Les résultats de l'élection européenne en France, même avec des évolutions tenant à la continuité des scrutins du printemps 2017 et d'une opposition d'une nouvelle forme à l'exécutif, reprend un schéma déjà connu lors des précédentes élections européennes.
La participation en hausse rompt cependant une logique d'augmentation constante de l'abstention dans ces élections, qui tranche aussi avec le score catastrophique de la participation aux élections législatives de juin 2017. Cette hausse de la participation au profit du RN et d'EELV marque pour le coup une volonté de sanctionner l'exécutif actuel, ce qui se traduit aussi au travers du score d'autres listes à gauche.
Le score du Front National d'abord, rebaptisé pour la forme Rassemblement national...
La hausse de participation fait gagner près de 560 000 voix mais cette progression en voix est insuffisante pour avoir un pourcentage équivalent à celui qu'il avait atteint en 2014 (23,31 contre 24,86%), même en lui ajoutant le score de la liste de Florian Philippot (147 044 voix et 0,65%). Néanmoins, le pourcentage de l'extrême droite est supérieur à celui de la présidentielle et évidemment bien supérieur à celui des législatives : il faut donc considérer que le RN est en dynamique. Les dégâts créés par les politiques libérales mises en œuvre à marche forcée sous Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron nourrissent évidemment l'extrême droite, qui sert en retour d'assurance vie électorale aux Libéraux qui appellent et appelleront encore à voter pour eux « utilement » pour « faire barrage » à l'extrême droite. L'extrême marché et l'extrême droite ne s'opposent pas, ils forment un duo qui met chaque jour un peu plus la démocratie et la République en danger. La dramatisation mise en scène par LREM et Emmanuel Macron pendant la campagne a joué à plein : Emmanuel Macron a désigné à l'électorat quel était le « meilleur » viatique pour le sanctionner en identifiant clairement Marine Le Pen et le Rassemblement national. La mobilisation accrue dans les « territoires périphériques » a nourri le vote pour l'extrême, ce qui aboutit à deux conclusions : les sondages en comptant sur une participation substantiellement plus faible avaient donc surestimé le score du RN ; le sondage publié par France 2 hier indiquant que 38% des électeurs se définissant comme « Gilets Jaunes » qui auraient voté hier auraient porté leurs suffrages sur le RN, ce qui est logique puisque voulant sanctionner Macron, ils ont pris à la lettre la consigne de Macron. Le Président de la République est donc un dangereux apprenti sorcier qui a perdu le pari dont il avait lui-même fixé le prix.
Le score de la liste LREM ne sort pas nulle part...
La base présidentielle de la majorité présidentielle se maintient. Mais sur un taux de participation comparable, la majorité présidentielle s'effondre : LREM ne recueille que 5 076 363 voix et 22,4% contre 7 323 496 voix et 32,32% ; c'est donc une perte sèche de 2,3 millions de suffrages et de 10 points. En y ajoutant le score de la liste UDI, qui est à cheval entre l'opposition de droite et la majorité présidentielle, cette perte n'est pas compensée et de loin (566 746 voix et 2,5%), soit une perte limitée à 1,8 million de voix et 7,5%.
Cependant, au-delà de la prise en compte de l'irruption présidentielle et législative du parti macroniste, qui avait vocation à rassembler les libéraux de droite et de gauche autour de son « populisme libéral », il faut rappeler le score de la liste MODEM-UDI de 2014 qui avait rassemblé 1 884 565 suffrages et 8,95% des exprimés, à comparer avec les 24,91% des suffrages exprimés en 2019 pour la liste Loiseau et celle de l'UDI. L'extrême centre allié à l'extrême marché a donc augmenté de 15 points entre les deux élections européennes ; le score de LREM dans le scrutin du 26 mai 2019 s'explique donc par l'effondrement de la liste de la droite républicaine, hier 20,8% aujourd'hui 8,48% : une perte de 12,3 points qui s'est reportée sur LREM, ce qui se vérifie localement dans de nombreuses collectivités où le vote LREM remplace le vote UMP. Cependant l'effondrement de la droite UMP-LR aux européennes ne suffit pas expliquer les 22% de LREM pour le scrutin du 26 mai : il reste 3 points qui viennent de ce qui était l'électorat PS avant les présidentielles, il faut croire que plusieurs centaines de milliers d'anciens électeurs du PS ne considèrent toujours pas que l'action de l'exécutif est de droite ou alors qui s'en accommodent car ils étaient préalablement convertis aux solutions libérales qui trouvaient leur traduction dans les ambiguïtés du PS « hollandais ».
Les Européennes : un sport où les écolos gagnent à la fin ?
Les écologistes font traditionnellement de bons résultats aux élections européennes (parfois aussi à d'autres élections intermédiaires au scrutin proportionnel comme les régionales). Ils avaient émergé sur la scène politique française en 1989 avec les 10,59% de la liste Waechter ; ils sont par la suite toujours dépasser les 7% sauf en 1994 où la berezina à gauche et la violence des luttes internes au sein des Verts les avaient marginalisés. On se souvient du score de Daniel Cohn-Bendit en 2009 avec ses 16,28% : le schéma d'alors se répète aujourd'hui avec la liste EELV de Yannick Jadot, qui recueille 3 052 406 voix et 13,47%, 1,3 millions de suffrages supplémentaires par rapport à 2014. Oui la préoccupation écologique est aujourd'hui plus forte et explique la progression du vote écologiste. Mais EELV a été largement sous-estimée dans les sondages, notamment dans les dernières semaines de la campagne, qui n'avaient pas pris en compte la hausse de la participation constatée hier soir : le renfort lui vient de ce surcroît de participation « imprévu », notamment dans la jeunesse (en tout cas dans celle qui s'identifie, même vaguement, à la gauche) qui a préféré cette fois-ci voter écologiste. C'est un schéma déjà connu – disais-je – car en 2009 le vote Cohn-Bendit avait été porté à 16% par un électorat de gauche sanctionnant un PS empêtré dans ses violents débats internes portés sur la place publique après le calamiteux congrès de Reims (fin 2008).
Autre phénomène, alors que la préoccupation écologique est aujourd'hui largement partagée – tout parti de gauche se revendiquant aujourd'hui écologiste –, ni la France insoumise, ni Génération●s, ni le tandem PP/PS n'a réussi à convaincre qu'ils portaient mieux cette aspiration qu'EELV.
Reste à savoir ce qu'EELV fera de ce score ; jusqu'ici les résultats relativement positifs des écologistes ne se sont jamais reproduits à des scrutins nationaux. Personne ne sait si demain ce schéma se perpétuera. D'autant qu'il y a une ambiguïté dans le positionnement politique de Yannick Jadot et d'EELV pour l'avenir, tant au niveau national qu'européen. Après une campagne où la liste écologiste s'est extrait du clivage droite-gauche, le leader écologiste français a annoncé la construction d'un grand mouvement écologiste ayant vocation à dépasser la gauche, donc positionné sur le centre de l'échiquier politique. Peu de chances donc que ce futur grand mouvement écologiste permette d’œuvrer à la recomposition de la gauche française. Au niveau européen, la confusion est plus grande encore : à l'exception de Ska Keller, candidate des écologistes à la présidence de la Commission européenne, qui défend le rassemblement à gauche, les Grünnen qui pèseront plus que jamais dans le groupe écologiste au Parlement européen sont clairement orientés au centre et ouverts aux alliances avec les conservateurs. Il est probable que ce groupe participe dans quelques semaines à des coalitions à géométrie variables avec le PPE, le PSE et les Libéraux de l'ALDE. Les écologistes français risquent donc d'être pris dans les conflits et incohérences politiques des écologistes européens.
Les gauches, éparpillées façon puzzle...
Comme prévu, le tour de passe-passe du PS avec « Place publique » et Raphaël Glucksmann n'a pas permis d'enrayer la dégringolade d'un PS qui n'a toujours pas tranché fondamentalement avec les dérives du quinquennat Hollande. En comparant l'élection européenne avec les élections législatives de juin 2017 (participations comparables), le score du PS passe de 7,44% à 6,19%, perdant encore plus de 280 000 voix. Cette perte peut être compensée si on tient compte du score de Génération●s, dont la liste était conduite par l'ancien candidat PS à la présidentielle Benoît Hamon : 741 2012 voix et 3,27% des suffrages exprimés. Mais si on compare les élections européennes de 2014 et de 2019, la chute est radicale : la liste Glucksmann prétendait rassembler outre son micro-parti, le PS, le PRG et Nouvelle Donne ; en 2014 la liste PS-PRG recueillait encore 2 650 357 et 13,98% et la liste Nouvelle Donne atteignait 549 734 et 2,9%, soit cumulées 16,88%, à comparer avec les 9,46% cumulés des listes PP/PS et Génération●s, une chute de 7,42 points. Les responsables du PS croient avoir limité la casse avec cette élection, en se rassurant à bon compte de retrouver un score relativement proche de l'élection présidentielle (mais en de plus de 1,2 point en dessous des législatives donc) : la composition de la liste PP/PS et de ses élus raconte cependant autre chose : sur les 5 élus (en attendant que la 6e, Nora Mebarek, première secrétaire fédérale du PS des Bouches-du-Rhône, rejoigne peut-être un jour, après le Brexit, le Parlement européen), deux seulement sont membres du PS, à savoir Eric Andrieu et Sylvie Guillaume, tout deux eurodéputés sortants ; les autres sont le résultat d'un effacement du PS qui n'a d'ailleurs pas plu à tous dans ce parti, avec Raphaël Glucksmann – au sujet duquel quelques trolls de fin de campagne ont rappelé les propos violents qu'il tenait il y a peu encore sur ce parti –, Aurore Lalucq – qui avait annoncé qu'elle ne siégerait pas dans le groupe social-démocrate mais dans celui des écologistes –, et l'inénarrable Pierre Larroututrou – qui a écumé différents partis en fonction de ses intérêts personnels et dont la fiabilité légendaire l'avait même conduit à se faire temporairement virer en 2016 du parti Nouvelle Donne qu'il avait fondé. Le PS sera d'autant plus affaibli au sein du groupe parlementaire S&D dans lequel les pro-Macron sont majoritaires.
La situation à la gauche de ce pôle n'est pas réjouissante non plus mais n'est pas désespérée si on compare avec l élection européenne de 2014. Au regard de la présidentielle et des législatives, la France insoumise subit un revers évident, 13 points et 5 points en retrait avec 1 428 386 voix et 6,31% : l'élection de 6 eurodéputés de cette liste relativement inédite n'y change rien, même à titre personnel je me réjouis de l'élection de Manon Aubry la tête de liste et de la réélection d'Emmanuel Maurel qui avait effectué un premier mandat de qualité. Autre déconvenue, le score de 2,49% du Parti Communiste français (564 717 voix) qui avait réalisé une excellente campagne avec Ian Brossat et qui ne se fera donc pas rembourser ses dépenses de campagne et se retrouve sous son score des élections législatives (615 603 voix et 2,72%). On mesure à quel point la division entre ses deux listes qui défendaient des programmes quasiment identiques a été contre-productive. Néanmoins, si on compare avec l'élection européenne de mai 2014, les listes France Insoumise (alliée à la Gauche Républicaine & Socialiste) d'une part et du PCF d'autre part recueillent à elles deux près de 2 millions de voix et 8,8% des suffrages exprimés, soit 750 000 voix de plus que la liste du Front de Gauche qui réunissait le PCF et les proches de Jean-Luc Mélenchon et 2,2 points supplémentaires.
La gauche n'est donc pas morte mais divisée elle ne peut prétendre à représenter aucune alternative. Additionnées les listes évoquées dans ce paragraphe rassemblent plus de 4,1 millions de voix et 18,5% des suffrages, ce qui aurait pu représenter quelques 14 à 16 eurodéputés. La liste Manon Aubry comptera 6 eurodéputés, la liste Glucksmann 5 eurodéputés... Mais surtout une telle force éparpillée ne peut prétendre concourir sérieusement à l'élection présidentielle qui reste la clef des institutions verrouillées de la Vème République. Un rassemblement paraît nécessaire pour engager une dynamique, malgré l'inconnue du positionnement d'EELV dont une candidature séparée du reste de la gauche pourrait hypothéquer la présence de la gauche et des écologistes au second tour de l'élection présidentielle (les scores cumulées des listes PCF, LFI, Génération●s, PP-PS et EELV représentent 31,97%, de quoi être largement en tête au premier tour de l'élection présidentielle).
Ce rassemblement apparaît nécessaire mais est-il possible demain matin ? Évidemment que non : l'union est un combat ! Il faudra dépasser les reproches du PCF face à la violence de LFI à son égard, malgré leur évidente convergence programmatique ; dépasser le souvenir des noms d'oiseaux adressés par Génération●s à LFI ; dépasser la qualification de « populiste » dont le PS affuble LFI pour l'exclure des discussions et la méfiance générale de tous les partis de gauche contre le PS après des années d'hégémonisme et le quinquennat Hollande. Au demeurant, tous les partis qui expliquaient que le rassemblement était empêché par Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise n'ont pas réussi à s'unir pour autant une fois LFI mise à l'écart ; LFI ouvrant par ailleurs sa liste aux militants socialiste de la Gauche Républicaine & Socialiste.
Le PS n'a évidemment toujours pas totalement fait le deuil du hollandisme, l'ancien Président espérant revenir, son dernier premier ministre – Bernard Cazeneuve – espérant redevenir le point nodal de la « gauche de gouvernement » (typologie ne rassemblant que le PS et ceux que Cazeneuve espère pouvoir détourner de LREM, ce qui ne fait pas une majorité pour autant), les dirigeants du PS n'ayant plus largement pas compris la cohérence intrinsèque de la politique conduite par François Hollande de 2012 à 2017 et préférant ne concevoir qu'une ambiguïté originelle... Il suffit de lire le discours d'Olivier Faure sur le bilan et l'inventaire du quinquennat pour s'en convaincre. La question des élections municipales sera un rendez-vous déterminant puisque le PS espère préserver à cette occasion son implantation locale (ou plus improbablement l'étendre) et rappeler sa prédominance à gauche ; mais il n'aborde pas la préparation de ces élections avec une stratégie unifiée, car selon les endroits ses candidats tenteront des alliances à gauche, reconduisant les coalitions existantes ou s'essaieront avec des rassemblements plus ou affirmées avec LREM. Tout n'est pas tranché à ce stade, mais comme il n'est pas non plus improbable qu'une partie du PS explique à l'approche de l'élection présidentielle qu'il faudra « faire barrage » à l'extrême droite et soutenir dès le premier tour Emmanuel Macron.
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L'union est un combat, ce sera difficile mais nous n'aurons pas le choix : il faudra dépasser les sectarismes, non pas chercher à se convaincre les uns les autres que sa philosophie personnelle serait la meilleure, mais bâtir un programme de gouvernement et donner des gages sur la solidité des engagements pris. La question européenne reviendra sur le devant car tout gouvernement de gauche qui se respecte ne saurait présenter un programme sérieux sans affronter l'institutionnalisation de l'ordo-libéralisme au sein de l'Union européenne, sauf à être contraint à l'impuissance, au renoncement et donc à l’opprobre de ses électeurs.
Sur cette voie, la Gauche Républicaine & Socialiste peut être utile car depuis sa fondation elle propose de créer un nouveau Front populaire ; « Place publique » pourrait également être utile car elle pourrait peser sur le PS pour rompre plus nettement avec le hollandisme.
2019, « Gauche, année zéro » : retroussons nous les manches !
Frédéric Faravel
A Bezons dans le Val-d'Oise, commune populaire ancrée à gauche, la participation aux élections aux élections européennes a également augmenté entre 2014 et 2019 de 4,4 points et de plus de 800 votants, mais n'a pas dépassé les 37%. C'est peu de dire que le scrutin de dimanche n'a pas de signification politique déterminante.
Néanmoins on peut tirer quelques éléments :
- le Rassemblement national perd 5 voix et 3.4 points : la hausse de participation ne lui a pas profité ;
- LREM arrive en tête avec 1121 voix et 20,05% et remplace globalement la représentation de la droite républicaine (LR fait 4,94% quand l'UMP rassemblait 15,4% en 2014) en conservant les voix qui s'étaient portés sur la liste centriste en 2014 ;
- Le score du PS et de ses alliés (Place publique, PRG, Nouvelle Donne) s'effondre par rapport aux listes présentées en 2014 par le PS et Nouvelle Donne en passant d'un résultat cumulé de 685 voix et 14,4% à 330 voix et 5,9%. Il faut y ajouter Génération.s dont les représentants locaux n'ont pas grand chose à voir avec le PS : 307 voix et 5,49%. Ensemble ils perdent 3 points entre 2014 et 2019 ;
- Le score du Front de Gauche en 2014 (891 voix et 18,73%) se retrouvent en 2019 dans le cumul des listes concurrentes du PCF (313 voix et 5,6%) et de la France insoumise (alliée à la Gauche Républicaine & Socialiste) qui recueille 638 voix et 11,41%. A elles deux, elles cumulent 951 voix mais seulement 17% (décalage dû à la hausse de la participation).
Plus que jamais à Bezons, la question du rassemblement de la gauche autour de Dominique Lesparre, maire communiste de la commune, sera donc un enjeu majeur. Si les acteurs de gauche de la commune sont prêts à le faire, l'attitude des représentants locaux du PS, qui se sont rapprochés à grand pas de LREM ses dernières semaines, fait peser un danger lourd sur l'avenir de la ville : à nous de le conjurer.
Frédéric Faravel