Dans cette deuxième partie de l'article publié par Le Temps des Ruptures, est analysée le rôle des structures et logiques partisanes dans la défaite.
La multiplication des candidatures à gauche (écologistes compris) pour l’élection présidentielle de 2022 n’est pas inédite : on compte 6 candidat(e)s dans cette catégorie– Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. La division importante à gauche en 2022 s’est illustrée par la volonté de deux autres personnalités de prétendre à cette compétition mais qui ont finalement renoncé – Arnaud Montebourg et Christiane Taubira. Rien d’anormal, la faiblesse du nombre des candidatures présidentielles est une rareté de la vie politique française : il y avait 5 candidat(e)s du centre gauche à l’extrême gauche en 1974 ; 6 en 1981 ; 6 en 1988 ; 4 en 1995 ; 8 en 2002 ; 7 en 2007 ; 5 en 2012 ; 4 en 2017. 2022 est donc plutôt dans la moyenne. Leur multiplicité n’explique ni la victoire ni la défaite.
Les ambitions personnelles existent et il ne faut pas les sous-estimer dans le processus psychologique qui conduit à présenter sa candidature. L’élection présidentielle exacerbe ces ambitions. C’est d’autant plus vrai pour notre système politique totalement déréglé par la sacralisation progressive de ce scrutin dans nos institutions, sacralisation d’autant mortifère depuis l’invention du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2001-2002. L’électorat ne vote plus pour choisir mais pour éliminer, lui qui considère de plus en plus qu’une fois ce scrutin passé le reste n’a plus vraiment d’importance et renforce ainsi une dévalorisation du parlement déjà induite par la constitution de la Vème République (démobilisation et abstention différentielle de l’électorat dont le candidat a perdu de 2007 à 2012, et finalement 47 % de participation seulement aux élections législatives de 2017). Il rend fous les partis politiques qui deviennent pour la plupart des « machines » électorales sans idéologie, sans pensées, au service d’une ambition personnelle et « qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ». Je suis convaincu qu’il faut être « un peu fou » pour se lancer dans une telle candidature et la campagne qui l’accompagne et prétendre assumer les pouvoirs exorbitants dont disposent le président de la République française. Je partage à ce titre ce qu’avait évoqué Cécile Duflot voici plusieurs années pour expliquer sa réticence même à se présenter à la primaire interne des écologistes « J’ai toujours dit ma réticence personnelle à me présenter […] Personne ne le croit, puisque tous les politiques, paraît-il, ne rêvent que de ça. […] On peut être un peu lucide sur soi-même. Aujourd’hui, je pense que je n’ai pas les épaules assez larges pour porter seule une telle charge. […] Honnêtement, quand je me regarde dans la glace le matin, puisque c’est là, paraît-il, que ça se passe, je me dis que j’en ai peur. La présidentielle, c’est une tuerie(1). » Quelques années plus tard, elle affirmait encore : « Cette obsession totale pour la présidentielle est en train de ronger la démocratie(2). » Je partage assez largement le point de vue de l’ancienne ministre écologiste du logement et de l’aménagement du territoire.
Certes, il y a des motivations idéologiques et programmatiques. Les candidats en lice en 2022 à gauche ont tous présenté des options politiques relativement différentes. Des points de convergences existent évidemment mais, au-delà de l’incongruité politique spécifique à la France de disposer à chaque élection présidentielle de deux ou trois candidats trotskistes, on ne peut nier que l’axe réindustrialisation/nucléaire/République de Fabien Roussel n’est pas réductible dans les programmes Europe/antinucléaire/renouvelables de Yannick Jadot ou Créolisation/antinucléaire/populisme de Jean-Luc Mélenchon… La réduction des divergences ou la capacité à élaborer un compromis n’étaient pas impossibles – cela a déjà été fait précédemment quand les divergences idéologiques et géopolitiques étaient bien plus fortes – mais cela nécessitait du temps et du travail, ce qui n’a jamais été réellement voulu. Et même quand Yannick Jadot a souhaité mettre en scène un débat entre les représentants de l’ensemble de la gauche au printemps 2021, il n’est pas sûr que la réussite de l’opération fût souhaitée par son obédience politique.
En janvier 2022 (il est vrai, en pleine campagne électorale), David Cormand publiait un long papier à portée idéologique pour dénoncer « la fable de l’unité » et rappelait que les écologistes ne pouvaient être confondus avec le reste de la gauche française : pour résumer (et caricaturer), la nature et la « justice climatique » passent avant le matérialisme et la « justice sociale »(3). Ainsi il faut comprendre que, sur le temps long, l’écologie politique prétend en soi défendre un projet radicalement différent de celui de la gauche classique représentée en 2022 par Fabien Roussel, Anne Hidalgo … et même Jean-Luc Mélenchon. Cette différence justifiant pour soi une candidature distincte qui ne se réduit pas à des intérêts partisans.
On voit donc bien qu’on ne peut résumer la présence de six candidatures distinctes à des questions d’égo ou à des logiques partisanes. Nier que ces dernières existent serait cependant une tartufferie. Passons donc en revue l’existant.
POPULISME ET CÉSARISME
LFI n’existe que pour la présidentielle. Ce mouvement créé en 2016 pour la deuxième campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon avait un premier objectif : se donner les moyens de s’émanciper totalement du partenariat avec le PCF (ce qui se traduira immédiatement par la décision de tailler des croupières aux communistes dès les législatives de 2017) en appliquant à l’élection phare les principes du populisme de gauche tels que théorisés par la philosophe belge Chantal Mouffe. L’adhésion au leader permettrait ainsi de mobiliser les affects par-delà l’argumentation politique rationnelle pour créer le sentiment d’adhésion militant sur lequel repose la conquête du pouvoir : « une volonté collective ne peut pas se former sans une certaine forme de cristallisation d’affects communs et les liens affectifs qui unissent un peuple à un chef charismatique peuvent jouer un rôle important dans ce processus »(4).
En l’absence de l’implication directe et personnelle du chef, LFI est incapable de remobiliser ses sympathisants (qui se sont largement évaporés après la présidentielle), d’organiser des stratégies cohérentes et d’intéresser l’électorat lors des élections intermédiaires (Européennes, Municipales, Régionales et Départementales) : le « mouvement gazeux » n’est pas fait pour cela, car la base n’est pas réellement structurée et il s’agit essentiellement de mettre en scène une forme d’unanimisme autour des mots d’ordre du leader et du groupe dirigeant.
Créée pour la campagne du leader, l’organisation populiste ne peut vivre sans lui : la dégradation de l’image du leader lui est donc directement préjudiciable, or elle a été directement affectée par sa violence verbale en direction de ses alliés PCF, par sa violente réaction aux perquisitions de l’automne 2018 puis par son glissement philosophique illustré par sa participation au rassemblement de novembre 2019 « contre l’islamophobie » à l’appel du CCIF. Le lancement très précoce de sa candidature dès novembre 2020 vise à installer la campagne des Insoumis dans la durée en rétablissant progressivement l’image du leader et en installant l’idée que la détermination du candidat est totale et que quoi qu’il se passe on ne peut imaginer une élection présidentielle en 2022 en l’absence de Jean-Luc Mélenchon.
Cette campagne a donc commencé par un plébiscite sous la forme d’un parrainage citoyen et se poursuit par la mise en scène constante du candidat dans des meetings très travaillés, conçus comme de grands spectacles (avec talent et réussite au demeurant). La personne de Mélenchon est omniprésente sur les réseaux sociaux, amplifiée par l’action coordonnée d’une armée de militants. Cette personnalisation s’explique, il est vrai, par la nature de nos institutions, mais elle est poussée à l’extrême par LFI, LaREM et le RN.
Avec la présidentielle, LFI a remobilisé une partie de ses sympathisants qui avaient disparu pendant 5 ans et n’étaient pas intervenus dans des combats politiques qui les désintéressaient. Elle a mis en scène un parlement de l’Union Populaire, qui rassemblait en réalité nombre de soutiens déclarés et déjà acquis depuis longtemps à la cause du leader, pour masquer l’absence de ralliement politique partisan. Mais l’Union Populaire n’a pas plus fait élire Mélenchon que LFI, il a donc fallu revoir en catastrophe la stratégie du mouvement en articulant à la fois le populisme – l’appel à élire Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre (communication politique au demeurant bien ficelée puisqu’elle maintient la mobilisation et l’attente d’une partie de l’électorat) en espérant éviter cette fois-ci une trop grande abstention aux législatives – et le rassemblement de la gauche, avec des négociations marathon pour les élections législatives avec tous les partis qu’elle rejetait jusqu’ici.
On peut s’interroger malgré tout sur l’avenir promis à LFI, quel que soit le résultat des élections législatives à venir : si le leader prend effectivement sa retraite, l’organisation devra pour survivre politiquement (financièrement, cela devrait aller) soit se trouver un nouveau leader charismatique, soit se normaliser et abandonner la stratégie populiste (au risque de perdre une partie de son attractivité)… dans tous les cas, des affrontements internes au sein même du groupe dirigeant risquent d’intervenir, d’autant plus violents que le contrôle de la manne financière publique sera au cœur des enjeux.
MIRROIR AUX ALOUETTES ÉCOLOGISTES
EELV a reproduit dans cette campagne électorale la même erreur d’analyse que lors de la précédente élection présidentielle Leur score flatteur lors de l’élection européenne de 2019 (13,48 %, +4,5 points, 7 eurodéputé(e)s supplémentaires) a donné l’impression aux Écologistes qu’il ne fallait pas à nouveau passer à côté de l’élection présidentielle(5)… Les bons résultats européens des Écologistes n’ont pourtant jamais débouché sur une traduction électorale domestique de même niveau, mais l’illusion a été entretenue par la conquête d’une vingtaine de nouvelles municipalités, dont plusieurs villes majeures (Lyon et sa métropole, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Tours, Annecy, Besançon, Colombes et Besançon) qui rejoignent alors Grenoble… le taux de participations aux élections municipales est faible et aurait dû inciter les dirigeants d’EELV à plus de circonspection… Qu’importe ! les défaites des régionales (toujours sur fond de faible participation) ont été interprétées aussi comme une progression écologiste : Julien Bayou arrivé en tête à gauche d’un cheveu en Île-de-France conduit la liste d’union au second tour pour échouer ; Éliane Romani refuse l’union avec la liste de l’Appel Inédit dans le Grand Est tout en étant la seule à pouvoir se maintenir ; EELV conduit également la liste d’union en Auvergne-Rhône-Alpes avec Fabienne Grébert ; idem avec Mathieu Orphelin (ex-macroniste) en Pays-de-la-Loire… Peu importe là encore que ces listes essuient des défaites parfois cinglantes et très prévisibles au second tour, le fait de devenir dans ces régions les leaders d’un soir à gauche suffisent à leur bonheur.
Il est temps, il est l’heure… Le moment de l’écologie est venu et la jeunesse participe en masse (mais moins que dans le reste de l’Europe) aux manifestations pour la justice climatique. EELV a pour projet de s’imposer comme le nouveau parti dominant contre les libéraux/conservateurs et l’extrême droite ; elle a vocation à changer les paradigmes idéologiques qui déterminent les positionnements politiques du pays. Ici l’intérêt direct du parti rencontre un objectif politico-culturel évident : comment reprocher aux Écologistes d’avoir été présents dans l’élection présidentielle ? Ils l’ont toujours été, sauf en 2017 où Yannick Jadot s’est rangé derrière Benoît Hamon après avoir constaté des convergences massives. D’ailleurs depuis 2020-2021, les amis de Hamon qui ont quitté le PS et agrégé quelques centaines de nouveaux militants supplémentaires sont avec Génération·s dans le pôle écologiste cornaqué par EELV. Jadot rumine son retrait de 2017 : il était logique idéologiquement mais n’a pas été payant politiquement, peut-être pourrait-il réussir là où l’ancien président du MJS a échoué ?
L’intérêt du parti aussi est en jeu dans cette campagne : le quinquennat Hollande lui a coûté des élus et des financements, l’argent dépensé pour le début de campagne de Jadot est perdu. Le parti a vendu son siège pour rembourser ses dettes, son équipe de permanents est réduite. Les lendemains électoraux, fondés sur une mésinterprétation des résultats de 2019 à 2021, ont l’air radieux : un bon score à la présidentielle, c’est imposer aux partis de gauche un accord écrasant aux législatives et s’assurer des rentrées financières publiques enfin conséquentes. Au-delà de la légitimité d’EELV à défendre légitimement un projet spécifique, le parti a cru pouvoir imposer son hégémonie. Les enquêtes d’opinion (avant les résultats) ont rapidement fait déchanter les Écologistes, il était tout à la fois trop tard pour faire marche arrière. EELV n’imaginait pas cependant être sous la barre des 5 % : le non-remboursement de la campagne est un coup dur et les négociations avec LFI pour les élections législatives ont dû être d’autant plus serrées que l’enjeu des dettes de campagne est majeur.
AU PS, LE CONGRÈS EST TOUJOURS EN PRÉPARATION
Les responsables socialistes ont, de la même manière que les écologistes, pour les européennes et les municipales, mésinterprété les résultats des élections intermédiaires, notamment les régionales, de 2020 et 2021. Depuis 2017, ce parti avait – tout en refusant de faire un inventaire sérieux du quinquennat Hollande – donné quelques signes d’une réorientation un peu plus à gauche, mais somme toute assez classique pour un parti revenu dans l’opposition.
Le refus de rompre franchement avec le hollandisme (la motion Le Foll est arrivée devant celle d’Emmanuel Maurel au congrès d’Aubervilliers en avril 2018) et le rejet de toute discussion avec la France Insoumise par principe avait causé le départ des principaux responsables de l’aile gauche, Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann et leurs camarades allant poser les fondations de la future Gauche Républicaine & Socialiste, qui s’allia avec la France Insoumise aux élections européennes de juin 2019 au regard de leur proximité politique sur la construction européenne. Ces élections donnèrent une satisfaction relative au PS puisqu’il y talonnait la France Insoumise avec 6,19 % contre 6,31 %. Mais le fait qu’EELV ait fait le double de leur score et celui que le pôle écologiste se soit constitué en août 2020 ont pu convaincre un temps le Premier secrétaire du PS de se ranger derrière les écologistes. Une candidature commune social-écologiste n’était pas absurde : cela avait déjà été le cas en 2017 (avec un dénouement malheureux il est vrai), le souffle de la jeunesse mobilisée dans les « manifestations climat » et les spéculations provoquées par la crise sanitaire sur le « jour d’après » plus écolo semblait donner raison à la conversion théorique et superficielle mais survendue du PS à l’écologie ; le fédéralisme européen d’EELV était également parfaitement compatible avec l’européisme, devenu idéologie par défaut d’un PS sans boussole idéologique depuis plusieurs décennies.
Mais le ralliement du PS à une éventuelle candidature de Yannick Jadot (dans le meilleur des cas, car évidemment il est absolument inenvisageable de se ranger après une primaire écolo hasardeuse derrière un Eric Piolle, seul rival ouvertement déclaré du futur candidat à l’époque) n’est pas forcément du goût des grands élus locaux du parti : président(e)s de région et maire des grandes villes refusent de céder quoi que ce soit à des élus et militants écologistes avec qui ils ont parfois des relations plus que tendues. Alain Rousset, président très Macron compatible de la Nouvelle Aquitaine, rejette par principe toute possibilité d’accord avec EELV ; Anne Hidalgo qui n’est pas encore candidate multiplie les passes d’armes avec les écologistes de sa propre majorité municipale, dénonçant le peu de fiabilité (selon elle) de leurs valeurs républicaines. Il est hors de question pour eux qu’Olivier Faure impose au PS de ne pas présenter de candidat ; la « jeune génération » de maires PS élus ou réélus lors des municipales de mars et juin 2020 compte bien trouver quelqu’un pour porter la candidature d’un parti qu’ils considèrent comme leur propriété, bien qu’ils en méprisent la direction et ses consignes.
La « victoire » aux régionales de juin 2021 les conforte dans leur résolution. Comme les verts, ils oublient que la conservation des présidences de région par le PS s’est déroulée sur fond d’une abstention massive et d’une sur-prime aux sortants : les Français n’ont pas élu des équipes socialistes, ils ont voté pour les sortants. Qu’à cela ne tienne, l’affaire est entendue : l’orientation de centre-gauche sans beaucoup d’idée est consolidée par la réélection de présidents de région Macron compatibles ou vallsistes et les « jeunes maires » imposent la candidature d’Anne Hidalgo au forceps. Ces élus qui tiennent un PS qui a tout désormais de la SFIO des années 1960 sont convaincus que leur modération peut ramener à la « vieille maison » une partie de l’électorat qui se tournait auparavant vers le PS mais s’est découvert de centre droit avec Emmanuel Macron. C’est cette partie-là que les « hollandais » du PS voudraient récupérer, or comme il ne peut plus réellement assumer le bilan de Hollande sans en avoir même fait l’inventaire, il n’y a aucune raison que cela marche.
La catastrophe électorale ne fait bientôt plus de doute – aggravée par les erreurs de communication de la candidate mais aussi de tactique, comme avec l’appel à une primaire qu’elle finira par rejeter : certains envisagent de la débarquer pour la remplacer par François Hollande (!?) ou pour rallier en catastrophe Yannick Jadot et faire ressortir la candidature social-écologiste du placard… le bateau socialiste est ivre. Il n’y a en réalité plus d’autres choix que de continuer la campagne, au regard des sommes déjà engagées, et d’allumer des cierges dans l’attente d’un miracle qui ferait suffisamment remonter la candidate PS pour se faire rembourser par l’État. Bientôt, on en est plus à continuer la campagne que parce que s’arrêter serait plus ridicule encore.
Anne Hidalgo n’était pas encore à terre et n’a pas encore recueilli 1,7 % des suffrages exprimés que les éléphants et éléphanteaux du PS fourbissent déjà leurs armes pour un prochain congrès post-défaite, où ils pourront s’accuser mutuellement d’être responsables de la bérézina et à prétendre devenir le primus inter pares des barons locaux socialistes. Perdus pour perdus, la campagne interne de François Hollande avec Rachid Temal, Stéphane Le Foll ou Jean-Christophe Cambadélis contre un accord pour les législatives avec LFI s’inscrit dans cette logique ; il s’agit de reprendre le contrôle de l’appareil en s’appuyant sur la défaite, en espérant que cette nouvelle SFIO récupérera un jour ou l’autre les électeurs partis chez Macron… J’ai dit ce que je pensais de cette hypothèse plus haut. Olivier Faure et son équipe sont en train de brûler leurs vaisseaux : les discussions pour les législatives qu’ils ont toujours refusées jusqu’alors (au point ridicule de co-signer avec les parlementaires insoumis des recours communs au Conseil Constitutionnel alors qu’ils leur déniaient publiquement toute respectabilité politique) avec LFI marquent leur rupture avec le quinquennat Hollande qu’ils n’ont pas eu le courage de faire avant : « A minima, cela supposerait que François Hollande et Manuel Valls se posent quelques questions. Quand on me dit « Plus jamais PS » dans les rues, ce n’est pas pour me dire « Vous, Olivier Faure, qu’avez-vous fait pendant 5 ans ? » Ils me reprochent à moi ce que tous les autres ont pu faire avant. Sous le quinquennat Hollande, je n’ai jamais été « frondeur » mais je me suis battu sans être écouté : qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? J’étais minoritaire, je me suis tu ! […] Si certains ne croient plus appartenir à un espace commun de la gauche, avec les communistes, les écologistes, les insoumis, les radicaux et nous, si vous pensez que votre avenir est avec Emmanuel Macron, le mieux à faire est de partir. Qu’est-ce qu’on paie aujourd’hui ? Le manque de clarté. Les gens, quand ils voient Manuel Valls ou Ségolène Royal présentés comme socialistes à la télévision, se disent « C’est ça le PS », pensent qu’on est toujours dans l’attente de trahir quelqu’un. Ce n’est pas vrai, ceux qui sont restés, l’ont fait pour leurs convictions. »(6) Il est vrai que le premier secrétaire du PS présente les choses de manière à s’exonérer de quelques-unes de ses responsabilités (qui était justement de ne pas se taire), mais s’il avait dit cela avec la même force 4 ans plus tôt, il nous aurait peut-être épargné bien des déboires…
PERENNITÉ ET IDENTITÉ DU COMMUNISME FRANÇAIS
« Vous êtes la mort et le néant. » Dans un sms rageur et assassin, Jean-Luc Mélenchon signifie à Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, le 4 mai 2017 (3 jours avant le second tour de l’élection présidentielle) sa rupture politique avec les communistes. Voici le propos dans son intégralité : « Vous créez la confusion dans tout le pays en vous appropriant mon portrait et mon nom sans parler du logo front de gauche ! Bravo ‘l’identité communiste’. Tout ça après des mois d’injures et de manœuvres pour saboter ma campagne. Et vous recommencez ! Vous êtes la mort et le néant. 10 mois pour me ‘soutenir’, 10 minutes pour soutenir Macron. Sans oublier les accords que vous ne respectez pas. J’en ai assez. Je vais donc annoncer notre rupture politique dès mon retour à Paris. Et je vais dire pourquoi. »(7)
Jean-Luc Mélenchon reproche alors au PCF d’avoir pensé de manière autonome : partisan d’une candidature unique de la gauche anti-Hollande à la présidentielle, Pierre Laurent s’était engagé début 2016 dans le processus de la primaire de la gauche et des écologistes, tandis que Jean-Luc Mélenchon refusait tout net d’y participer. Toute l’année 2016, le PCF a tenté, en vain, de le convaincre de ne pas se lancer seul dans la présidentielle. Jusqu’à la décision tardive, en novembre 2016, de le soutenir. Le PCF n’a pas voulu non plus se plier à une campagne dirigée par les seuls proches du candidat, donc il refusera de soutenir les candidats du PCF, sauf Stéphane Peu et Marie-George Buffet en Seine-Saint-Denis qui devront accepter le cadre de la campagne législative des Insoumis. Mais le PCF, malgré la concurrence de plusieurs candidats LFI contre les siens, se sort plutôt bien des élections législatives de 2017, comparées à celles de 2012 : le PCF n’avait que 7 sortants (auxquels on peut ajouter les deux députés de la FASE), il fait élire 10 députés, mais la concurrence insoumise lui a coûté une circonscription dans l’Oise et celle de Nanterre (Hauts-de-Seine) où une de ses sympathisantes tentait de prendre la succession de Jacqueline Fraysse… Elsa Faucillon (Colombes/Gennevilliers) a manqué de peu d’être éliminée par un candidat LFI.
Le PCF maintient son groupe parlementaire à nouveau grâce à divers députés ultramarins, mais la conviction de nombreux responsables communistes est faite que la survie du parti dépend d’une attitude plus offensive et volontaire. André Chassaigne, président du groupe GDR, ne veut plus d’un secrétaire national qui reste abasourdi devant les agressions de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement qui doivent tant au PCF ; avec l’aide de Fabien Roussel, nouveau député du Nord, il va mener l’offensive contre la direction du parti lors du congrès d’octobre-novembre 2018 et à la « surprise générale » le texte alternatif qu’ils ont défendu reçoit 1 300 voix de plus que celui de la direction. Ce résultat est la conséquence directe de la brutalité de LFI ressentie par les militants communistes à l’égard de leur parti. Pierre Laurent (dont on ne comprenait pas quelle orientation il défendait réellement dans ce congrès) est battu et il en prend acte ; lors du congrès d’Ivry-sur-Seine, une seule liste est soumise aux délégués, avec Fabien Roussel comme secrétaire national du PCF et Pierre Laurent comme président du conseil national. Le texte de Stéphane Peu et Elsa Faucillon qui proposait un rapprochement plus important avec LFI n’a fait que 12 %.
L’orientation du PCF est désormais tracée : réaffirmer l’identité communiste, tout en se distançant de LFI et en actant la fin d’un Front de gauche déjà mort, pour pouvoir s’allier tantôt à LFI tantôt au PS au niveau local. Dès ce moment, la perspective d’une candidature communiste à la prochaine élection présidentielle est assumée : le PCF et ses dirigeants ont fait l’analyse que l’absence du PCF à l’élection présidentielle signait la fin rapide du parti. Les choix tactiques des élections intermédiaires vont répondre tout à la fois à ce besoin de visibilité (la liste conduite par Ian Brossat en 2019 aux élections européennes – 2,49 %) et de permettre le maintien ou la progression du nombre d’élus locaux communistes avec des alliances au cas par cas (lors des élections régionales de mars 2021, le PCF choisira de faire liste commune avec LFI en Île-de-France, Normandie et en Auvergne-Rhône-Alpes, mais d’être avec les présidents PS sortants en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie et en Bourgogne/Franche-Comté… il choisira de rester sur la liste de rassemblement de la gauche malgré l’exclusion unilatérale et injustifiée de LFI en PACA par le tête de liste écologiste. La préparation de l’élection présidentielle et de la candidature communiste, dont il devient évident que ce sera Fabien Roussel qui la portera, va bon train et elle est renforcée par l’annonce unilatérale de la candidature de Jean-Luc Mélenchon dès novembre 2020… ce dernier n’a pas même cherché à prendre langue avec des partenaires politiques éventuels et, tout au long de l’année, l’actualisation du programme présidentiel « L’avenir en commun » (AEC) ne fera l’objet d’aucune discussion avec d’autres organisations politiques.
Or jusqu’en février 2022, le candidat insoumis stagne entre 9 et 12 %, la perspective d’un second tour à gauche étant parfaitement improbable les communistes n’ont aucune raison de remettre en cause leur orientation politique et stratégique et Fabien Roussel sera désigné candidat du PCF à la présidentielle par un vote militant avec un score sans appel : 82,4 % sur quelques 30 000 votants (équivalent au congrès). Les principaux élus communistes qui ne partagent pas la stratégie de leur parti, comme Stéphane Peu et Elsa Faucillon, préfèrent se taire d’autant que le doute les a également gagnés sur la candidature Mélenchon et qu’ils ont peu goutté eux-mêmes l’agressivité globale de LFI à l’égard du PCF. On a beau jeu à quelques semaines des élections législatives de saluer l’intelligence tactique des Insoumis mais, durant toute l’année 2021, ils ont été d’une brutalité impressionnante avec leurs interlocuteurs : si l’on n’est pas avec eux, c’est que l’on est contre eux, si on ne proclame pas son ralliement à la candidature populiste c’est que l’on n’est pas avec eux, vous le paierez donc au centuple au moment des élections législatives…
La direction du PCF a donc fait le pari de la visibilité… quoi qu’il en coûte. Quelques jours après sa désignation, on craint le faux pas fatal pour Fabien Roussel, car une polémique s’ouvre sur sa présence avec d’autres responsables de gauche (mais dont on n’attend alors plus rien comme Olivier Faure) à la manifestation organisée le 19 mai 2021 par différents syndicats de policiers ; cette manifestation se transforme en démonstration de force du syndicat d’extrême droite Alliance, avec une foule qui reprend ses slogans remettant en cause des principes essentiels de l’État de droit. Libération accorde même une pleine page à Elsa Faucillon pour sermonner son secrétaire national(8). Sur le moment, et par la suite aussi, on oublie pourtant que le patron du PCF a été invité à la manifestation par la CGT Police et qu’il ne défend en rien les exigences d’Alliance(9) mais des propositions parfaitement légitimes. Les responsables politiques de gauche se sont fait piéger, ils ont pêché par naïveté en pensant que le plus bavard (et aussi l’un des plus gros syndicats) et droitiers des syndicats de policiers n’allait pas tirer la couverture à lui pour banaliser un discours mettant en cause la cohésion nationale. Mais après plusieurs semaines, la polémique se tasse.
Jusqu’à la mi janvier 2022 Fabien Roussel stagne entre 1,5 et 2 % des intentions de vote, subissant en plus la concurrence d’Arnaud Montebourg qui met en scène tout à la fois sa proximité politique avec le candidat communiste et l’impossibilité à le rallier(10). Donc la direction du PCF a prévu un financement de campagne qui soit capable d’affronter un score inférieur à 5 % des suffrages exprimés et le non-remboursement des frais de campagne, perspective la plus probable. Le candidat communiste peut donc affirmer qu’il ira jusqu’au bout sans craindre la catastrophe politique : il réaffirme l’identité communiste et la visibilité du PCF, ce qui était le principal objectif avoué de la candidature. De la mi-janvier à début avril 2022, la candidature va prendre une autre ampleur avec l’espace libéré par Arnaud Montebourg, la polémique absurde engagée contre lui par Sandrine Rousseau (dont on se demande si elle ne travaillait pas déjà en sous-main pour les Insoumis) sur l’alimentation et qui attire enfin sur lui l’attention des médias, puis le soutien des petits partis de la gauche républicaine.
Roussel a donc rempli son contrat – l’identité communiste a été réaffirmée, le PCF est redevenu audible – mais le ton qu’il a donné à sa campagne a fini par apporter une dimension supplémentaire à sa candidature, représenter une gauche de transformation sociale qui n’a pas abandonné ses racines républicaines et laïques. Avec l’accord législatif de rassemblement de la gauche, le PCF va pouvoir maintenir son groupe (avec peut-être moins de financement public toutefois) et même si ses partenaires de la présidentielle risquent de passer momentanément à l’as, ce parti redevient un pôle avec lequel il faut construire.
(1) Cécile Duflot : « La présidentielle me fait peur » – entretien accordé au Nouvel Observateur, 18 août 2010
(2) 13 janvier 2016 dans un entretien vidéo accordé à Ecorama/boursorama
(3) La fable de l’unité, 7 janvier 2022, David Cormand – https://www.davidcormand.fr/mon-blog-articles/la-fable-de-lunit
(4) Pour un populisme de gauche, Chantal Mouffe, 2018, Albin-Michel. La référence littéraire est postérieure à la campagne électorale de 2017 mais répercute les analyses précédentes de la philosophe : Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une démocratie radicale (1985-2009), Le paradoxe démocratique (2000-2014), L’illusion du consensus (2005-2016), Agonistique : Penser politiquement le monde (2013-2014), ou encore Construire un peuple co-écrit avec Íñigo Errejón (2016-2017) [Les différentes dates indiquent la publication en anglais ou en espagnol puis la publication en français.]
(5) On ajoutera qu’après les élections européennes EELV et Génération·s ont entamé des discussions qui allaient déboucher sur la création en août 2020 avec Génération Écologie, CAP21, l’AEI et le MdP du pôle écologiste ; or la liste Génération.s conduite par Benoît Hamon aux élections européennes de 2019 avait recueilli 3,27 % : 13,48+3,27=16,75 %, un « socle » à faire pâlir de jalousie toute la gauche, mais un « socle » fondé sur le résultat des élections européennes.
(6) Olivier Faure dans l’émission « Questions politiques » de France Inter, France Télévision et Le Monde, le 1er mai 2022
(7) Le Canard Enchaîné, mercredi 17 mai 2017
(8) « Elsa Faucillon : pourquoi je n’irai pas manifester auprès des policiers », tribune dans Libération, 19 mai 2021
(9) « Droit à la sécurité : Fabien Roussel défend « une police nationale de proximité« . » : tribune dans l’Humanité, 19 mai 2021
(10) Arnaud Montebourg : « La gauche a abandonné le récit national », entretien accordé à Libération, publié le 7 décembre 2021 : « Je lui ai dit une chose [à Fabien Roussel] : “Si moi je me désiste pour toi, je deviens communiste, si toi tu viens avec moi, tu restes communiste.” Franchement, ce n’est pas à 59 ans que je vais commencer une carrière de communiste. »
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