Conscient de l'impressionnant décalage entre ses paroles présentes et ses actes passés, le président de l'UDF a eu ce mot, destiné à concilier les unes et les autres : "J'ai été longtemps un jeune conformiste. Et sans doute "formiste" est-il de trop." (Le Monde du 1er décembre 2006). Cette fausse autocritique témoigne de l'ampleur du grand écart. Quelques rappels pour mémoire.
M. Bayrou est un pur produit du "système" qu'il pourfend depuis quelques mois. Entré en politique en écrivant les discours de Pierre Méhaignerie et de Jean Lecanuet, il a patiemment gravi les échelons du Centre des démocrates sociaux (CDS), creusant ainsi son sillon dans la maison mère, l'UDF. Du parti fondé par Valéry Giscard d'Estaing, il fut délégué général (1989-1991), secrétaire général (1991-1994), puis président (depuis 1998). Parallèlement à cette ascension partisane, M. Bayrou a conquis à peu près tous les mandats électifs disponibles dans le "système".
Sauf à remettre en question les repères de la science politique contemporaine, on considérera, en outre, que l'UDF a toujours appartenu à ce que l'on appelle communément la droite. N'étant pas parvenue, contrairement aux voeux de son fondateur, à supplanter le RPR, l'UDF - à l'exception de quelques débauchages obtenus par François Mitterrand - a servi, pour l'essentiel, de supplétif au parti chiraquien. Elle a, à ce titre, combattu la quasi-totalité des projets de la gauche.
Les gouvernements Balladur (1993-1995) et Juppé (1995-1997), dont M. Bayrou a été membre de bout en bout, furent des gouvernements de droite. L'intéressé semblait d'ailleurs s'accommoder de ces clivages qu'il dit aujourd'hui vouloir effacer. En mars 1991, M. Bayrou assurait au quotidien Libération que le grand parti du centre dont il rêvait ne serait pas "la roue de secours du PS" : "Ni de près ni de loin, nous ne gouvernerons avec les socialistes", prévenait-il alors.
Si on ne peut écarter l'hypothèse que le président de l'UDF soit gagné par la ferveur des nouveaux convertis, il reste que le "nouveau chemin" proposé par M. Bayrou résulte d'un itinéraire personnel très largement contraint. Lorsqu'il prend les rênes de l'UDF, en 1998, M. Bayrou se distingue en condamnant les accords conclus par plusieurs présidents de région avec le Front national. Mais son parti est déjà partiellement vidé de sa substance idéologique. La plasticité de Jacques Chirac a permis au RPR d'importer deux idées phares qui avaient fait l'originalité de l'UDF : la défense de la construction européenne et de la décentralisation. M. Bayrou va dès lors indexer l'autonomie de son parti sur sa propre ambition, la principale raison d'être de l'UDF - comme jadis le RPR pour M. Chirac - devenant de conduire son chef aux plus hautes destinées.
Les moyens n'étant pas les mêmes, M. Bayrou doit surmonter de multiples obstacles - pressions du RPR sur les élus centristes, mode de scrutin majoritaire qui favorise la bipolarisation, etc. - pour se faire entendre. Il s'y emploie, non sans un certain panache. A défaut d'être fondée sur un socle idéologique solide et spécifique, sa volonté d'indépendance personnelle est indéniable.
UNE CERTAINE INDÉPENDANCE POLITIQUE
Après avoir conduit une liste UDF autonome aux élections européennes de juin 1999, où elle obtient 9,28% des voix, M. Bayrou se porte candidat à l'élection présidentielle de 2002. S'il évoque déjà sa volonté de rassembler "de Balladur à Delors", le président de l'UDF mise alors sur la volonté présumée des Français de tourner la page Chirac. Sa campagne est peu audible, hormis deux "coups" médiatiques : le 23 février, à Toulouse, le candidat UDF s'invite à une convention de la très chiraquienne Union en mouvement (UEM, prélude à la future UMP) ; le 7 avril, à Strasbourg, il inflige une gifle à un enfant qui était en train de lui faire les poches. Son score au premier tour (6,84%) n'est pas négligeable ; mais la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen, et donc l'écrasante victoire annoncée de Jacques Chirac, ne lui laisse aucune marge de négociation.
La configuration de l'échéance présidentielle de 2007 n'était guère plus favorable à M. Bayrou. Si le député des Pyrénées-Atlantiques - en convainquant une partie de ses collègues de s'associer au vote d'une motion de censure socialiste - était parvenu à accréditer l'idée d'une certaine indépendance politique, l'espace du "renouvellement" était occupé par M. Sarkozy. M. Bayrou a donc dû hausser considérablement le ton.
C'est ainsi que l'ancienne "plume" de M. Méhaignerie s'est mué en candidat de "l'extrême centre", s'adressant au "peuple" en usant de recettes qui étaient jusqu'alors l'apanage du Front national : rejet du "système", renvoi dos à dos des deux principaux partis de gouvernement, dénonciation des médias. Dans la préface de son dernier livre (Au nom du tiers état, Hachette Littérature, 2006), M. Bayrou évoquait "un réseau opaque d'intérêts partisans, claniques, économiques, médiatiques". Le 12 novembre 2006, devant le conseil national de l'UDF, il s'en prend aux "deux candidats prétendument rivaux" qui font la course en tête. "Ils ne sont pas un duel, ils sont un duo", insiste-t-il. Le 20 septembre, M. Le Pen avait de la même façon dénoncé la "valse-hésitation" des deux favoris des sondages, qui "s'enlacent dans une sorte de tango".