de Economía y Ciencias Sociales, 14(3), pp. 55-82.

[9] Cepal. (2016). Anuario Estadístico de América Latina y el Caribe. Santiago : ONU. Mientras en 2013 el precio promedio del crudo era de US$100, en febrero de 2016 cae a su punto más bajo al costar US$24,25.

[10] Lander, E. (2016, 12 de julio). « La implosión de la Venezuela rentista ». Aporrea.org.

[11] Buxton, J. (2016, julio-agosto). « Venezuela después de Chávez. Entrevista ». New Left Review (99), pp. 7-29.

[12] Lander, E. (2016). Op. cit.

[13] J. (2014, 19 de junio). « El peligroso fracking en Venezuela ». Aporrea.org.

[14] Telesur. (2015, 22 de octubre). « El fracking desequilibró el mercado petrolero mundial ». Telesurtv.net

[15] AVN. (2016, 27 de febrero). « Plan del Arco del Orinoco contempla industrializar potencial minero nacional ».

[16] Son las que vehiculizan más recursos económicos, especialmente del financiamiento que Estados Unidos le viene otorgando a la oposición desde 2002, a través de agencias como Usaid y la NED. Núñez, E. (2014, 5 de abril). « Usaid : ¿agencia de desarrollo o de operaciones encubiertas ? » BBC Mundo.

[17] Lewit, A. y Brito, G. (2016). « Radiografía de la MUD : análisis sobre la oposición venezolana ». Celag.org

[18] Se apuntó a la avería de 535 máquinas del sistema electrónico de votación nacional. No obstante, aun cuando sea cierta esta situación, se trata de una cantidad de votos marginal respecto al total de sufragios. Ver Rosnick, D. y Weisbrot, M. (2013, mayo). A statistical note on the April 14 Venezuelan Presidential Election and audit of results. Center for Economic and Policy Research (CEPR).

[19] Su desproporción visibilizó el fracaso del PSUV al abordar los problemas del marco electoral. El frente opositor obtuvo el 56% de los votos, mientras que el PSUV y su Gran Polo Patriótico el 41%. Sin embargo, habiendo 164 escaños en juego, 113 fueron adjudicados de acuerdo con un sistema mayoritario y los restantes 51 en razón de un sistema de lista. La súper mayoría de la MUD dependía del apoyo de tres miembros que procedían de comunidades indígenas. Pero esta se acabó cuando se descubrió que ellos estaban implicados en un fraude electoral, junto a un miembro del PSUV, siendo los cuatro inhabilitados. Ver Buxton, Op. cit.

[20] Pardo, D. (2017, 5 de mayo). « ‘Si esta es una dictadura, es la más feliz del mundo’ : ¿qué piensan y cómo ven los chavistas convencidos la crisis de Venezuela ? » BBC Mundo.

[21] Pardo, D., Op. cit. La confusión y la propaganda están a la orden del día en este punto. Recordada es la visible naturaleza de clase con que se inician las protestas contra Maduro, a poco de la muerte de Chávez, concentradas en las zonas más acomodadas de Caracas, donde personas exhibían sus camionetas último modelo y sus ropas de US$300. Weisbrot, M. (2014, 20 de marzo). « The truth about Venezuela : a revolt of the well-off, not a ‘terror campaign’ ». The Guardian.

[22] Buxton, J. Op. cit.

[23] Estos datos, ciertamente, son subestimaciones que hoy, además, se han acrecentado. Ver Cepal. (2016). Panorama social de América Latina y el Caribe, 2015. Santiago : ONU.

[24] Esto, según el acceso a una “canasta normativa de alimentos”. Ver UCV-UCB-USB. (2017, febrero). Encuesta de Condiciones de Vida en Venezuela (Encovi), 2016. Caracas : Fundación Bengoa.

[25] Cepal. (2016). Op. cit.

[26] UCV-UCB-USB. Op. cit.

[27] Este giro se expresa, sucesivamente, en : desconocer a la Asamblea Nacional de mayoría opositora (sobrepasada reiteradamente por las decisiones del TSJ) ; bloquear y postergar el referéndum revocatorio para el que la oposición había cumplido con todos los requisitos constitucionales ; postergar la realización de las elecciones a gobernador de 2016 ; y convocar a una Asamblea Constituyente, saltándose el requisito previo del plebiscito, pasando a llevar una disposición que el propio Chávez respeto en su momento.

[28] BBC Mundo. (2012, 11 de dciembre). « Un mapa del chavismo : socialistas y militares. » BBC Mundo.

[29] Santacecilia, M. (2016, 30 de mayo). « ¿Quiénes son las ovejas negras del chavismo ? » Deutsche Welle.

[30] Aporrea. (2017, 25 de mayo). « Sectores fuera de la polarización hacen llamado a detener escalada de violencia ». Aporrea.org.

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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 07:16

C'est donc le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a gouverné le Mexique pendant 71 ans, qui revient au pouvoir après 12 ans d'opposition. Son candidat, Enrique Peña Nieto, est crédité d'au moins 37,93 % des voix à l'élection présidentielle de dimanche, selon des sondages de sortie des urnes. M. Peña Nieto arriverait plus de 10 points devant le candidat de la gauche et du Parti Révolutionnnaire Démocratique (PRD), Andres Manuel Lopez Obrador.

La droite du président sortant (non rééligible) et du Parti d'Action Nationale (PAN) subit une défaite retentissante qui vient sanctionner une situation économique mauvaise et une criminalité organisée et militarisée endémique. La victoire du PAN en 2000, puis en 2006, avait sanctionné de la même manière le PRI soupçonné de corruption généralisée, de fraude électorale et d'autoritarisme. Fondamentalement rien n'a changé au PRI, il verse toujours dans l'autoritarisme et dans le clientélisme. Pour preuve, dans l'Etat de Oaxaca, le gouverneur PRIste a connu un mouvement populaire exigeant sa destitution pour les méthodes de corruption, de violence qui y était légion courante. Ceoendant, la cure d'opposition lui a cependant permis de se refaire une santé et de reconstruire sa machine électorale et ses réseaux en province pour profiter des déconvenues de la droite mexicaine.

A Mexico, la gauche conservera la mairie qu'elle détient depuis 1997, grâce à la large victoire de son candidat, l'ancien procureur Miguel Angel Mancera, qui obtient près de 60 % des voix. La candidate du PAN, Isabel Miranda de Wallace subit une déroute avec moins de 15 % des suffrages. Selon d'autres enquêtes de sortie des urnes, le PRI gagne également 4 des 6 postes de gouverneur qui étaient en jeu et en particulier dans l'Etat du Jalisco, dont la capitale est Guadalajara, deuxième ville du Mexique, et tenue auparavant par le PAN.

Il existe donc une différence profonde entre la politique dans la capitale fédérale, progressiste, et le reste du pays qui reste soumis à des éléments extrêmement conservateurs et à un encadrement notabiliaires lié à la corruption, aux forces paramilitaires et au trafic de drogue.

1701340962043.jpgLa gauche mexicaine doit se poser la question de la candidature qu'il présente au pays. Ni Cuauthemoc Cardenas, ni Lopez Obrador (en photo ci-contre) n'ont convaincu les Mexicains de leur fiabilité, alors même que la municipalité de Mexico est connue pour ses bons résultats et que le PRD présente au Mexique un projet réel de transformation du pays.

L'Internationale Socialiste doit également mettre fin à l'ambigüité qu'elle entretient depuis trop longtemps. Le PRI est, tout comme le PRD (sa scission démocratique et progressiste), membre de l'organisation social-démocrate. Les raisons de son affiliation sont anciennes et dépassées : elle date d'une époque où le PRI proposait des politiques progressistes, avait du Mexique le refuge international de tous les militants internationalistes pourchassés, et où l'IS tentait de rassembler des partis non-alignés sur l'URSS ou les Etats-Unis d'Amérique. Cependant, ce parti a choisi depuis la fin des années 1970 une stratégie néo-libérale (alignée sur le Parti Républicain US), renforçant en même temps sa tendance autoritaire et ses pratiques clientélistes et corruptrices. L'Internationale Socialiste n'a pas d'orientation claire ; son organisation est vérolée par la présence de partis qui n'ont plus rien de socialistes, alors qu'il a fallu exclure en catastrophe sous la pression légitime des "printemps arabes" le RCD de Ben Ali et de RND de Moubarak en 2011 !?! Le PRI n'a pas plus sa place dans l'IS que ces deux partis ou quelques autres.

Tout cela doit être remis sur la table pour que l'action internationale et européenne des socialistes s'ouvre à de véritables organisations progressistes capables de penser la transformation sociale à l'échelle globale.

Frédéric FARAVEL
Secrétaire fédéral aux relations extérieures du PS Val-d'Oise

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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 07:06


Barack Obama prend position en faveur du mariage... par FredMouflon

Pour la première fois, Barack Obama vient de prendre une position personnelle en faveur du mariage homosexuel. Mais il rappelle que c'est aux États de se prononcer sur le sujet.
C'est la première fois qu'un président des États-Unis d'Amérique en exercice et se représentant défend la légitimité morale d'une telle mesure.

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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 10:02

Chili : face au PS néolibéral, un nouvel espoir à gauche

Alexis Corbière - Conseiller municipal à Paris | Dimanche 18 Octobre 2009 - Marianne2.fr

Trente six ans après le coup d'état d'Augusto Pinochet, la droite ultralibérale est en mesure de revenir au pouvoir au Chili, par les urnes cette fois-ci. Alexis Corbière nous explique comment les politiques menées par la social-démocratie depuis le retour à la démocratie ont rendu possible une telle situation.
Dans moins de deux mois, le 13 décembre 2009, le premier tour de l’élection présidentielle aura lieu au Chili. Pour l’heure, la presse française n’en parle quasiment pas. C’est surprenant car il y a quatre ans, la même échéance avait suscité beaucoup d’intérêt, dont le point d’orgue fut le voyage très médiatisé de Ségolène Royal en soutien à la socialiste Michelle Bachelet qui sera élue Présidente.

S’il existe une « passion française » pour le Chili, elle n’est pas née cette fois là. Depuis près de 40 ans, ce pays occupe une place à part dans le cœur de tous les militants de gauche. Et, la fin de la dictature en 1989, puis la victoire d’une socialiste en 2006, sont apparues pour beaucoup de nos compatriotes comme la revanche posthume de ceux qui soutenaient Salvador Allende. La boucle semblait bouclée…mais la réalité est plus complexe.

Pourquoi aucun responsable national du PS ne se rend sur place cette fois-ci ? C’est que la situation locale est révélatrice de l’état de la social-démocratie mondiale. Ce qui s’y déroule actuellement mérite d’être connu. Avec Pinochet, ce ne fut pas seulement un régime militaire qui dirigea le pays pendant près de 17 ans. Ce fut aussi le laboratoire d’expérimentation pour des économistes ultra libéraux formés à « l’école de Chicago » sous la houlette du prix Nobel Milton Friedman.
 
Une véritable « contre révolution » s’est alors engagée, appliquant avec brutalité les dogmes de M. Friedman que l’on peut résumer ainsi : privatisation, dérèglementation, politiques monétaristes  et réduction des dépenses sociales. Avec l’accord des militaires, les « Chicago boys » prirent les rênes de l’économie.

En 1989, lors du retour de la « démocratie », leur bilan était sans appel : 45 % des Chiliens vivaient sous le seuil de pauvreté et les 10 % les plus riches avaient vu leur fortune augmenter de 83 %.
Le paradoxe terrible est que même 20 ans après le rétablissement des libertés publiques et l’élection discontinue de quatre Présidents issue de la Concertacion - alliance des Démocrates Chrétiens et des socialistes - la situation économique du pays n’a guère changé.

Pire, à présent, les 20 % des Chiliens les plus aisés possèdent près de 70 % de la richesse nationale, et les 20 % les plus pauvres n’en partagent que 3 %. L’ONU estime ce pays à la 12e place des plus inégalitaires de la planète. Triste record. D’autant qu’il a connu, durant les années 90, une croissance phénoménale de plus de 8 % chaque année. Ainsi, des fortunes privées colossales se sont bâties.

C’est dans ce contexte que se déroule la prochaine élection présidentielle. Au sein du PS chilien, beaucoup de voix ont réclamé une rupture avec ces politiques libérales. Elles pensaient qu’il était temps de rompre avec la Concertacion et d’engager une réelle politique de répartition des richesses accompagnée de la mise en place d’une nouvelle Constitution. Cette dernière, totalement anti démocratique, a été rédigée par Pinochet et bloque la possibilité de toute politique sociale d’Etat. 
La démission de la sociale-démocratie
Ces voix n’ont pas été entendues. Le PS chilien a même décidé de ne pas présenter un candidat socialiste à l’élection présidentielle et de soutenir dès le premier tour le responsable de la Démocratie Chrétienne (DC) - le parti du néolibéralisme -, Eduardo Frei, déjà Président de 1990 à 1994. Le secrétaire général du PS a même déclaré récemment que la DC et le PS pourrait prochainement devenir un « Parti unique ».

Refusant cette dérive du PS vers le centre droit qui nous rappelle celle actuellement à l’œuvre en Europe et ce sabordage, de nombreux dirigeants historiques du PS ont claqué la porte. C’est le cas de Jorge Arrate, ancien Président du PS, qui est devenu le candidat d’un large « Front de gauche », Juntos Podemos. Celui-ci regroupe une dizaine de formations dont le Parti communiste. Parmi ses propositions, on trouvera une augmentation des salaires de 10 % par année, la mise en place d’un authentique salaire minimum, un réel investissement pour l’école publique, une réforme fiscale… et aussi, détail important, l’élection d’une Assemblée constituante.

Dans le même temps, un jeune député socialiste, Marco Enriquez-Ominami (MEO), se présentera également en dehors de l’accord PS/DC. Il est le fils de Miguel Enriquez, dirigeant  du MIR assassiné en 1974. A gauche sur des questions sociétales, M. Enriquez-Ominami ne met pas au cœur de sa campagne les profondes réformes nécessaires pour lutter contre les injustices et les inégalités sociales qui minent le pays. Très soutenu par la grande majorité de la presse pourtant très réactionnaire, il tranche avec les autres candidats par sa jeunesse et sa campagne « marketing », inspiré de Jacques Séguéla dont il fut l’élève. Mais, il regroupe autour de lui des gens de gauche et de droite. Exemple significatif, le responsable de son projet économique est Paul Fontaine, un patron formé à « l’école de Chicago » qui, à propos de la dictature, « reconnait l’œuvre économique des militaires mais condamne les violations des droits de l’homme ». Au second tour, si MEO n’était pas présent, Fontaine votera pour le candidat de droite. Ce personnage incarne assez clairement toutes les ambiguïtés des nombreux soutiens de cette candidature « attrape-tout ».

Enfin, on trouve, comme quatrième candidat, Sebastian Pinera. Il est le candidat de toute la droite, cette fois ci rassemblée. M. Pinera est un milliardaire qui s’est enrichi sous la dictature, et dont le frère, José Pinera, était ministre de l’économie d’Augusto Pinochet.
Les politiques menées par la Concertacion depuis 20 ans et la confusion idéologique dans laquelle le PS a maintenu le pays ont créé les conditions propices à la possibilité d’une victoire de la droite. Pour l’heure, tous les instituts de sondages mettent M.Pinera nettement en tête au premier tour, et gagnant dans tous les cas de figure au second.

Qui aurait pu croire qu’au pays de Salvador Allende, 36 ans après sa mort, un héritier politique de Pinochet soit en situation d’être élu «démocratiquement» à la présidence ? C’est pourtant une possibilité dont la responsabilité repose en grande partie sur le PS chilien qui s’est totalement converti au néolibéralisme et a favorisé en cela le développement d’une grande abstention populaire.

Dans ce désastre général, seule la candidature de Jorge Arrate fait entendre des propositions pour une authentique politique de gauche. Elle remobilise un électorat qui n’en pouvait plus. C’est pourquoi en France, plusieurs partis politiques dont le Parti communiste et le Parti de Gauche la soutienne. Ne laissons pas Allende se faire assassiner une nouvelle fois.
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20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 18:00
"Les Américains n'ont pas élu un président noir, mais créole"
URL source: http://www.rue89.com/campagnes-damerique/2009/01/20/les-americains-nont-pas-elu-un-president-noir-mais-creole
Liens:
[1] http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/glissant-lidentite-relation-contre-l-identite-nationale
[2] http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/de-cesaire-a-glissant-etat-de-linsurrection-poetique
[3] http://www.youtube.com/watch?v=aHV9Ac8t9UY
[4] http://en.wikipedia.org/wiki/Template:Obama_family
[5] http://tout-monde.com/
[6] http://www.rue89.com/XXX
[7] http://www.rue89.com/explicateur/2008/06/07/etats-unis-pourquoi-barack-obama-est-il-noir
[8] http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/glissant-lidentite-relation-contre-l-identite-nationale
[9] http://tout-monde.com/
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20 janvier 2009 2 20 /01 /janvier /2009 10:57
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25 juillet 2008 5 25 /07 /juillet /2008 15:51
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