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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 18:38

Depuis mai 2012, la France et les Français ont découvert peu à peu qu'ils avaient la "gauche la plus bête du monde" après avoir compris depuis longtemps qu'ils bénéficiaient de la "droite la plus bête du monde" : rien que cela explique une bonne partie des résultats électoraux d'avril, mai et juin 2017 qui a permis à Emmanuel Macron d'opérer un hold-up néo-libéral autoritaire sur le pays en profitant du rejet nécessaire de l'extrême droite au second tour de l'élection présidentielle. Le PS de François Hollande s'est progressivement suicidé en suivant aveuglément le précédent président de la République qui tournait le dos à ses engagements de campagne et menant même une politique contraire à celles annoncées, aux intérêts des classes moyennes et populaires et plus largement de notre pays. Une alternative à gauche n'a pas pu s'imposer, la gauche n'a pas pu se rassembler aux législatives de 2017 avec le mouvement La France Insoumise, qui défendait la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, ce qui aurait limité la casse et fait émerger une opposition parlementaire de gauche solide. Depuis elle n'en finit plus de se décomposer, la recomposition n'étant pas prévisible dans un avenir rapide ; le PS hésite toujours entre les tenants d'une opposition plus mécanique qu'idéologique, ceux qui refusent d'opérer un bilan critique sérieux du quinquennat calamiteux de François Hollande et ceux qui veulent éviter d'insulter l'avenir et se ménager une capacité d'alliance avec le mouvement du Prince Président (ce qui le disqualifie durablement pour être le pôle de la future recomposition). Les élections européennes avec son scrutin proportionnel et des divergences importantes sur la question européenne - eurobéats d'EELV et du PS, euronaïfs du PS et de Génération.s, eurocritiques de LFI, GRS et du PCF... La proposition de dernière minute faite par Génération.s d'une "votation citoyenne" pour opérer un rassemblement artificiel était vouée à l'échec et ses promoteurs le savaient : ils ne l'ont faite que pour réaliser un petit coup de communication  politique afin de tenter de sortir de l'impasse dans laquelle le mouvement de Benoît Hamon s'est enfoncé.

Je suis évidemment toujours ouvert à la discussion, le parti dans lequel je milite aujourd'hui - la Gauche Républicaine & Socialiste - souhaite promouvoir la construction d'un nouveau Front Populaire, capable de rassembler toutes les forces de gauche de notre pays – au-delà des partis et mouvements – pour proposer une alternative politique, conquérir le pouvoir et transformer la société durablement.

Je me permets de vous faire profiter de quelques réflexions :

  • S'engager dans la campagne des élections européennes sur une liste commune implique que les parties prenantes s'accordent sur le projet et les causes qu'elles défendent. Ainsi GRS s'est engagée aux côtés de La France Insoumise sur la liste « Maintenant, le Peuple » pour défendre un projet européen antilibéral, qui remette la souveraineté populaire, la solidarité économique et sociale et l'impératif de la transition écologique au cœur des débats. Un certain nombre de projets concrets, qui impacteraient le quotidien des citoyens européens et français, seront défendus lors de la campagne, mais nous devons aussi profiter de celle-ci pour faire prendre conscience à nos concitoyens de la situation délicate dans laquelle se trouve la construction européenne : d'année en année, traités et directives ont été empilées (souvent contre l'avis des peuples européens) qui constituent aujourd'hui une constitution ordo-libérale de fait de l'Union européenne qui met en cause l'exercice concret de la démocratie (à l'échelle européenne comme à l'échelle nationale), enfermant l'Union européenne et ses États membres dans une logique d'austérité permanente, les soumettant aux dogmes de la « concurrence libre et non faussée » et du libre-échange généralisé, aggravant les déséquilibres économiques structurels au sein de l'Union et sapant la confiance des citoyens dans l'idée européenne et la démocratie elle-même. C'est pourquoi je considère qu'il est impératif dans cette campagne d'expliquer à nos concitoyens que la réorientation nécessaire de la construction européenne impose de remettre en question les traités actuels ainsi que des directives comme le 6-pack et le 2-pack. Selon nous, ceux qui expliquent que l'on pourrait opérer cette réorientation dans le cadre des traités actuels bercent d'illusions dangereuses les citoyens français et européens. Nous ne pouvons attendre une improbable majorité de gauche au Parlement européen – si tant est qu'elle soit en mesure de converger à court terme sur le fond –, car les institutions européennes font du conseil européen le maillon essentiel du dispositif : c'est à un gouvernement de gauche en France qu'il reviendra de proposer une nouvelle voie à ses partenaires européens, et en cas de refus de renégocier les traités prendre les mesures unilatérales (dénonciation des directives « travailleurs détachés » ou « aides d’État », refus d'appliquer les cadres budgétaires d'austérité, etc.) aptes à remettre les récalcitrants autour de la tables des négociations.

  • Aussi cette proposition de « votation citoyenne » arrive bien tard – à moins de deux mois du dépôt des listes. Elles est émise après de nombreux ultimatums et polémiques adressés aux uns et aux autres. Certains auraient quitté les « rivages de la gauche » ou seraient retombés dans le « ni droite, ni gauche », Benoît Hamon indiquant conduire la « seule liste de gauche », d'autres étant sommés (à raison) de rompre avec le PSE et son candidat libéral à la présidence de la Commission européenne - Frans Timmermans - (exigence qui aurait eu plus de cohérence si les parlementaires défendant cette position n'étaient pas eux-mêmes membres du groupe parlementaire du PSE). On est donc passé d'une semaine à l'autre de conditions impératives adressées à des partenaires vilipendés à une disparition complètes de ces conditions. Il eut été préférable selon moi de débattre collectivement voici plusieurs mois pour constater convergences et divergences et vérifier si nous étions avec d'autres en capacité de porter un projet commun. Génération.s avait été sollicité directement en ce sens en juin 2018 par Jean-Luc Mélenchon pour un tel processus, proposition refusée sous l'accusation de « nationalisme » supposé de celui qui leur avait tendu la main.

  • Le cadre logistique de cette consultation interroge aussi : elle ne respectait pas les conditions élémentaires de transparence et de la RGPD, mais surtout son processus paraissait d'une très grande complexité. Il s'agirait tout à la fois d'un vote préférentiel sur les candidats et sur le projet porté. Si je considère que les questions de personnes restent secondaires, je suis perplexe sur la méthode qui était proposée pour construire le projet commun. Or comment un parti peut-il s'engager dans un tel processus sans avoir aucune garantie sur l'équilibre final du projet qui sortirait de cette « votation » ? Génération.s aurait sans doute répondu que cela dépendrait de la capacité des uns et des autres à convaincre les citoyens qui souhaiteraient voter... Mais que faire si en bout de course le projet issu de la « votation » était déséquilibré, dans le sens qu'il ne contiendrait plus grand chose des priorités principales de telle ou telle organisation participante ? Celles-ci seraient contraintes de se déjuger, expliquant qu'elles ne peuvent pas décemment défendre un projet qu'elles ne partagent pas. L'effet serait désastreux pour tous.

Il me paraît in fine que le processus proposé comportait quelques difficultés majeures. Restait la possibilité que les mouvements et partis de gauche se mettent autour d'une table – en toute transparence – pour s'accorder si possible sur un projet commun pour les élections européennes. Cette dernière méthode me paraissait à la fois plus transparente et moins aléatoire. En abandonnant comme prévu sa proposition de votation et ne proposant pas l'autre solution, Génération.s a démontré le sens de sa manœuvre.

Frédéric Faravel

Ce que j'ai pensé de la proposition de dernière minute de Génération.s pour une "votation citoyenne" sur les élections européennes de 2019
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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 17:40
Traité d'Aix-la-Chapelle : fuite en avant ordo-libérale et naïveté érigée comme politique

L'affaire est entendue dans la presse française depuis quelques jours : du fait de la large diffusion d'une fakenews selon laquelle (suite à un raccourci assez ridicule d'un élu du parti de Nicolas Dupont-Aignan) la France par ce traité vendrait l'Alsace-Moselle à l'Allemagne, tout opposant au traité qui sera signé à Aix-la-Chapelle mardi 22 janvier 2019 par la Chancelière allemande Angela Merkel et le Président de la République française Emmanuel Macron serait désormais un dangereux complotiste.

Tout juste a-t-on entendu vendredi 18 janvier Pierre Haski, qui a succédé sur la même ligne à Bernard Guetta dans la chronique de la matinale de France Inter intitulée "Géopolitique", que les deux gouvernements étaient condamnables pour n'avoir toujours pas officiellement publié le texte du traité d'Aix-la-Chapelle, nourrissant ainsi (c'est vrai par ailleurs) les pires théories du complot. Or ne pas publier pose problème non seulement parce que les manipulateurs peuvent s'emparer du vide pour raconter n'importe quoi, mais parce que c'est le symptôme final de la méthode non transparente et non démocratique qui a présidé à l'élaboration dudit projet de traité.

En effet, avez-vous lu le traité ? Savez-vous même seulement où vous pouvez le trouver ? parce que ce texte qui va être signé mardi à Aix-la-Chapelle et que les parlementaires seront amenés à ratifier ou non, sans pouvoir l'amender, ces derniers jusqu'ici n'en ont eu connaissance (y compris les présidents des assemblées) que lorsque des journalistes voulaient bien leur transmettre le texte. Pour les besoins de mon activité professionnelle, j'ai fini par l'obtenir et ça donne l'impression d'un truc caché qu'on se passe sous le manteau. Donc je suis sympathique je vous le joins à la fin de cet article. Lorsque la presse s'énervait contre la fakenews sur la vente de l'Alsace, il n'était pas toujours publié sur le site du ministère des affaires étrangères, du premier ministre ou de la présidence de la République. Nous en sommes arrivés à un point où un traité important sera signé mardi en grande pompe, annoncé à plusieurs reprises depuis la commémoration du cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée, sans que les citoyens français ou leurs représentants n'aient été informés officiellement de son contenu [Le site de l'Elysée induit en erreur le visiteur car il indique que l'article sur le traité a été publié le 8 janvier ; or ce traité n'a été mis en ligne sur cette même page que vendredi 18 janvier avec actualisation de la page du 8 janvier].

Alors soyons relativement détendus, personne ne considère qu'il faille remettre en cause l'amitié franco-allemande. Mais ce n'est pas le propos du traité qui ambitionne désormais de franchir une étape décisive dans l'intégration des politiques économiques, sociales, diplomatiques et militaires de la France et de l'Allemagne. Or autant le traité de 1963 signé par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle permettait de mettre un terme symbolique à la confrontation entre nos pays et de mettre l'Allemagne sur un pied d'égalité avec la France ce qui était sans doute nécessaire pour entamer la construction européenne, l'ambition du nouveau traité pose de nombreuses questions car le contexte et le rapport de force a changé. En effet, il n'est pas sûr aujourd'hui qu'il soit opportun d'approfondir la fable du couple franco-allemand, quand celui-ci fonctionne depuis plus de quinze ans à sens unique. La France et l'Allemagne ont beau être des voisins pacifiques et aimables dont les liens sont nombreux, il n'est pas possible de dire qu'aujourd'hui les deux pays aient les mêmes intérêts [sur le malentendu du "couple franco-allemand, lire le début de l'excellent article d'Emmanuel Maurel publié le lundi 21 janvier 2019].

Du traité d'Amsterdam au TSCG c'est essentiellement aux exigences allemandes que les "avancées" de la construction européenne ont répondu, sans jamais répondre aux attentes (bien peu défendues par nos gouvernements successifs au demeurant) d'un renforcement des logiques démocratiques et d'arbitrages politiques (lire l'entretien de David Cayla dans Le Figaro sur l'incapacité de l'Union européenne à négocier). N'oublions pas non plus le rapport de force économique et politique qui s'est depuis 1963 largement renversé en faveur de l'Allemagne : le commissaire européen (allemand) Gunther Oettinger a voici quelques semaines à nouveau exigé que des procédures de sanction à l'encontre de la République française pour déficit excessif, après que le gouvernement Macron-Philippe a fait mine de lâcher quelques 10 milliards d'euros pour calmer les "gilets jaunes" quand l'Allemagne enfreint les règles européennes depuis de nombreuses années sans jamais rien craindre (lire l'article de Marie-Noëlle Lienemann) ; la nouvelle présidente de la CDU qui a succédé à ce poste à Angela Merkel et qui lui succédera sans doute à la Chancellerie s'est permis de faire la leçon aux citoyens français (Lire son entretien au journal Le Monde). Il y a donc quelques raisons sérieuses de s'interroger sur l'opportunité d'un tel traité aujourd'hui et surtout sur la pertinence de son contenu.

Dans les faits, l'intégration européenne dans le cadre des directives et traités actuels a aggravé - contrairement à ce qui était "imaginé" - les divergences structurelles des économies européennes, dont l'un des symptômes les plus évidents est la divergence des balances commerciales entre les pays du sud de l'UE et les pays du nord et du centre de l'UE (au premier chef l'Allemagne). De fait, la France et l'Allemagne n'ont pas les mêmes intérêts économiques, notre pays étant à ce titre plus proches structurellement des préoccupations de l'Espagne et de l'Italie. La ratification du traité d'Aix se ferait donc dans une situation durable si ce n'est pérenne de rapport de force défavorable à la France, qui aurait sans doute plus intérêt à coordonner sa position avec l'Espagne et l'Italie qu'avec l'Allemagne. Cette ratification impliquerait que la France renforcerait au sein de l'UE la position déjà hégémonique de la RFA, voire finirait au même titre que les Pays-Bas, le Danemark ou la République tchèque dans son hinterland économique.

texte du projet de traité d'Aix-la-Chapelle, tel qu'il m'a été transmis mercredi 16 janvier 2019

Traité d'Aix-la-Chapelle : fuite en avant ordo-libérale et naïveté érigée comme politique

Ce Traité vise à faire converger les économies et modèles sociaux de la France et de l’Allemagne : « Ils s’efforcent de mener à bien l’achèvement du Marché unique et s’emploient à bâtir une Union compétitive (…) promouvant la convergence économique, fiscale et sociale » (art.1). La priorité franco-allemande au sein de l'Union européenne est-elle l'achèvement du marché unique ? La priorité française au demeurant doit-elle seulement l'être quand on voit à quel point le résultat des logiques de la construction européenne fondée sur le marché unique ont conduit à une surdomination allemande ? Au regard du rapport de force politique actuelle, la convergence des normes se fera vers le bas : c'est la logique allemande entamée avec Hartz IV et qui a entraîné une logique de descente des droits sociaux et économiques pour tenter de reconquérir en vain un peu de compétitivité. C'est en tout cas le prétexte choisi pour porter les lois Macron et El Khomri puis les ordonnances travail. Austérité budgétaire et lois Hartz définissent le modèle économique et social allemand : il n’est pas souhaitable que la France se rapproche de ce modèle. Est-ce donc une convergence vers les lois anti-sociales de l’Allemagne qui nous attend : jobs à 1€, lois Hartz (durcir l’accompagnement des chômeurs afin de les forcer à accepter un emploi, même sous-qualifié, encourager l’usage des « minijobs », ces emplois à temps partiels précaires plafonnés à 450€, sans cotisation sociales ni retraites)…

L’accord vise à ce que les deux Etats établissent des positions communes en matière de politique européenne et « se coordonnent sur la transposition du droit européen dans leur droit national » (art.2). C'est un évident déni souveraineté et d’édiction de notre politique européenne, ainsi qu'un affaiblissement du pouvoir législatif de chaque pays.

Les articles 4 et 8 imposent des rapprochements sans doute excessifs à ce stade entre la France et l'Allemagne, alors que nos conceptions diplomatiques sont régulièrement assez nuancées l'une par rapport à l'autre, au sein de l'OTAN ou encore à l'ONU. C'est là que l'engagement de faire de l'attribution à l'Allemagne d'un siège permanent au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies la priorité diplomatique de la France créerait évidemment un précédent caractérisé par l'absence de la plus élémentaire des règles de prudence : tout le monde sait qu'il n'existe pas de rapport de force politique le permettant. On peut considérer que l'existence de cinq membres permanents issus des rapports de force de la seconde guerre mondiale est anachronique, mais si l'Allemagne pouvait avoir des arguments pour y accéder en 2019, combien d'autres Etats pourraient faire valoir 1- qu'il n'est pas tolérable que trois pays européens siègent de manière permanente au Conseil de Sécurité ; 2- qu'ils ont autant d'arguments ou plus que l'Allemagne pour y siéger (ex. si on prenait le critère de la propriété d'un arsenal nucléaire, il faudrait tenir compte de l'Inde, du Pakistan, d'Israël, de la Corée du Nord, mais vraisemblablement pas de l'Allemagne). On voit bien que de cette priorité diplomatique qui ne rencontrera que frustration ne fera que débouché sur une autre : le partage du siège permanent de la France avec l'Allemagne  (qui décide ensuite, qui définit, etc. ?) puis sa confiscation par une Europe diplomatique qui n'existe pas.

Ce Traité vise à resserrer les liens entre les citoyens et les entreprises de part et d’autre de la frontière, ainsi, « les deux Etats dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières comme les eurodistricts de compétences appropriées » (art.13). Or le projet d’accord parlementaire franco-allemand (en pièce jointe plus bas, nous en reparlerons) impose à l’Assemblée nationale et au Bundestag de favoriser le développement de la coopération transfrontalière en harmonisant et en simplifiant le droit en vigueur « Lorsqu’il n’est pas possible de surmonter autrement les obstacles juridiques entravant la réalisation de projets transfrontaliers communs, l'Assemblée nationale et le Bundestag promeuvent l’adoption de dispositions permettant de déroger aux règles du droit national » (art.14).

Le chapitre 6 précise l’organisation que cette coopération renforcée prendra : Des réunions entre les gouvernements des deux Etats ont lieu au moins deux fois par an ; adoption par le Conseil des ministres franco-allemand d’un programme pluriannuel de projets de coopération franco-allemand ; un membre du gouvernement d’un des deux Etats prend part une fois par trimestre au moins et en alternance au conseil des ministres de l’autre Etat (art.24) ; désignation de secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande s’assurent du suivi et des progrès accomplis (art.25). En prévoyant que le droit français et un droit étranger doivent s’élaborer ensemble, ce Traité envisage des limitations de souveraineté inquiétantes. Ce Traité, qui propose une quasi union politique et juridique avec l’Allemagne, représente une limitation historique du rôle du Parlement et de la souveraineté nationale plus largement. Ce Traité est marqué par une absence totale de remise en question des règles qui régissent l’UE à l’heure actuelle, ce Traité s’inscrit docilement dans le cadre des Traités européens actuels. Pourquoi pas une coopération avec d'autres Etats que l'Allemagne (Italie, Espagne, Portugal, Grèce) ?! Cette façon de penser l’Europe comme devant être dominée par les oligarchies germano-françaises est extrêmement problématique.

Or lorsque je parle ici de souveraineté nationale, ce n'est pas par un attachement romantique à la Nation française qui serait plus "aimable" à mes yeux qu'un autre nation, c'est la souveraineté nationale est le cadre de la souveraineté populaire : c'est-à-dire le seul endroit où les citoyens prennent par le vote des décisions démocratiques en élisant leurs président de la République, en vivant sous une constitution qui a été sanctionnée par le peuple français, en élisant leurs représentants chargés de voter les lois et contrôler le gouvernement. Jusqu'à preuve du contraire, les citoyens français ne peuvent trouver comme citoyens européens aucune disposition équivalente à l'échelle européenne, on peut d'ailleurs le regretter, quelles que soient les regrettables limitations de leur souveraineté démocratique qu'impliquent à la fois le parlementarisme rationalisé et les transferts de compétences et de souveraineté qu'ils ont concédés à l'Union européenne.

L'accord parlementaire hors traité entre l'Assemblée Nationale et le Bundestag vise à mettre en place une assemblée parlementaire franco-allemande hors traité d'Aix-la-Chapelle qui aurait pour "rôle de veiller à la bonne exécution des décisions du conseil des ministres franco-allemand et de porter dans les Parlements nationaux les lois utiles à une meilleure coopération entre les deux pays". On pourrait considérer que c'est donc un outil aussi nécessaire qu'utile une fois que le traité d'Aix-la-Chapelle aura été signé. Or cette assemblée pose deux principaux problèmes : elle est uniquement consultative et propositionnelle ; en partie chargée d'une mission de contrôle de l'exécutif qui est celle du Parlement dans son ensemble, elle prétend donc remplir cette mission sans tenir compte en aucun cas du Sénat, ce qui contrevient à la réalité institutionnelle française. Certains considéreront que le Sénat est anachronique, cependant conjoncturellement on a pu constater son utilité du fait du contrepoids qu'il représente par rapport à l'Assemblée Nationale et de sa diversité politique interne. Il faut dénoncer le déséquilibre institutionnel et l'accroc au bicamérisme que cela représente. L'argument de l'impossibilité d'associer le Bundesrat en miroir si le Sénat rentrait dans le jeu n'est pas pertinent car cette assemblée n'est pas considérée comme strictement parlementaire...

Il y a un déséquilibre institutionnel de fait entre la France et l'Allemagne tenant aux prérogatives énormes de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En l'état, l'adoption du traité d'Aix impliquerait pour aboutir à la systématisation de positions communes au sein de l'UE et d'évolutions législatives dans nos deux pays d'être de fait soumis aux arbitrages de la Cour constitutionnelle allemande sans qu'il y ait possibilité de réciprocité du côté français. Il y a donc ici peut-être (je ne suis pas suffisamment compétent en la matière) un biais pour suggérer que la ratification du traité nécessiterait éventuellement une révision de la constitution française, donc un Projet de loi constitutionnelle impliquant un vote conforme des deux assemblées et une majorité des trois cinquièmes du parlement.

* * *

En l'état, ce traité ne peut être ratifié et nous devons engager une campagne contre lui et pour qu'il soit soumis à référendum. Ce doit être un engagement qui doit pouvoir rassembler la gauche qui pourrait enfin se dégager des derniers restes d'euronaïveté. Au regard de la défiance diffuse des citoyens avec la construction européenne, et plus particulièrement du sentiment de déni démocratique qu'a représenté le contournement du vote référendaire sur le projet de traité constitutionnel européen, il semble illusoire de penser que l'on puisse au demeurant aujourd'hui ne pas rechercher l'aval du suffrage universel pour ratifier des traités dans le cadre européen, qu'ils concernent les affaires de l'Union proprement dite ou qu'ils aient été négociés par l'UE (c'est le cas du CETA ou du JEFTA). Le traité d'Aix-la-Chapelle propose à la France de fuir en avant en s'alignant sur l'Allemagne pour approfondir l'Union européenne, cela revient donc à proposer d'aggraver encore la logique ordo-libérale qui avait été exigée par la RFA et à renforcer encore sa mainmise économique donc politique sur l'Union. Un tel choix ne peut plus se faire sans le peuple.

texte de l'accord parlementaire entre l'Assemblée nationale et le Bundestag, tel qu'il m'a été transmis mercredi 16 janvier 2019

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8 octobre 2018 1 08 /10 /octobre /2018 13:50
Quelques raisons de m'engager (encore) pour un texte sur l'Europe plus sérieux que celui de la direction du Parti socialiste
Je n'ai pas pu - pour des raisons personnelles - venir samedi lors de l'université politique de la fédération du Val-d'Oise du Parti socialiste ; je le regrette car j'avais participé à sa préparation.
Adélaïde Piazzi m'a cependant fait le compte-rendu des débats et des interventions des invités - Christine Revault-d'Allones et Luc Carvounas. Je ne doute pas de la qualité des échanges mais je veux pouvoir préciser ou corriger ce qui a pu être dit globalement ou lors de discussions individuelles à certains de mes camarades.
  1. 1. La direction du Parti socialiste ne souhaite pas s'engager dans une dynamique de rassemblement de la gauche ; sa stratégie est d'attendre le retour des électeurs déçus par Emmanuel Macron et qu'il ne faudrait donc pas effrayer en opérant un inventaire trop important du quinquennat... J'ai moi-même eu la possibilité d'échanger directement avec Olivier Faure voici une vingtaine de jours lors d'une réunion à Solférino en ces termes : "Olivier, tu me dis que le texte que vous proposez va être très ancré à gauche parce que vous nous auriez fait des concessions importantes (dommage d'ailleurs que vous pensiez que ce sont des concessions pour aboutir à un texte qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celui qu'on avait adopté avant les précédentes élections européennes). Donc si c'est le cas, il n'existe plus de divergences insurmontables (des différences il en reste, des débats on en aura encore évidemment) qui empêche de discuter avec l'ensemble de la gauche ; vous pourrez donc appeler publiquement les autres organisations de gauche à se mettre autour de la table et discuter ensemble dès les européennes ?" Réponse : "Non, on ne le fera pas !"
  2. 2. Christine Revault d'Allones, députée européenne et présidente de la délégation socialiste française, aurait salué le travail d'Emmanuel Maurel comme député européen : il faut se rappeler que la délégation socialiste française au Parlement européen lui a reproché son vote CONTRE Jean-Claude Juncker, qui était notre adversaire aux européennes, à la présidence de la commission européenne ; qu'Emmanuel a reçu un blâme du groupe "socialiste & démocrate" pour avoir voté contre le TAFTA sans être soutenu par la DSF. Ces hommages arrivent comme un cheveu sur la soupe et bien tard...
  3. 3. Que vaut l'engagement répété sur tous les tons ce samedi encore, qu'on va voir ce que l'on va voir et que "cette fois-ci" on ne ferait plus de compromissions avec le droite et les libéraux européens ? La direction du Parti a refusé de répondre à notre demande d'exiger des conditions fermes du PSE :
    • -> dire qu'on ne soutiendra le Manifesto (programme commun du PSE) qu'à la condition que celui-ci ait un véritable contenu et que celui-ci ne soit pas contradictoire avec ce que l'on défend dans le texte du PS ;
    • -> dire qu'on ne soutiendra pas n'importe quel candidat du PSE à la présidence de la commission européenne : or tous les candidats putatifs restant sont favorables à un accord avec la droite européenne, au minimum avec sa version libérale et macroniste, en parfaite contradiction avec ce qui est affirmé aujourd'hui par le PSE (coquille vide) et le PS.
    • -> Comment donc croire que la direction du PS tiendra ses engagements d'aujourd'hui alors qu'elle refuse clairement de prendre position sur ces sujets dans le PSE ?
  4. 4. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter d'un texte qui ressemble par bien des aspects à ceux que nous rédigions à la veille des précédents scrutins européens, et que nous oublions tout de suite après à la demande du PSE. Les socialistes français ne sauraient donc se contenter d'un texte énumérant de bonnes intentions sans rien dire des moyens et du chemin à prendre pour avancer vers leur mise en œuvre.
    Sans analyse sérieuse de l'état de l'UE et de notre action passée, nous sommes condamnés à ne pas être crédible et à reproduire les mêmes erreurs.Seuls des choix clairs, des ruptures fortes, des engagements solennels nous permettront de surmonter les défis actuels. Si nous voulons que les élections européennes marquent le début de la reconquête, nous devons nous astreindre à un devoir de sincérité.
    Faute de volonté politique, ou par adhésion, la social-démocratie européenne a accompagné l’avènement de l’Europe libérale. Les 5 dernières années en ont hélas donné une preuve supplémentaire : non, nous n'avons pas obtenu plus de solidarité dans la zone euro ; oui, les déséquilibres économiques structurels entre l'Allemagne et l'Europe du Sud menacent sa cohésion et celle de l'UE ; oui, la ratification du TSCG nous a causé, à nous et à l'UE, un grand tort ; non, la Grèce et les Grecs n'ont pas été sauvés… Or là encore la direction du PS raconte le contraire et ne veut pas s'engager dans un inventaire sérieux du quinquennat Hollande que ce soit sur l'Europe ou n'importe quel sujet...

Voilà camarades, ce que m'inspire le compte-rendu que m'a fait Adélaïde de samedi. J'apprécie nombre de nos camarades qui ont des responsabilités politiques départementales, je pense même que certains peuvent être sincères dans leurs propos ; dans ce cas, ils sont malheureusement naïfs et seront abusés.
Pour ma part, j'aborderai le vote du jeudi 11 octobre et la suite en refusant toute naïveté et je ne serai plus jamais abusé.

Frédéric FARAVEL
mandataire départemental de L'Union & l'Espoir

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25 janvier 2018 4 25 /01 /janvier /2018 16:50

texte initialement publié le 20 janvier 2018 sur le site de "Nos Causes Communes" : https://bit.ly/2umm7Jl

Le constat est répété à l’envie depuis de longue année, la construction européenne se fait sans associer les peuples, qui s’en détournent peu à peu, comme le démontre à chaque élection du Parlement européen le taux d’abstention ou la progression (inégale il est vrai selon les pays) des forces politiques europhobes, populistes ou national-populistes.

Les traités européens qui se sont succédé depuis la chute du mur de Berlin ont en effet multiplié les transferts de compétences et de souveraineté des États-Nations vers des institutions supra-nationales, qui n’ont pour la plupart aucun compte à rendre devant les citoyens. Ainsi une partie de la gauche et des socialistes dénoncent depuis plus de vingt ans désormais l’indépendance de la Banque Centrale Européenne et l’insuffisance de pouvoirs réels du Parlement européen, devenu le symbole d’une perte de souveraineté populaire à l’échelle nationale jamais regagné à l’échelle européenne, tandis que l’autre partie a clairement abdiqué devant la logique ordo-libérale.

La loi du plus fort et la loi du chacun pour soi se sont introduites dans la logique du projet européen, dont l’inspiration d’origine est pourtant que l’Union fait la force. Une somme règles communes n’a jamais bâti de conscience commune ; et même, une somme de valeurs partagées n’a jamais suffi à faire émerger un intérêt commun. Réduite à ses règles ou à ses valeurs, l’Europe est statique, elle stagne dans son économie, plonge dans ses inégalités, et se paralyse dans l’ordre international.

Lorsque les failles de l’architecture économique et monétaire de l’union européenne et de la zone euro furent mises au jour par la crise financière de 2008-2009, la réponse des gouvernements européens conservateurs et libéraux fut de graver dans le marbre les politiques d’austérité au travers du TSCG, baptisé traité Merkozy, et depuis complété au parlement européen par les directives Six-pack et Two-pack. C’est sur ce dossier même que l’orientation du quinquennat de François Hollande s’est sans doute jouée dès les premières semaines, le Président de la République nouvellement élu refusant de renégocier ce traité, comme il s’y était engagé devant les Français, pour négocier des délais supplémentaires afin de se conformer aux mécanismes de contraintes budgétaires que nous avions dénoncé durant la campagne électorale.

Les différents développements de la crise grecque depuis 2009 ont démontré à l’extrême la perversion de la dérive ordo-libérale de la construction européenne : des cures d’austérité sans précédent qui aggravaient les difficultés du pays et saignait à blanc le peuple grec. Lorsque Syriza a remporté les élections de janvier 2015, nous espérions dans une évolution du rapport de force, d’abord pour mettre un terme aux supplices infligés aux Grecs et ensuite et à plus long terme pour réorienter l’Union européenne. Mais six mois plus tard, le gouvernement Tsípras était contraint par l’eurogroupe d’accepter une nouvelle cure d’austérité enfermant la Grèce dans une logique de récession.

Le gouvernement grec n’a pas reçu le soutien qu’il aurait pu espérer des gouvernements de gauche en Europe. La position de la France n’a consisté qu’à maintenir le lien et les négociations quand les pressions pour un Grexit brutal étaient trop fortes, mais son message peut se résumer à ceci : accepter les « règles du jeu » de la zone euro et abdiquer finalement toute prétention à mener une politique économique alternative.

Alors que la crise grecque n’a pas trouvé d’issue réelle, la question qui se pose est la suivante : est-ce qu’on peut concevoir aujourd’hui une politique alternative dans le cadre européen tel qu’il est ? À la fois une alternative au niveau national, alors qu’on est pris dans un réseau de contraintes liées à notre appartenance à l’Union ; et à la fois une alternative au niveau européen, si plusieurs États membres se coordonnent pour infléchir la construction européenne, est-ce que le cadre actuel le permet ? C’est à cette question majeure que la gauche et les socialistes doivent aujourd’hui apporter une réponse car elle détermine la question de la souveraineté populaire, au moment où l’orientation ordo-libérale de la construction européenne semble impliquer un passage durable dans une période post-démocratique.

* * *

Remettre l'idée européenne au service des peuples

Pour renouer avec l’idée européenne originelle, celle qui faisait sa dynamique et sa plus-value, il y a un ADN à retrouver : celui d’une gauche volontariste pour une France volontariste dans une Europe volontariste. Une Europe indépendante dans sa politique étrangère, protectrice économiquement, socialement solidaire. L’Europe des règles a fait long feu, c’est à une Europe de l’intervention, en somme, une Europe des projets, qu’il faut désormais s’atteler.

* * *

1. Pour une union des souverainetés

Dans toute démocratie, la question de la souveraineté populaire est première ; sa garantie doit être la priorité des socialistes ; répondre au sentiment de dépossession démocratique de nos concitoyens français et européens est un impératif vital. Le fait que la construction européenne soit aujourd’hui vécue comme une perte de maîtrise collective de nos destins joue un rôle prépondérant ; les transferts massifs de compétences et de souveraineté des États membres vers des institutions supranationales, sans réelle reconstitution de souveraineté populaire et de contrôle démocratique à l’échelle européenne, est l’un des nœuds du problème. Mais l’indépendance totale de la BCE ou de la CJUE n’est pas seule en cause ; les règles budgétaires et financières, définies dans le traité de Lisbonne, le TSCG, le 6-pack ou le 2-pack entre autres, condamnent les États membres aussi bien que l’union à une logique ordo-libérale et austéritaire, qui rend les alternances électorales le plus souvent illusoires.

François Mitterrand avait fait le pari avec le Traité de Maastricht qu’une fois les concessions faites à l’Allemagne réunifiée pour l’arrimer à la construction européenne (indépendance de la BCE, critères de convergence et non de gestion pour parvenir à l’UEM), ses successeurs français et européens compléterait le dispositif politique : cela n’a pas été fait par paresse ou par acculturation volontaire. Il faut reprendre l’ambition de départ : En lieu et place de la mise en œuvre de la « règle d’or » et de sanctions automatiques, il fallait la création d’un conseil macro-économique de l’euro, compétent pour fixer tous les trois ou cinq ans la feuille de route à suivre. Cela demeure indispensable. Un tel conseil pourrait définir le cadre des déficits à ne pas dépasser pour chaque État, en tenant compte et de la situation mondiale, et des différences nationales. Il aurait vocation à organiser un soutien substantiel à la croissance en répartissant la charge et fixant à chacun des objectifs atteignables. Dans ce cadre, les parlements nationaux devraient être consultés et voteraient une loi pluriannuelle de mise en œuvre. C’est l’idée du « gouvernement économique », tout le contraire de la règle dogmatique aveugle.

Ne pas ouvrir ce chantier condamne l’Union à subir l’aggravation des déséquilibres financiers et commerciaux internes entre l’Allemagne et les autres États membres, donc à un risque grave d’implosion de l’euro et de la construction européenne, sans que les conséquences catastrophiques de cet aveuglement soient aujourd’hui quantifiables au plan politique, économique et social. Cela impose de réviser les traités et les directives budgétaires ; tout autre proposition visant à créer un parlement de la zone euro sans toucher au cadre rigide qui l’enserrerait ne serait que poudre de perlimpimpin. Ici la restauration de la souveraineté populaire et l’intérêt macro- économique des Européens se rejoignent.

Être protecteur n’est pas être protectionniste. Les objectifs plus larges du gouvernement économique de l’Europe doivent accorder la priorité à la protection des industries et PME européennes. Deux obstacles majeurs empêchent aujourd’hui de poursuivre cette ambition : un commerce extérieur inadapté, et une fiscalité inadaptée. Comment se fait-il que nos tous partenaires/concurrents économiques soient capables du rapport de force avec la Chine à l’OMC pour qu’elle n’obtienne pas de statut d’économie de marché, quand l’Europe se signale par une docilité coupable ? De l’aveu de la Commission elle-même, son objectif à travers les grands accords commerciaux négociés en série est d’harmoniser les normes. Ce n’est pas un objectif de nature économique ; ce qui les inspire est une crainte de ne plus pouvoir commercer… Le commerce extérieur devient ainsi un instrument pour rabaisser nos normes, limiter la capacité de régulation future de nos États, et commercer sur cette base avec d’autres pays. Quel est le sens de cette braderie ? Si le commerce extérieur de l’Europe, à travers les accords, doit devenir un véhicule, qu’il soit le véhicule de nos ambitions : clause de réduction d’émissions carbones, clause de respect des conventions internationales sur le travail, clause de conditionnalité fiscale ! Ce sont celles-ci qui aideront nos entreprises, qui les respectent déjà massivement, dans le commerce international.

Sans politique industrielle, l’Europe est désarmée. L’évocation d’Airbus et d’Arianespace suscite l’orgueil des européens. Malheureusement ces exemples ne cachent pas que la coopération industrielle est au point mort en Europe, car les ingrédients qui ont fait le succès de ces entreprises ne sont plus là. Les élites ne croient plus au patriotisme industriel et n’imaginent pas un patriotisme européen. Pendant ce temps, un nombre croissant d’États européens s’emploient à ne devenir que des plateformes d’atterrissage de multinationales américaines et chinoises. Les ingrédients indispensables à une politique industrielle européenne doivent être fournis : une augmentation conséquente des budgets des programmes dédiés à la recherche (Horizon 2020), des fonds d’investissement avec garantie de prêts spécifique à des filières, et l’action résolue de quelques grands États pour des fusions stratégiques entre européens.

2. Un objectif national et européen : le mieux-êtres des citoyens

Lutter contre l’austérité n’est pas un « marqueur » ou une valeur culturelle, c’est une nécessité économique et sociale. Politique également, car dès lors qu’un gouvernement assumera clairement un rapport de force pour exiger une Europe protectrice des travailleurs, protectrice des consommateurs, protectrice de la sécurité physique, sociale et sanitaire des populations, les raisons de voter pour des partis aux contours mal définis, souvent d’extrême-droite, seront bien moindre. Qu’est-ce que l’austérité ? En somme, il s’agit d’un gigantesque transfert, à toutes échelles : transferts des travailleurs vers les détenteurs de capitaux, du public vers le privé ; mais aussi un transfert du risque : pour garantir le risque financier pris par les marchés et projets privés, on fait absorber ou garantir ce risque par l’État, et par les populations, en les privant de droits et garanties : travail, logement, santé.

Après la paix, c’est l’amélioration de la condition matérielle des peuples qui est à l’origine de la coopération des États ; en un mot, le progrès humain. Or, qu’observe-t-on aujourd’hui ? Cette condition se dégrade pour la grande majorité des européens, et s’améliore substantiellement pour une infime minorité. Notre coopération doit être réorientée vers ces objectifs, sans prétendre qu’il y ait une seule voie pour y parvenir. C’est sur la base de ces seuls objectifs, l’amélioration de l’accès au logement, l’amélioration des soins, l’amélioration du pouvoir d’achat par l’augmentation des salaires et la baisse des dépenses contraintes d’énergies, de transport et d’alimentation, que les pays doivent être jugés. S’il doit y avoir un « pacte budgétaire » en Europe, ce n’est que pour juger de l’avancement des États sur ces sujets fondamentaux.

Depuis près de 30 ans, les inégalités sont reparties à la hausse en Europe, entre les rémunérations du capital et du travail, mais également entre les revenus des travailleurs. Depuis la crise financière de 2008 et la crise des dettes souveraines, ce rythme d’accroissement des inégalités s’accélère. Cette évolution a été démontrée et documentée à l’envi par les économistes. Aujourd’hui près de 24% des citoyens, soit près d’un européen sur quatre, est en dessous du seuil de risque de pauvreté (60% du revenu médian de son pays). Et la jeunesse, même quand elle travaille, est frappée la première : plus de 12% des jeunes travailleurs européen est en dessous de ce seuil. L’avenir est hypothéqué.

L’invocation stérile de « l’Europe sociale » depuis 30 ans n’a pas dépassé le stade des vœux pieux, car ce label peut servir à ne désigner que de vagues chartes des droits sociaux ou des « socles » divers sans portée concrète. La gauche doit mettre en branle une dynamique intransigeante et ne céder rien à la poursuite de résultats concrets pour réduire la pauvreté, les inégalités, et mettre en œuvre les mécanismes d’une solidarité concrète. Ils s’appuieront nécessairement sur une politique fiscale refondée pour assurer l’équité dans l’impôt effectivement payé entre les contribuables, sur la cessation immédiate des politiques de déflation salariale et des projets de dérégulation financière comme l’Union des marchés des capitaux. Enfin les États doivent être prêts, selon des modalités à travers lesquels ils conservent leur souveraineté, à accepter librement des transferts nets entre pays membres, ce vieux tabou européen qui handicape la solidarité.

3. Construire l’indépendance des Européens

En matière de « projet européen », le réalisme souvent cède le pas aux bonnes intentions, l’idéal à l’idéologie, et la vigilance, à l’abandon. L’Europe demeure, et demeurera dans le court et le moyen terme, une coopération de nations. Les partis nationalistes n’ont pourtant rien à proposer qu’une nostalgie en matière de nations. Il n’y a pas d’« égoïsmes nationaux » mais des intérêts nationaux : le rôle de l’Union n’est pas de les contrecarrer, mais de favoriser et sublimer ceux qui sont convergents.

Or l’Europe, peut-être bercée par une illusion de « fin de l’histoire » depuis l’effondrement soviétique, voit revenir le germe de la guerre : à ses portes, au Sud d’abord, à l’Est ensuite ; et sur son sol, avec l’importation du djihaddisme. La paix dont nous nous enorgueillissons est bien plus la cause que la conséquence de la construction européenne. Alors que notre continent n’appartient plus aux intérêts géostratégiques premiers des États-Unis et donc de l’OTAN, nous nous apercevons que cette Paix doit peu, trop peu, à notre propre capacité d’assurer la défense de notre intégrité. La plus urgente nécessité est donc celle de notre indépendance : c’est un intérêt que les nations européennes partagent.

Une Europe indépendante est un continent qui dispose des capacités stratégiques suffisant à assurer sa défense. La mise en commun pure et simple de l’outil militaire est une chimère, mais une coopération beaucoup plus étroite, un commandement et des exercices conjoints, une doctrine partagée, enfin des efforts financiers d’au moins 2% du PIB pour tous les pays européens, sont à coup sûr une contribution essentielle à notre indépendance commune.

Une Europe indépendante est une union soudée qui ne laisse pas de prise aux influences extérieures incompatibles avec nos objectifs. Un long alignement a conduit les européens à négliger l’Afrique et la Méditerranée, qui sont à long terme les clefs de notre équilibre régional.

Une Europe indépendante est une terre d’asile sûre de ses moyens. La Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères a témoigné de l’impression de faiblesse que nous avons laissée aux autres grandes puissances, comme la Russie ou la Chine, en nous montrant divisés, effrayés, désorganisés, devant l’accueil de réfugiés, qui, en outre, fuient la guerre ou la persécution.

* * *

Les socialistes français ont fait l’erreur de considérer l’engagement européen comme un succédané à un internationalisme jamais pensé ; mais que reste-t-il de cette posture lorsque l’idée européenne a été détournée de son sens initial ?… Le PS avait appelé à l’été 2011 à assumer le nécessaire affrontement politique avec les conservateurs allemands. Il paraît aujourd’hui absolument nécessaire d’assumer la confrontation politique avec eux et leurs alliés.

Si les socialistes européens, et parmi eux en premier les socialistes français, veulent sortir de l’impasse politique, il est urgent d’engager un dialogue structurel avec des forces nouvelles à gauche. Nous devons mettre fin au compromis historique avec les anciens démocrates-chrétiens, devenus conservateurs. Il ne s’agit plus simplement d’assurer la co-gestion du Parlement européen, pour un bon fonctionnement des institutions communautaires. Cela mine durablement la lisibilité et la cohérence de nos options politiques, et nous rend plus inaudible encore auprès des électeurs européens. Nous devons lui substituer un rapprochement avec le Parti de la Gauche européenne et les Écologistes. Seule cette option nous permet de rendre crédible la perspective d’une alternative politique sur les enjeux de la construction européenne.

Les débats qui traversent la social-démocratie sur la construction européenne et la possibilité de la réorienter sont également posés chez nos partenaires écologistes, de la gauche radicale ou (post-) communiste : c’est une culture politique dominante dans la gauche radicale européenne, qui craint que toute déconstruction ou la crise durable d’un cadre international ne finisse par profiter à la droite radicale xénophobe. Ainsi l’idéal européen est finalement confondu avec sa traduction institutionnelle existante, alors même que l’écart entre les deux est régulièrement dénoncé.

Évidemment, le temps qu’une alternative européenne de gauche soit suffisamment forte et coordonnée pour imposer une véritable réorientation de la construction européenne et donc un bouleversement profond des traités actuels s’inscrit forcément sur le temps long. Et il n’est pas dit que les peuples européens soient disposés à attendre jusque là. C’est dire l’urgence de la reconstruction d’une gauche socialiste et républicaine puissante en France, capable de reprendre le pouvoir, de développer un discours européen cohérent et d’en tirer toutes les conséquences lorsque le temps de l’action sera venu.

Frédéric Faravel

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6 février 2017 1 06 /02 /février /2017 16:19
Paul Magnette, ministre-président socialiste de Wallonie © BELGAIMAGE

Paul Magnette, ministre-président socialiste de Wallonie © BELGAIMAGE

Paul Magnette fait partie de ces responsables socialistes européens qui nous permettent de porter avec fierté notre idéal socialiste, quand tant d'autres dirigeants ont depuis longtemps jeté le bébé avec l'eau du bain en abdiquant devant le libéralisme et en cédant face à l'institutionnalisation européenne de l'ordolibéralisme allemande.

Il a commencé à être connu par le grand public en s'opposant frontalement aux dérives du CETA (traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada) et en obtenant des corrections majeures du point de la région Wallonie, dont il est le ministre-président.

Dans l'entretien qu'il donnait le 3 février à L'Echo (Belgique) et que je reproduis ci-dessous, il parle clair et fort ; il traduit très exactement l'état de ma réflexion vis-à-vis de la dérive actuelle de la construction européenne. Cette lecture est de salubrité publique.

Frédéric FARAVEL

entretien donné à L'Echo, recueilli par Frédéric Rohart et publié le 3 février 2017 à 22h30

Vingt-cinq ans après le traité de Maastricht qui a lancé l’aventure de l’euro, où va l’Union européenne ? L’Echo a demandé à plusieurs personnalités de se projeter dans le quart de siècle à venir pour imaginer comment l’Union pourrait évoluer. Aujourd’hui, l’avis d’un "fédéraliste meurtri", un homme politique wallon qui mène un bras de fer obstiné avec les institutions européennes. Et qui est convaincu qu’il faut des cendres pour permettre au phœnix de renaître.
Après avoir consacré l’essentiel de sa carrière à étudier l’Europe, Paul Magnette se demandait en mai dernier s’il n’était pas en train de devenir "le premier des eurosceptiques socialistes". Mais si le ministre-président wallon est en guerre contre l’Europe "libérale-conservatrice", il n’en reste pas moins un Européen convaincu. Un Européen "meurtri" d’assister à la désintégration de l’Europe, mais convaincu qu’elle permettra l’indispensable renouveau.
L’euro, vous le voyez plutôt comme une réussite ou un échec ?

C’est une monnaie mal pensée. Elle a été conçue selon une logique monétariste: créons une monnaie et l’économie suivra. Cela n’a pas marché. La convergence économique ne s’est pas réellement produite par l’effet de l’euro. Cela n’a pas non plus amené à créer une vraie politique économique européenne : il n’y a pas de vrai budget, pas de vraies ressources propres. Une union monétaire sans union économique a pour seul effet de neutraliser la variable monétaire dans les ajustements entre les Etats membres. Du coup, l’ajustement se fait sur des législations sociales et fiscales qui n’ont pas convergé. Cela a produit ce qu’on pouvait craindre : l’euro a accéléré une dérégulation sociale et fiscale, il a inversé la logique de l’Union européenne.

C’est-à-dire ?

Toute la logique de l’Union européenne est une logique de convergence et de protection. Aujourd’hui, il y a une asymétrie fondamentale : la monnaie est contraignante ; la libéralisation se décide à la majorité absolue des États membres ; mais l’union sociale et l’union fiscale, c’est l’unanimité. Donc il y a quelque chose de bancal dans le système. Ce sont une vingtaine d’années qui ont complètement retourné le sens de l’Union européenne. Parce que jusqu’alors, la logique des traités fondateurs, l’idée c’était toujours : je dé-régule au niveau national mais je re-régule en même temps au niveau européen.

Cette période est aussi celle qui mène aux élargissements de l’Union européenne, une erreur ?

D’un point de vue géopolitique, il fallait faire ces élargissements. Le problème, ce sont les conditions qu’on y a mis qui étaient très faibles. Il aurait fallu dire : il faut un jour entrer dans l’euro, on va vous aider — et vous forcer — à atteindre les conditions économiques, à faire de la convergence. Au lieu de ça, on s’est dit : les travailleurs (roumains, bulgares, polonais, hongrois…) vont aller là où on manque de travail, en Europe occidentale. Et le capital (français, allemand…) va aller là où on manque de capital, en Europe centrale.

C’est précisément ce qui s’est passé.

Oui, du point de vue de l’économie abstraite, c’est formidable : les facteurs s’allouent naturellement là où ils doivent aller. C’est la magie de la main invisible. Sauf que pour les gens, c’est brutal. Dans nos pays, ça déstructure complètement les systèmes de sécurité sociale. Et pour les pays d’Europe centrale, c’est une catastrophe : la Roumanie a perdu les 15% les plus jeunes et les plus costauds de sa population ! Et les conséquences politiques sont dramatiques. On est dans un moment de désintégration politique complet. Jusqu’ici l’Europe n’avait jamais reculé, là elle recule. Et ce n’est pas fini à mon avis.

L’Europe recule : vous ne parlez pas seulement du Brexit ?

Non, qui croit encore en l’Europe aujourd’hui ? Moi qui suis un fédéraliste meurtri et un peu désespéré, quand je parle à des étudiants, l’Europe ne représente plus rien pour eux. Par contre elle représente pour tous les perdants de la mondialisation, la cause de tous les problèmes. Donc elle est en train de se désintégrer. Les gens ne le voient pas encore, mais c’est comme un feu de cheminée : ça a pris, c’est invisible, mais à un moment donné, on le verra. Et le Brexit en est le premier symbole.

"J’espère que le Brexit sera suivi par un Polxit, un Hongrexit, un Bulgxit, un Roumaxit…"

À qui la faute ?

Je crois qu’il y a une responsabilité énorme dans le tournant libéral-conservateur. Sans faire tout remonter à Maastricht, le Six Pack, c’est la mort de l’Europe.

Le Six Pack, c’est notamment la menace de sanctions pour les Etats qui ne respectent pas les règles du Pacte de stabilité. Pourquoi était-ce une telle erreur selon vous ?

Parce qu’il a poignardé la catégorie sociale qui avait soutenu le projet européen : la classe moyenne d’Europe occidentale. Le Six Pack a comprimé leur pouvoir d’achat, a prolongé la récession, a aggravé les inégalités. L’Europe s’est privée elle-même de ce qu’était son soutien historique.

Vous visez Angela Merkel, qui l’a porté ?

Merkel a été logique : elle a défendu les intérêts de l’Allemagne. Ce sont ceux qui n’ont pas résisté à Merkel qui sont responsables. José-Manuel Barroso et Herman Van Rompuy d’abord. Et puis François Hollande, qui n’a rien corrigé alors qu’il avait promis qu’il allait renégocier les traités. Plus largement, ces années-là, 2008-2015, sont tragiques: moins parce qu’on a fait que ce qu’on n’a pas fait. Il y a une crise fiscale, il y a des "leaks" partout et on ne fait rien d’ambitieux. On a une récession et on fait un plan Juncker minimaliste. C’est la crise des réfugiés et on confie le problème à Erdogan. On fait démonstration de l’impuissance, de l’inutilité de l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui. Mais je reste un Européen convaincu.

À condition que l’Europe soit sociale, donc. La recette porteuse pour la gauche, c’est la confrontation, comme vous l’avez faite avec le CETA : montrer aux gens le rapport de force ?

Ce n’est pas la confrontation pour le plaisir : il faut renvoyer la balle à l’Europe. C’est quand même dingue : à la Commission, ils font de l’ingérence dans les matières nationales qui sont extrêmement sensibles. Et ils ne sont pas capables de lutter contre la fraude fiscale ou de gérer le problème des réfugiés.

La Commission s’en prend à Apple, pousse à plus de transparence fiscale, à ce que les profits soient taxés où ils sont produits…

Oui mais c’est mou ! On doit récupérer 1.000 milliards d’euros par an qui nous sont volés. Pour faire avancer la convergence fiscale, il ne faut pas dire : "Bon, je mets une proposition sur la table, qui est d’accord ?" Évidemment qu’il y en aura toujours un qui sera contre, puisque c’est à l’unanimité. La seule manière de faire, c’est de faire de la conditionnalité : "Bon l’Irlande, vous voulez encore des fonds de cohésion ? La condition, c’est que vous acceptiez une norme sociale supérieure." Et il faut faire pareil avec le commerce extérieur. "Bon le Canada, vous voulez faire un accord avec nous ? Alors on met un chapitre fiscal dans le traité commercial." Il faut faire du régime fiscal un objectif absolu. C’est quand même comme ça que Delors arrivait à négocier : il faisait des packages : "Tu veux ça, eh bien tu prends ça."

Depuis votre confrontation sur le CETA, est-ce que vous avez vu un changement d’attitude de la part de la Commission européenne ?

Elle a mis en place un vrai travail sur les mécanismes d’arbitrage. Mais pour le reste, quand je lis Cécilia Malmström encore récemment dans un grand quotidien, le journal me tombe des mains. C’est de l’autisme politique. Il n’y a rien qui change dans son discours et son attitude. Et c’est hallucinant parce qu’il n’y a rien qui va changer dans la nôtre non plus. Donc on va vers de nouvelles confrontations, et je pense qu’on sera de moins en moins seuls.

Trump, Erdogan, Poutine : l’Europe est entourée de leaders qui lui cachent peu leur hostilité. Que peut faire l’Europe à court terme pour reprendre pied ?

À court terme, rien. Que Federica Mogherini ne se fâche avec personne, c’est la moindre des choses qu’on puisse faire pour le moment. Laissons faire le Brexit, après on pourra discuter.

Quel scénario pour l’Europe après le Brexit, dans un horizon de 25 ans ?

J’imagine bien le Brexit être suivi par un Polxit, un Hongrexit, un Roumaxit, un Bulgxit… Si on arrive à négocier un accord dur mais équilibré entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, certains pays se diront qu’un modèle à la britannique est enviable. Donc la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie – et peut-être le Danemark et la Suède – sortent de l’Union et nouent des accords commerciaux ou de partenariat.

C’est souhaitable, selon vous ?

Oui, ça permet d’arrêter un peu la concurrence interne : on se retrouve alors avec des pays beaucoup plus proches en termes de niveau de PIB et de modèle socio-économique. L’Union regroupe quand même encore 400 millions d’habitants, on est encore plus nombreux que les États-Unis. On en profite pour signer des accords d’association avec des pays de la Méditerranée. Et avec un peu de chance – c’est horrible ce que je vais dire – mais les Etats-Unis décident d’une intervention unilatérale au Proche-Orient, et les Européens disent NON. Il y a des manifestations un peu partout en Europe : c’est la naissance d’une conscience civique européenne qui ne naîtra que dans l’affrontement. Il faut un "nous contre eux". Et il vaut mieux que ce soit nous Européens, multilatéralistes, légalistes, contre les États-Unis isolés et agressifs. Par la même occasion, on arrête toutes les négociations des traités multilatéraux et bilatéraux et on fait des accords commerciaux purs et on en profite pour renforcer le développement endogène de l’Union européenne.

Comment ?

L’Europe réinvestit massivement, elle mutualise une partie des dettes, et elle finance des grands travaux. Pas des grosses infrastructures type TGV mais des grands chantiers comme la rénovation de l’ensemble du parc énergétique des logements sociaux. On explique aux classes moyennes et populaires que grâce à l’Europe leur facture d’énergie va baisser. On commence doucement à réconcilier les citoyens avec l’Union européenne, on crée de l’emploi, on assure notre indépendance énergétique. Et on redevient les leaders du combat climatique mondial de manière crédible. On doit se donner des objectifs. Mais en mettant de l’argent. Sans quoi ça n’est pas attractif.

"La naissance d’une conscience civique européenne ne naîtra que dans l’affrontement. L’Europe multilatéraliste, légaliste, contre les États-Unis isolés et agressifs."

Dans votre scénario, il faut donc revoir à la hausse le budget de l’Union européenne, qui plafonne à 1% du PIB…

Oui, il faut au minimum le tripler. L’Europe doit rester un cheval léger, garder une administration légère, par contre elle doit avoir un vrai budget d’investissement : un plan Juncker puissance 100. Alors les gens vont commencer à voir des résultats… L’Europe ne fonctionne plus sur la mémoire de son héroïsme, elle ne fonctionne pas sur un patriotisme européen, elle ne fonctionne qu’en démontrant qu’elle est efficace, or elle ne l’est pas.

Le rêve que vous exposez, vous y croyez ? C’est un euphémisme de dire que ce n’est pas un discours dominant…

Je pense que ces élites européennes, qui vivent complètement déconnectées du monde, finiront par être obligées de comprendre. On va aux devants d’une désintégration politique, des pays qui vont devenir ingouvernables, gouvernés par des dingues comme les États-Unis aujourd’hui. Et il y aura des mobilisations civiques massives. Je crois que l’Europe n’échappera pas à une forme de grande désintégration politique, un réveil de la société civile, et l’apparition d’une nouvelle génération politique qui sera plus en phase avec la société civile.

En réponse au Brexit, les États planchent sur une Europe de la défense, ce n’est pas une bonne piste ?

Il faut plus d’Europe sur un pacte énergétique, plus d’Europe des investissements, plus d’Europe des législations sociales, de lutte contre le dumping fiscal, de présence aussi sur la scène étrangère. Mais je crois plus en des accords de partenariat avec les pays du Maghreb, et demain les pays africains qu’en une Europe de la défense. Avec les moyens militaires un peu dérisoires qu’on a sans les Britanniques, l’Europe de la défense, c’est la France…

Manque-t-il aussi une scène politique européenne ? Une circonscription fédérale comme la demande Guy Verhofstadt ?

Il met tout à l’envers. C’est typique des gens qui ne comprennent pas la société. Dire qu’on va changer les institutions pour changer le monde, ça ne marche pas : c’est la société qui bouge. Benoît Hamon, Antonio Costa et même Alexis Tsipras – malgré tout le mal qu'on a pu dire de lui – l'ont compris, eux.

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28 juin 2016 2 28 /06 /juin /2016 13:20
La foule des soutiens de Jeremy Corbyn, dans Parliament Square, le soir du lundi 27 juin 2016
La foule des soutiens de Jeremy Corbyn, dans Parliament Square, le soir du lundi 27 juin 2016

La foule des soutiens de Jeremy Corbyn, dans Parliament Square, le soir du lundi 27 juin 2016

Les électeurs britanniques ont pris à revers leurs dirigeants politiques en votant jeudi 23 juin 2016 à hauteur de 52% en faveur du départ du Royaume Uni de l'Union Européenne.

On pourra toujours dire que les référendums en Grande Bretagne n'ont juridiquement qu'une valeur indicative, que les arguments des différents animateurs de la campagne du Leave étaient volontairement mensongers, il n'en reste pas moins que le choix des Britanniques est sans appel ; il convient d'ailleurs que l'activation de l'article 50 du traité de Lisbonne s'opère le plus clairement et précisément possible pour que la séparation - puisque cette séparation regrettable doit avoir lieu - ne laisse pas une trop longue période d'incertitude qui serait dommageable aux autres Etats membres de l'UE.

Pourtant, le gouvernement britannique souhaite prendre son temps : David Cameron qui a expliqué qu'un autre Premier ministre négocierait la sortie qu'il n'avait pas souhaité, reportant ainsi l'activation de l'article 50 au milieu de l'automne prochain. Boris Johnson, ex maire tory de Londres et héraut de la campagne du Leave, fait preuve également d'un manque particulier d'entrain sur la question, alors que la perspective qu'il croyait évidente de succéder à David Cameron au 10 Downing Street ne le paraît pas tant que cela.

On ne dira jamais assez à quel point David Cameron a joué dans cette affaire aux apprentis sorciers. Non pas en choisissant de donner la parole au peuple, que les commentateurs habituels considèrent régulièrement comme irresponsable, mais en imaginant réaliser un coup politique lui permettant de couper l'herbe sous le pied des europhobes et xénophobes du UKIP (qui avaient recueilli près de 27% des suffrages aux élections européennes de mai 2014) tout en obtenant par chantage sur la Commission Européenne et les autres Etats membres des concessions qu'il n'aurait sinon jamais pu glaner.

Son pari au service de ses propres intérêts politiques faisait peu de cas de l'intérêt général de l'Etat qu'il dirige(ait).

Quelques motivations pour la victoire du Leave

Les Britanniques ont toujours entretenu un rapport ambigu à la construction européenne, mais il est certain que la bascule pour la victoire du Leave a réussi en cristallisant le sentiment de ras-le-bol des retraités et des classes populaires. Diane Abbott, députée travailliste (circonscription londonienne de Hackney North and Stoke Newington) proche de Jeremy Corbyn, expliquait que le vote contre l'Union Européenne était en réalité un vote anti-establishment ; Corbyn lui-même (élu d'une autre circonscription londonienne, celle d'Islington North) y voyait le lendemain du vote l'expression de la colère des Britanniques contre les politiques menées depuis plus de 15 ans au Royaume Uni.

Tories et travaillistes ont effectivement soutenu des politiques libérales et austéritaires qui ont durement atteint les classes populaires, coupant en priorité dans le Welfare State, les aides au logement et les allocations (ces dernières voulues par le parti conservateur et avec l'abstention du groupe parlementaire travailliste - parlementiary labour party, PLP). Plus récemment, l'UE n'a pu relevé ses tarifs douaniers pour protéger l'industrie sidérurgique européenne et britannique face au dumping économique chinois, mais cet empêchement fut la conséquence du veto britannique qui négociait parallèlement 30 Mds £ avec des investisseurs chinois : les ouvriers britanniques de la sidérurgie - du Pays de Galles et du nord de l'Angleterre - avaient donc toutes les raisons d'en vouloir fortement tout à la fois au gouvernement Cameron et aux institutions européennes.

L'intégrité du Royaume Uni mise en cause

Le résultat - au-delà de la sortie programmée de l'UE - implique également une longue période de turbulence pouvant mettre en cause l'intégrité même du Royaume Uni.

Les Ecossais ont voté à 62% pour le Remain et le SNP et la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, souhaitent désormais négocier avec le prochain gouvernement britannique un nouveau référendum sur l'indépenance écossaise pour permettre à leur nation de réintégrer l'UE et voir ainsi leurs intérêts mieux défendus. Au-delà du Labour Party, les conservateurs écossais eux-mêmes fortement engagés en faveur du Remain ont fait connaître leur intention de se séparer des tories anglais si Boris Johnson était nommé Premier Ministre.

Au Pays de Galles, le vote reflète à la fois la défiance de la classe populaire contre les tories et l'UE (cf. plus haut) mais aussi la question culturelle, puisque les comtés celtiques ont largement voté en faveur du Remain.

Plus grave et inquiétant, en Irlande du Nord (qui a voté à 54% pour le maintien du Royaume Uni dans l'Union européenne), la séparation entre le vote Leave et le vote Remain reproduit à quelques différences près (pour atteindre 54% il a bien fallu que quelques Protestants locaux votent pour le Remain) les divisions entre communautés nationalistes et républicaines d'une part (Remain) et communautés loyalistes et unionistes d'autre part (Leave). 18 ans après les Accords du Good Friday, ce serait une aggravation de la séparation entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, inacceptable pour les Catholiques irlandais ; Gerry Adams, Martin McGuinness et le Sinn Féin ont donc lancé un appel pour un référendum sur la réunification de l'Irlande afin de restaurer les intérêts de l'île et de sa province nord qui n'a pas souhaité le départ de l'Union européenne. A quelques jours du lancement des marches orangistes, la possibilité de la reprise des violences est plus forte que jamais dans ce pays qui a connu plus de 30 ans de guerre civile et plusieurs décennies supplémentaires d'une forme d'apartheid.

Tentative de "coup" préfabriqué au Labour Party

Si le Labour Party n'a pas su convaincre pour les raisons expliquées plus haut la totalité de son électorat de voter pour le maintien, deux-tiers l'ont cependant suivi et les circonscriptions de Corbyn et Abbott ont respectivement voté à 75 et 78% pour le Remain. C'est pourtant l'axe d'attaque choisi par députées travaillistes, Margaret Hodge (cette dernière est titulaire d'un compte off shore crédité de 1,5M£) et Ann Coffey, pour soumettre une motion de défiance au PLP à l'encontre de Jeremy Corbyn, au prétexte que celui-ci n'aurait pas suffisamment fait campagne pour le Remain.

On perçoit l'absurdité de l'argument - quelles qu'aient pu être les critiques bien légitimes du leader du Labour contre la dérive de la construction européenne : le Labour est le seul parti dont l'appareil ne se soit pas divisé entre tenants du Remain et du Leave, Corbyn menant lui-même de nombreux meetings avant même la fin des élections locales qui s'étaient conclues par une défaite des tories et la stabilité des travaillistes (sauf en Ecosse). Jeremy Corbyn avait lui-même indiqué dès les conclusions du sommet européens sur l'accord avec le Royaume Uni, que la classe ouvrière britannique - malgré la dérive ordo-libérale de l'UE - avait plus intérêt au maintien qu'à l'aventure isolationniste et plaidant pour une réorientation sociale et économique de la construction européenne.

L'objectif de l'opération était ailleurs. Depuis deux mois, le Labour Party était repassé en tête des intentions de vote en cas d'élections générales anticipées, devant les tories de Cameron. Avec le Brexit, la possibilité d'élections anticipées dans l'année qui vient était plus forte que jamais. Il s'agissait donc de se débarrasser d'un leader qui aurait pu alors devenir Premier ministre par tous les moyens, alors que l'establishment travailliste du PLP n'avait jamais accepté la victoire sans bavure de Corbyn en septembre 2015, certains des député(e)s (dont la regrettée Jo Cox) blairistes regrettant ouvertement d'avoir donné alors leurs parrainages à Corbyn pour permettre à ses amis et lui de s'exprimer. Le caractère totalement préfabriqué de cette motion de défiance a d'ailleurs été immédiatement dénoncée par les 12 syndicats ouvriers, membres du Labour et principaux bailleurs de fonds du parti. Cela n'a pas empêché les membres blairistes et brownistes du Shadow Cabinet d'égrainer toute la journée de dimanche leurs très agressives lettres de démission pour saturer l'espace médiatique.

Une confrontation ouverte sur la nature du Labour Party

La première confrontation entre le PLP et le leader travailliste a eu lieu hier soir lundi 27 juin 2016. Mais dans un contexte totalement imprévu. Plus de 10.000 manifestants sont venus devant Westminster - le parlement britannique - apporter leur soutien au chef du parti travailliste, face à la tentative de putsch que souhaite opérer contre lui le groupe parlementaire dominé par l'aile droite blairiste et browniste. Ce type de mobilisation est totalement inédit en Grande Bretagne.

Il y a cependant peu de doutes que le vote de ce soir du PLP aboutisse à la défiance ; mais les députés ont oublié que les statuts du parti travailliste ne permettent plus au seul groupe parlementaire de déposer le leader. L'une des questions importantes est de savoir si Corbyn souhaitera infliger à ses détracteurs une défaite en repassant devant une course au leadership, pour l'instant l'une des inconnues porte sur la capacité de Corbyn à se représenter directement comme leader sortant du parti, car si la conclusion de la commission statutaire du parti ne le permettait pas, il devrait (ou l'un de ses amis) se soumettre à la recherche des 50 parrainages parlementaires désormais nécessaires (35 seulement en 2015) qu'aucun n'obtiendra puisqu'ils ne disposent que d'une trentaine de soutiens parlementaires.

Les membres travaillistes du parlement semblent décidés à littéralement suicider leur propre parti par un calcul de haine et de revanche contre un leader politique - largement soutenu par la masse des adhérents, sympathisants et électeurs travaillistes (sans compter l'unanimité des syndicats) - qui a pour seul tort de ne pas appartenir à leur monde et d'avoir toujours tenu sur la cohérence de ses orientations politiques en faveur de la classe ouvrière.

Corbyn a compris l'attente du peuple britannique et de sa working class ; c'est donc la "révolution blairiste" - c'est-à-dire la conversion totale au néo-libéralisme - que ces députés souhaitent préserver au prix d'un effondrement du parti pour empêcher Jeremy Corbyn de devenir Premier ministre en cas d'élections générales anticipées.

C'est un combat à mort qui s'est engagé où une partie de l'establishment est déterminée à sacrifier les intérêts et les aspirations du peuple britannique pour préserver sa propre position hors sol. Ils n'ont pas compris que la désignation de Jeremy Corbyn en septembre 2015 comme leader du Parti travailliste avait engagé une transformation profonde du Labour où les militants, les sympathisants et les syndicalistes avaient décidé de reprendre le contrôle de leur parti et de remettre en cause les politiques libérales qui rassemblent dans une forme de consensus néfaste députés travaillistes, conservateurs et Lib-Dems.

Cet affrontement ne s'achèvera qu'avec la défaite totale des députés blairistes, menacés désormais par la base de perdre leur investiture (les syndicats et le mouvement corbyniste Momentum ont lancé la campagne #deselectthem pour contester l'investiture des sortants en cas de législatives anticipées), ou par une explosion du Labour.

* * *

David Cameron aura par calcul de basse politique réussi à mettre en cause l'intégrité du Royaume Uni ; les Blairistes par calcul de basse politique pourraient désormais mettre en cause l'existence même de la gauche britannique.

Les coups de billard à 15 bandes qui sont à l'origine du référendum sur le Brexit n'ont pas fini de produire leurs effets...

Frédéric FARAVEL

Le Brexit ouvre une crise cathartique au sein du Labour Party
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24 mai 2016 2 24 /05 /mai /2016 08:44
Alexander Van der Bellen - nouveau président fédéral de l'Autriche - et Norbert Hofer, candidat du FPÖAlexander Van der Bellen - nouveau président fédéral de l'Autriche - et Norbert Hofer, candidat du FPÖ

Alexander Van der Bellen - nouveau président fédéral de l'Autriche - et Norbert Hofer, candidat du FPÖ

Le candidat centriste soutenu par les écologistes - Alexander Van der Bellen - remporte donc finalement l'élection présidentielle autrichienne. Avec quelques 50,3 % des voix contre 49,7 % à son adversaire d'extrême droite Norbert Hofer (FPÖ). L’écart entre les deux hommes serait d’un peu plus de 30 000 voix.

Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques, postait sur son profil facebook une allusion au "lâche soulagement", terme utilisé par Léon Blum au lendemain des accords de Münich en 1938 (dans un article d'ailleurs extrêmement critique sur ces accords malgré ce qu'en a retenu une mémoire collective défaillante), et l'illusion néfaste qu'il faudrait s'y laisser aller.

Le lâche soulagement ici n'a rien à voir avec la perspective d'une guerre qu'on craint mais dont on sait qu'elle viendra forcément et à laquelle il ne faudrait pas se dérober pour des raisons morales, politiques et historiques ; ici, il s'agit de se satisfaire du barrage très fins qui a empêché le FPÖ d'accéder à une fonction honorifique mais hautement symbolique, sans voir que les dégâts de cette campagne présidentielle autrichienne en annoncent d'autres bien plus graves et dévastateurs.

Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l'extrême droite, me semble participer de cet aveuglement. Dans un entretien à l'Observateur, il voit dans la défaite de Hofer, l'expression d'un Front Républicain, la démonstration de l'incapacité du FPÖ à rassembler une majorité absolue de suffrages exprimés, une mauvaise nouvelle pour le FN car cela confirmerait que l'extrême droite ne peut arriver au pouvoir.

Face à cette analyse rassurante, il faut répondre par quelques arguments.

Une nouvelle étape dans la progression du FPÖ vers le pouvoir

“Nous avons gagné, de toute façon” disait avec joie Norbert Hofer dimanche, avant donc que les résultats soient connus. Car, pour le FPÖ, un échec à la présidentielle n’est en réalité qu’une demi-défaite.

A la différence de la France, l’élection présidentielle autrichienne n’est en effet pas un scrutin majeur, qui détermine l’orientation des politiques publiques pendant la durée du mandat du vainqueur. Même s’il dispose du pouvoir de destituer le gouvernement sans avoir à justifier sa décision, le rôle du président est surtout protocolaire, contrairement à celui du chancelier. L’Autriche étant un régime parlementaire, les différents partis devraient lancer toutes leurs forces dans la bataille des prochaines élections législatives, prévues en 2018.

Alexander Van der Bellen a remonté son handicap en mobilisant ses électeurs du premier tour, en amenant aux urnes 200.000 abstentionnistes et en réussissant à convaincre un tiers des électeurs d’Irmgard Griss ainsi que près de la moitié des électeurs du candidat conservateur. Il a réuni un électorat féminin (60% des femmes ont voté pour lui) et éduqué (76% de ses électeurs ont au moins le baccalauréat). Il a gagné dans les villes, son concurrent à la campagne. Mais le vote en sa faveur a plus été un vote de rejet qu’un vote d’adhésion. Selon les sondages sortis des urnes, 48% des électeurs d’Alexander Van der Bellen se sont d’abord prononcés contre Norbert Hofer.

C’est en cela que la défaite de Norbert Hofer s’apparente davantage à un contretemps qu’à un réel camouflet. Pendant la campagne, le candidat d’extrême droite avait en effet laissé entendre qu’en cas d’élection, il se tiendrait prêt à dissoudre le Parlement – une mesure jamais utilisée depuis 1930 – afin d’organiser des législatives anticipées. Norbert Hofer a déjà envisagé la suite après sa défaite : une nouvelle candidature dans six ans, et un soutien appuyé au chef de son parti, Heinz-Christian Strache, lors des prochaines législatives. Malgré cette déconvenue, le FPÖ compte bien capitaliser sur la dynamique créée pendant la campagne présidentielle pour l’emporter lors de ce scrutin.

L'Autriche est aujourd'hui gouvernée par un Chancelier social-démocrate, Christian Kern, ancien patron des chemins de fer autrichien, qui a remplacé en catastrophe le 17 mai dernier Werner Fayman (également SPÖ en poste depuis décembre 2008), démissionnaire après le premier tour de la présidentielle. Les deux ex-grands partis autrichiens, le SPÖ et l'ÖVP dirigent ensemble le pays depuis plus de 9 ans (janvier 2007) sous la direction des sociaux-démocrates. Le FPÖ, dont la participation au pouvoir avec Jörg Haider sous la chancellier du conservateur Wolfgang Schüssel entre 2000 et 2007 avait provoqué son explosion puis sa chute dans les sondages, a l'avantage d'être devenu une extrême droite tout à la fois banalisée et seule opposition formelle au SPÖ et à l'ÖVP dont les candidats respectifs ont subi une véritable déroute au premier tour de l'élection présidentielle avec moins de 12% des suffrages exprimés chacun.

Face à une coalition installée qui a effacée toute nuance entre droite et gauche, il y a donc de forte chance que le FPÖ et son populaire leader Heinz-Christian Strache fassent un carton aux élections législatives qui se font à la proportionnelle avec 43 circonscriptions législatives ; il est fort probable que ce parti soit le seul à être en mesure de réunir une coalition majoritaire autour de lui, car SPÖ et ÖVP n'auront sans doute plus les moyens de le faire ensemble. Or ÖVP et SPÖ ont chacun adoubé, à leur manière et à des niveaux différents, le FPÖ comme partenaire de coalition.

La faute des sociaux-démocrates autrichiens... et des sociaux-démocrates européens

En juin 2015, le SPÖ est en pleine crise politique : dans la région du Burgenland, une coalition les unit désormais au FPÖ. Ce choix sans précédent arrive après que le parti d’extrême droite a fait un bond électoral de 6 points, perdus symétriquement par les sociaux-démocrates dans ce qui était un de leurs bastions historiques (région rurale, plutôt pauvre, frontalière avec la Slovénie, la Slovaquie et la Hongrie). La campagne de 2015 s’est jouée quasi-uniquement sur la question des réfugiés. Les habitants ont été convaincus par le discours anti-immigration et «social» du FPÖ.

Malgré de houleux débats internes et le départ d’importantes personnalités du parti, Werner Faymann, alors chancelier et chef du SPÖ, a refusé de sanctionner cette décision, laissant aux responsables régionaux la liberté de leurs alliances, extrême droite comprise. Imaginez que le Nord/Pas-de-Calais/Picardie soit géré par une alliance PS-FN, c'est ce qui se passe en Burgenland. La seule sanction contre le parti social-démocrate autrichien du fait de cette alliance fut ... la suspension de cette région du groupe PSE au Comité des Régions européennes (CoR), un truc que personne ne connaît (avec tout le respect pour le gros travail de Matthieu Hornung ou Christophe Rouillon dans cette Assemblée).

Logiquement, le SPÖ fut incapable de se positionner au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Comment appeler à battre le FPÖ au second tour tout en étant allié avec ce parti à l’échelle régionale ? Il n'a pas appelé à voter Alexander van der Bellen au second tour. Les responsables du parti ont eu beau dire que « personnellement » ils voteraient pour lui, attitude qui a provoqué la colère de nombreux militants opposés à toute compromission avec l’extrême droite, notamment à Vienne.

Cette pantalonnade a renforcé les partisans d’une alliance avec le FPÖ au niveau national. Au lendemain de la démission de Faymann, un débat interne s’est ouvert autour de cette possibilité, si l’occasion se présentait en cas d’élections anticipées. Ce débat a fait planer pendant quelques jours la menace d’une implosion du parti, avant que le nouveau chef du parti et chancelier ne soit désigné en la personne de Christian Kern, syndicaliste opposé à toute alliance avec l’extrême droite. A l’époque de la conclusion de l'accord au Burgenland, une manifestation contre cette alliance jugée contre-nature avait rassemblé 400 personnes à Eisenstadt, la capitale du Land. Mais les mentalités semblent avoir évolué. Selon un jeune militant socialiste autrichien cité par Le Monde, une consultation interne a révélé que 39% des adhérents du SPÖ se disent désormais prêts à travailler avec l’extrême droite.

Par ailleurs, au-delà d'avoir entretenu une dilution du clivage gauche-droite, le SPÖ a versé comme le font certains en France dans une course à l'échalotte avec l'extrême droite. Le gouvernement Fayman est à l’origine de mesures contraires à ses valeurs. Dernier exemple en date : la très contestée loi « d’état d’urgence » migratoire, inspirée par la politique de Victor Orban en Hongrie. Celle-ci limite le nombre de réfugiés autorisés à rester en Autriche à 37.500 par an et permet à l’administration de refouler des demandeurs d’asile à la frontière s’ils ne sont pas persécutés dans le pays par lequel ils arrivent. La loi restreint le regroupement familial, limite l’attribution de l’asile à 3 ans pour les ressortissants syriens, irakiens et afghans, et rétablit la frontière du col de Brenner avec l’Italie ce qui est contraire aux règles de l’espace Schengen. Elle a été adoptée de concert par les socialistes et les conservateurs. L’extrême droite l’a rejetée parce qu’ils ne la trouvaient pas assez dure, les écologistes et les libéraux ont voté contre pour la raison inverse.

En résumé, une manœuvre politique qui consistait à doubler le FPÖ par la droite n’a généré aucun gain politique pour les socialistes, sans compter les conséquences désastreuses pour les réfugiés. Ironie de l’Histoire, elle a été adoptée le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, alors même que les deux partis qui la défendaient y ont rassemblé, ensemble, 22% des voix.

La loi migratoire est l’illustration extrême d’une coalition qui amène les sociaux-démocrates à la compromission la plus totale, sans aucun gain électoral. Les électeurs ont fini par mettre définitivement dans le même sac sociaux-démocrates et conservateurs, qu’ils voient comme les garants d’un même système.

L'attitude du PSE et des sociaux-démocrates européens dans cette affaire tient tout autant de la politique de l'autruche que d'une sorte de neutralité complice.

Le PSE continue de compter dans ses rangs Robert Fico, premier ministre slovaque, qui s'est à nouveau allié au niveau national avec l'équivalent local d'Aube Dorée. Le Président du PSE, le Bulgare Sergueï Stanishev - réélu au dernier congrès du PSE en juillet 2015 à Budapest avec 69% des voix des délégués face à .... aucun candidat (son seul challenger l'Espagnol Enrique Baron Crespo s'était retiré sous d'"amicales pressions") -, s'est allié avec un parti ultra nationaliste bulgare.

Le PS avait l'occasion de ruer dans les brancards au congrès de Budapest, et à un moment on pu croire que les délégués socialistes français y aurait mandat pour bousculer le congrès et créer un nouveau rapport de force, et que Les divisions au sein de la délégation SPD permettraient de bouger les lignes. Et d'ailleurs, ça commençait à bouger un peu, tellement ce congrès tournait au grotesque.

Mais finalement, les sociaux-démocrates scandinaves ont été lâches, allant chercher leurs ordres chez Martin Schulz, actuel président SPD du parlement européen et ancien candidat du PSE à la présidence de la Commission européenne, et celui-ci n'eut besoin que de laisser sous entendre que Jean-Christophe Cambadélis pourrait perdre sa vice-Presidence, s'il s'opposait à son complice Stanishev, pour que ce congrès s'achève sans débouché politique.

Ce congrès a démontré à l'extrême que le bateau PSE est vermoulu, pourri de l'intérieur, et que des partis nationaux aussi peu intéressés par un débat de politique européenne, centrés sur des intrigues d'influence minables et des agendas ultra-nationaux, avec des groupes d'activistes roumains ou bulgares amenés sur deniers européens pour faire la claque, un fonctionnement tellement peu démocratique que la présidente de séance anglaise elle même ne croyait pas à ce qu'elle faisait, bref, de tels partis méritent sans doute ce qui leur arrive. Le PSE n'est ni européen, ni fédéraliste. Il est opportuniste. Comme les sociaux-démocrates autrichiens, une fois alliés aux fachos, une fois bien soulagés de la victoire d'un Ecolo pour lequel ils n'ont d'ailleurs pas appelé à voter. Le jour où le PSE menacera d'exclure les députés SPÖ et SMER de son groupe, et virera Stanishev - et donc Schulz, qui ne domine le PSE que par ces combines de politicard rance - il prouvera vouloir entamer sa rédemption européenne.

Le prolongement d'une dynamique national-populiste en Europe

L’Europe a suivi de près le scrutin en Autriche. Et pour cause : l’arrivée de l’extrême droite à la présidence d’un pays de l’Union européenne aurait été une première depuis la seconde guerre mondiale. Même si l’Autriche a peu d’influence sur les institutions européennes, un effet boule de neige était redouté par Bruxelles. Les autres partis d’extrême droite, notamment le FN en France et l'AfD en Allemange, peuvent se référer au bon score de Norbert Hofer. C’est la concrétisation d'une réalité plus que jamais objective, qui offre les éléments d'une rhétorique fonctionnelle consistant à répéter "ce qui s'est produit en Autriche peut devenir réalité dans d'autres pays".

Par ailleurs, dans d’autres pays européens, une droite très conservatrice est déjà au pouvoir. En Pologne, le gouvernement du parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice (PiS) a entrepris une série de réformes sur le contrôle des médias et de la justice qui inquiètent l’Union européenne. Des mesures similaires ont déjà été prises en Hongrie par le conservateur Viktor Orban, qui est allié localement aux néo-fascistes du Jobbik. Les deux pays refusent également d’accueillir des migrants, tout comme la Slovaquie et la République tchèque.

Au-delà de ces situations, le score du FPÖ renforce le mouvement «anti- système» dans l’Europe toute entière, de la Scandinavie à la Méditerranée – symboliquement, le jour d’un deuxième tour de la présidentielle en Autriche, un parti d’extrême droite a fait son entrée au parlement de Chypre. La courte victoire d’Alexander Van der Bellen montre que cette ascension de la droite extrême en Europe n’est pas irrésistible mais elle est insuffisante pour être célébrée comme un coup d’arrêt, surtout quand ceux qui devraient être ses principaux adversaires s'accomodent parfaitement de la situation.

Frédéric FARAVEL

Norbert Hofer et Heinz-Christian Strache à Vienne le 22 avril. LEONHARD FOEGER / REUTERS

Norbert Hofer et Heinz-Christian Strache à Vienne le 22 avril. LEONHARD FOEGER / REUTERS

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19 mai 2016 4 19 /05 /mai /2016 13:53

sources : Grey-Britain ; The Guardian ; The Irish News ; An Phoblacht ; The Irish Times

Le-Parti-travailliste-perd-du-terrain-en-Grande-BretagneLe parti travailliste est bien en convalescence. Le parti dirigé, depuis septembre 2015, par Jeremy Corbyn, issu de l’aile gauche du Labour, était au centre des scrutins qui se sont déroulés jeudi 5 mai en Grande-Bretagne. Premier test pour un leader élu il y a 8 mois et sous le feu des critiques issues de son propre camp, les élections locales, avec des résultats contrastés, lui ouvrent, comme nous l’avions annoncé, une période de répit. Les travaillistes conservent la direction du gouvernement du Pays de Galles, sont balayés en Écosse mais se tiennent bien mieux qu’annoncé en Angleterre. Le travailliste Sadiq Khan est élu maire de Londres, troisième titulaire du mandat après le travailliste Ken Livingstone (2000-2008) et le très conservateur Boris Johnson (2008-2016).

Avec des pertes inférieures à 20 sièges, le parti travailliste résiste bien mieux que prévu au renouvellement d’un tiers des sièges de conseillers locaux en Angleterre. Par ailleurs, le travailliste Marvin Rees (en photo plus bas) arrache le siège de maire de Bristol au sortant, un indépendant. Le Labour dirige donc désormais les quatre villes anglaises dont le maire est élu directement par les citoyens : Bristol, Liverpool, Londres et Salford. Il devrait prendre facilement le fauteuil de maire du greater Manchester qui sera soumis au scrutin en 2017, dans le cadre d’une dévolution au Nord de l’Angleterre. Andy Burnham est pressenti pour le poste.

C’est une réelle performance pour un parti que les bookmakers donnaient grand perdant à 5 contre 2. En pourcentage, le Labour, avec une hausse de 4 points, passe devant les Conservateurs, qui enregistrent une baisse équivalente, sanctionnant les désillusions provoquées par la politique conservatrice.

Le parti eurosceptique et de plus en plus xénophobe UKIP continue sa progression régulière, remplaçant les Tories (conservateurs) dans un certain nombre de conseils et attirant une partie de l’électorat ouvrier blanc traditionnellement favorable aux travaillistes. Rappelons que la structuration sociale britannique fait la part belle aux communautés ethniques et religieuses.

[résultats complets des élections locales britanniques du 5 mai 2016]

Londres, victoire prévisible du Labour

sadiq-khan-manifes_3591843bC’est bien dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi Sadiq Khan (en photo ci-contre), élu maire travailliste de Londres, est présenté par la presse française comme musulman. Ce fils d’un chauffeur de bus pakistanais et d’une couturière, né et élevé dans l’ensemble d’habitat social public Henry-Prince, a su faire partager sa volonté d’un Londres pour tous. Si les instituts de sondage ont observé une relative prudence, les conservateurs ont bel et bien acté rapidement la défaite de leur candidat, le millionnaire Zac Goldsmith. Les tories londoniens l’accusent d’avoir mené une campagne négative, axée sur les liens supposés de Sadiq Khan avec les milieux islamistes, alors même que Goldsmith a bénéficié du soutien de l’imam radical sensé incarné la connivence du Labour avec les musulmans radicaux.

A l’inverse, le travailliste a travaillé à « réconcilier les Londoniens avec Londres », se fixant comme objectif de réduire la fracture sociale exacerbée par les 8 ans de mandats de Boris Johnson. Ce dernier, comme le fait Cameron à la tête du pays, a approfondi le fossé entre les riches et les pauvres dans la capitale britannique, qui recense aujourd’hui un nombre record de milliardaires. Et où le prix moyen d’une habitation est de 446.000 £. Sadiq Khan a bénéficié du rejet de la politique gouvernementale dans une ville où 45 des 73 circonscriptions parlementaires sont tenues par le Labour.

Après recollement de la seconde préférence, Sadiq Khan obtient 57% des voix face à son principal adversaire, le tory Zac Goldsmith. En première préférence, qui a vu Khan dominer avec 44%, le troisième des 12 candidats, la Green Sian Berry, était reléguée à 6% des bulletins.

Le dépouillement a duré en raison, aussi, d’un deuxième scrutin : celui qui vise à désigner les membres de l’Assemblée du grand Londres. Forte de 25 membres, dont 14 élus par circonscriptions et 11 sur une élection par liste, elle a pour mission de faire contre-pouvoir face au maire. Ce dernier dispose d’un budget de 21 milliards de livres pour trois missions majeures : les transports, le logement et la sécurité. Au final, les travaillistes ont également remporté les élections pour la Greater London Assembly, emportant 12 des 25 sièges. Les tories en obtiennent 8, les Greens et UKIP 2 chacun et les LibDems 1.

En Angleterre, les travaillistes résistent bien

Marvin Rees, Labour’s candidate for Bristol Mayor at The Trinity Centre, Bristol. Date: 15/10/2015 Photographer: Simon Galloway/Staff. Copyright: Local World Marvin Rees, Labour’s candidate for Bristol Mayor at The Trinity Centre, Bristol. Date: 15/10/2015 - Photographer: Simon Galloway/Staff. Copyright: Local World

Il est vrai que le gouvernement de Cameron a enchaîné les faux pas. Plusieurs de ses projets, parmi les plus impopulaires, ont été retoqués, sans que le désamour des Britanniques pour les Tories n’en soit minoré. Dans la dernière semaine de campagne, les travaillistes ont modifié leur approche. Ils ont appelé les électeurs à utiliser le bulletin de vote Labour pour « envoyer un message à Cameron ». En Angleterre, le message semble être passé. Or, les travaillistes, grands vainqueurs du scrutin local précédent, ne pouvait décemment s’attendre qu’à des pertes. Ainsi, sur 34 metropolitan mayorals, les plus grandes villes, il en détenait déjà 32… De même, il disposait de deux des quatre maires élus directement par les citoyens ; il en détient désormais l'intégralité.

Le Labour ne déplore la perte que 11 sièges de conseillers alors que les prévisions tablaient sur 200 à 250 sièges en moins. Il conserve l’essentiel de ses bastions. Y compris dans le Sud de l’Angleterre, une région qui ne lui est pourtant pas favorable.

C’est dans cette partie du Royaume-Uni, où les swing voters sont nombreux que Corbyn était attendu. Ses opposants internes doutaient de la capacité de son discours, ancré à gauche, de fidéliser cet électorat sensible. Ils annonçaient déjà que le choix du nouveau leader du parti de critiquer l’austérité allait éloigner une frange de votants plus sensibles à un récit centriste. En conservant ses positions à Southampton, Crawley et Hastings, Corbyn a démenti les Cassandre blairistes.

Mais le Labour n’est pas encore sorti d’affaire. Dans le nord de l'Angleterre, les suffrages qu’il perd vont, pour beaucoup, vers les eurosceptiques de UKIP qui progressent avec régularité, confortant leur position d’opposants aux travaillistes devant des Tories en recul.

Grave alerte pour le Labour au Pays de Galles

leanne-wood-carwyn-jones-plaid-labourAu Pays de Galles, les conservateurs paient le prix fort de leur incapacité à gérer la crise de l’acier (11 sièges). Et UKIP fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale galloise (en anglais National Assembly for Wales, en gallois Cynulliad Cenedlaethol Cymru) avec 7 élus. Les travaillistes reculent d’un siège (29), alors qu'ils disposaient jusqu'ici de la majorité absolue.

ci-contre : Carwyn Jones et Leanne Wood

Les nationalistes de gauche Plaid Cymru renouent avec les victoires électorales et 12 élus. Leur charismatique leader, Leanne Wood, a battu un ministre régional travailliste sur un duel. Les Libéraux-démocrates conservent un siège.

Premier ministre sortant et leader des travaillistes gallois, Carwyn Jones a expliqué les reculs de sa formation par les dissensions internes au Labour et notamment au Parliamentary Labour Party (PLP, le groupe parlementaire de la Chambre des Communes). Cela ne suffira pas sur la durée. S’étant toujours considéré comme dans son fief, le Welsh Labour n’a pas été en capacité de prendre en compte les nouvelles aspirations d’une population qui souffre, certes, de la politique conservatrice mais aspire aussi au renouvellement de sa représentation politique.

L’assemblée nationale du Pays de Galles s’est donc réunie mercredi 11 mai pour élire son gouvernement local. Carwyn Jones pensait retrouver son poste de premier ministre dans un fauteuil. Mais la réunion a viré à la crise politique et le Pays de Galles a été privé de gouvernement durant 7 jours. Un premier bras de fer est survenu à l’occasion de l’élection du président de l’assemblée, le Presiding Officer (l’équivalent du leader de la Chambre des Communes). Plaid Cymru a réglé, à cette occasion, ses comptes avec son ancien leader, Dafydd Elis-Thomas, qui avait soutenu un candidat Labour au poste de crime commissioner, et avait décidé de se présenter contre l’avis de son parti au "perchoir" du Pays de Galles. C’est Elin Jones, soutenu par la direction de Plaid Cymru, qui a remporté le scrutin à bulletins secrets à l’issue d’un vote serré. Le Labour ne pouvait pas se réjouir de cette issue, car il avait deux candidats au poste d’adjoint.

Au moment de l’élection du Premier Ministre du Pays de Galles, le travailliste Carwyn Jones a été opposé à Leanne Wood, considérant la candidature nationaliste comme une simple posture. Mais les élus conservateurs et ceux de UKIP ont voté pour Leanne Wood. L’abstention du Lib-Dem a généré un résultat nul. Avec 29 voix pour chacun des candidats, le Labour a subi un camouflet inattendu. Les nationalistes gallois ont fermement démenti tout accord avec les conservateurs et UKIP, si jamais leur candidate était finalement élue, s'engageant à présenter un gouvernement minoritaire.

Les travaillistes gallois avaient continué à agir comme si Plaid Cymru était toujours un parti de second rang. Certes, les nationalistes n’ont emporté qu'un siège supplémentaire, mais c'est celui de leur leader au cœur du bastion travailliste du Sud du Pays de Galles. Par ailleurs, leurs scores sont partout en hausse et ils sont parvenus à élargir leur base à des habitants strictement anglophones. Le Welsh Labour se raccroche à l'idée de n’avoir perdu qu’un siège quand on lui annonçait trois pertes.

Finalement, mercredi 18 mai, l’assemblée nationale galloise a réélu Carwyn Jones comme premier ministre, après que les travaillistes et Plaid Cymru ont trouvé un accord le 17. Scellé par une déclaration commune des deux partis, il met fin à une situation de blocage politique. Après avoir passé plusieurs jours à se renvoyer l’accusation d’arrogance, le Welsh Labour et Plaid Cymru ont fini par se retrouver autour de la table des négociations. L'accord ouvre la voie à un cabinet travailliste minoritaire dont Carwyn Jones conserve la tête. Le Labour et les nationalistes ont publié un texte commun mettant en avant l’engagement du futur premier ministre gallois à mettre en œuvre des politiques « de nature à permettre des accords transpartisans ».

L’élection de Jones met fin, provisoirement, à une énième dépression dans les rapports complexes entre le Labour et Plaid Cymru. De 2007 à 2011, les deux partis de gauche avaient gouverné ensemble. Cette alliance, rendue incontournable par le score record alors obtenu par les nationalistes, s’était terminé dans la rancœur. L’élection de Carwyn Jones ce 18 mai ouvre une nouvelle ère avec un « soutien sans participation » de Plaid Cymru à la majorité relative travailliste. Leanne Wood a bien précisé que l’accord ne valait pas « coalition » et que « le Labour ne doit rien considérer comme acquis ». Jones devra redoubler de finesse pour s’assurer une majorité à chacun de ses textes. Il devrait donner des gages à gauche notamment sur l’éducation et la santé pour conforter l’accord avec les nationalistes.

Cette expérience pourrait aussi donner des idées à l’équipe de Corbyn. Le leader travailliste n’est pas hostile à des alliances politiques nouvelles avec les nationalistes gallois et avec les Greens pour construire une majorité à Westminster en vue des élections générales de 2020.

[résultats complets pour l'Assemblée nationale galloise]

En Écosse, les indépendantistes de gauche achèvent de remplacer les travaillistes

leadersLes élections au Parlement écossais ont fini par entraîner le Labour écossais dans les limbes.

les leaders des partis écossais (à gauche Ruth Davidson, au centre Nicola Sturgeon, deuxième en partant de la droite Kezia Dugdale)

Alors que les travaillistes considéraient, il y a encore dix ans, l’Écosse comme leur bastion, ils viennent de concéder leur troisième défaite consécutive, après en avoir été quasiment chassé l'année dernière par le Scottish national party (SNP, indépendantistes de gauche) lors des élections générales de mai 2015 (Le SNP avait remporté 56 sièges sur les 58 représentants l’Écosse à la Chambre des Communes, n'en laissant qu'un au Labour et un aux Tories - illustration ci-dessous - résultats complets de mai 2015). Le Labour reste, en pourcentage, la deuxième force politique écossaise, au parlement régional, ils ont cependant perdu 10 points et sont désormais devancés par des conservateurs menés par la populaire Ruth Davidson. Les Scottish Tories enregistrent un gain de 16 sièges au parlement régional.

general_elections_map_UK_2015

Cependant le SNP a perdu 6 sièges et n'est pas parvenu à renouveler sa majorité absolue ; il semble avoir atteint un palier. Le parti dirigé par la première ministre Nicola Sturgeon enregistre malgré tout une troisième victoire consécutive, son premier succès personnel en tant que leader du SNP. Les gains en voix du SNP au scrutin majoritaire (+1,1 points) ne compensent pas le léger recul sur le scrutin proportionnel (-2,3 points) ; surtout cela masque mal que des circonscriptions clé ont basculé aux Libéraux-démocrates ou aux conservateurs, qui engrangent sans doute des résultats dans l'électorat opposé à l'indépendance (Les travaillistes écossais étaient divisés sur la question, alors que le Labour était traditionnellement le représentant régional de l'unionisme). Nicola Sturgeon, qui bénéficiera d'une majorité indépendantiste au Parlement régional grâce au soutien des 4 députés Scottish Greens, doit se préparer à freiner l’usure inhérente à l’exercice du pouvoir. Pour l’heure, elle peut savourer son bonheur : dans l’électorat de gauche, le SNP a remplacé le Labour.

L’arrivée en septembre 2015 de Jeremy Corbyn à la tête du parti sur une ligne de rupture avec le New Labour est intervenue trop tard pour enrayer la déroute annoncée. L’électorat de gauche se trouvait, d’ores-et-déjà, dans le giron indépendantiste. De surcroît, la seule remise en avant d’un programme de gauche se révèle insuffisante pour inverser la vapeur, dans un contexte politique désormais nettement polarisé autour de la question nationale. Ceci explique notamment l’échec de la leader locale du Labour, Kezia Dugdale, dont le discours anti-austéritaire peine à masquer sa difficulté à définir la conception travailliste du maintien de l’unité du royaume.

Le Labour Party – et Corbyn au premier chef, qui a besoin de rétablir une assise en Écosse s'il veut consolider les positions du Labour et ne pas être dépendant d'éventuels futurs « partenaires » d'une coalition à construire – aurait pourtant tout intérêt à permettre la conduite des affaires par un gouvernement régional SNP minoritaire tout en déplacement les enjeux de la question nationale à la question sociale.

[résultats complets pour le Parlement régional écossais]

Statu quo en Irlande du Nord

2015-12-19_new_15513755_I1Le principal enjeu de ce scrutin, alors que les accords de paix du Good Friday (1998) prévoient un partage du pouvoir entre catholiques et protestants, était de savoir si les Républicains de Sinn Féin, profitant de la poussée démographique de la communauté catholique, pouvaient prétendre au poste de Premier ministre. Chez les unionistes protestants, le Democratic Unionist Party (DUP), majoritaire, a mené son « project fear » pour mobiliser, à son profit, son électorat face à la « menace catholique » (un attentat à la bombe perpétré à Belfast contre un gardien de prison en mars dernier par le groupe terroriste dissident new IRA leur a énormément facilité la tâche).

ci-contre : Martin McGuinness, vice premier ministre (SF) et Arlene Foster, première ministre (DUP)

Il semble y avoir réussi et Sinn Féin a de nombreuses raisons d'être déçu de cette année 2016 après une relative contre-performance lors des élections générales en République d'Irlande en février dernier (13,8%, +4 points, + 9 sièges, mais à comparer avec les 19,5% des élections européennes de mai 2014).

L'électorat nationaliste et républicain semble s'être moins mobilisé que les Loyalistes : Sinn Féin perd 2,9 points à 24% et un siège avec 28 députés ; les nationalistes modérés du Social Democratic and Labour Party (qui dominaient électoralement la communauté catholique dans les années 1980-1990) continuent leur décrue constante en perdant 2,2 points à 12% et 2 sièges avec 12 députés. Comparativement, les deux partis unionistes concurrents perdent aussi des voix mais en moindre importance : DUP 29,2% (-0,8 point), maintien à 38 députés ; UUP 13,2% (-0,6 point), maintien à 16 députés.

Le parti de l'Alliance – qui veut dépasser les clivages politiques « confessionnels », mais au projet politique flou – atteint 7% (-0,7 point) et conserve ses 8 sièges. Les écologistes du Green Party triplent leurs suffrages passant de 0,9 à 2,7% et double leur représentation avec deux députés. Les plus raides des unionistes – Traditional Unionist Voice – passent de 2,5 à 3,4% et conservent leur unique député. Enfin, le petit parti de gauche anti-austérité People before Profit Alliance (également présent en République d'Irlande) et lié aux partis trotskystes irlandais et britannique Socialist Workers Party est la seule nouveauté de ce scrutin et réunit 2% des suffrages et réussit à faire élire deux députés.

local_elections_UK_mai_2016En conséquence, c'est le statu quo à Stormont et les quatre principaux partis nord-irlandais vont à nouveau co-gérer la province, le DUP recueillant le poste de Premier Ministre avec sa leader Arlene Foster et Sinn Féin continuant d'occuper le poste de Vice Premier Ministre avec Martin McGuinness, ancien leader de l'IRA, dans ce rôle depuis 2007.

[résultats complets pour le parlement nord-irlandais]

* * *

Au final, le paysage politique britannique global sort pratiquement inchangé de ce premier scrutin après la victoire surprise de David Cameron aux élections générales il y a tout juste un an. Beaucoup de partis socialistes ou social-démocrates auraient aimé avoir des résultats comme celui du Labour Party à l'issue de ces élections locales, car si on met de côté l'Ecosse, le Royaume-Uni apparaît bien rouge dans sa carte locale. Cependant, pour le leader du Labour, il devient urgent de passer à la vitesse supérieure. Il doit faire valoir ces résultats plutôt encourageants, pour démontrer que son programme de gauche n’est pas un repoussoir électoral. C’est ce à quoi s’est employé Jon Trickett, député à Westminster et coordinateur de la campagne du Labour pour cette séquence électorale : « Le rôle du Labour sous la direction de Jeremy Corbyn est bien de continuer à reconstruire la confiance, restaurer l’espoir et poser les fondations pour une alternance politique et une Grande-Bretagne meilleure dès 2020. »

L’aile droite travailliste avait annoncé une déroute, menaçant Corbyn d'un putsch si le parti perdait plus de 250 conseillers. Malgré l'invalidation de son pari, elle n’entend pas lui faciliter la tâche sur ce sujet même si elle a acté que Corbyn est bien là pour durer.

En parallèle des élections locales, le Labour conserve deux parlementaires

A côté des élections locales, peu d’observateurs ont relevé que le parti travailliste a conservé deux sièges de parlementaires lors d’élections partielles tenues également le 5 mai 2016. Le Labour remporte le scrutin à Sheffield Brightside and Hillsborough ainsi qu’à Ogmore, au Pays de Galles. Dans les deux cas, la majorité est nette.

Corbyn-avec-Gill-FurnissDans la circonscription de Sheffield Brightside and Hillsborough, Gill Furniss tentait de succéder à son mari, décédé d’un cancer, neuf mois après avoir été élu. La travailliste a obtenu 62% des voix. Le candidat de UKIP est arrivé en deuxième position avec 22%, suivi par les LibDems (6,1%).

ci-contre : Gill Furniss et Jeremy Corbyn

Les conservateurs n'obtiennent que 5,6%). Le Labour progresse de 5,8 points alors que UKIP recule de 2,2 et que les conservateurs chutent de 5,4 points.

A Ogmore, le Welsh Labour ne pouvait pas se permettre de perdre. Il fait élire Chris Elmore, un ancien apprenti boucher âgé de 32 ans, avec 52,6% (-0,3 point). UKIP hisse sa candidate en deuxième place 16,2% (+1,2 points). Plaid Cymru récolte la 3e place avec 15,7% (+5,6 points). Les conservateurs perdent 3,3 points à 12,6% ; les LibDems sont insignifiants avec 3%. Chris Elmore succède à Huw Irranca-Davies, député à Westminster depuis 2002, qui a démissionné pour se faire élire à l’Assemblée nationale galloise.

Après les élections locales, Jeremy Corbyn peut se permettre de rappeler les parlementaires à l’ordre

Labour party leader Jeremy Corbyn speaks during Prime Minister's Questions in the House of Commons, London.

La réunion du PLP promettait d’être agitée au lendemain des élections locales. Les opposants au leader travailliste avaient fourbi leurs armes sur les plateaux de télévision. Certains voyaient dans l'affirmation de Sadiq Khan de mettre un terme à une stratégie de forte confrontation entre les camps une fenêtre d'opportunité (y compris en France, un politologue proche de Manuel Valls salua sa prise de position l'interprétant comme une remise en cause de la stratégie « classe contre classe » qu'il attribue à Corbyn).

Or, lundi 9 mai en fin d’après-midi, Jeremy Corbyn a pris ses adversaires par surprise en tirant le premier. Il a demandé aux membres du parlement de cesser les polémiques les uns contre les autres en public et de concentrer leurs tirs sur les conservateurs. D'une certaine manière, on peut désormais se demander si l'intervention de Sadiq Khan n'avait pas été « téléphonée » avec « Jez » et qu'elle n'était pas un appel à moins de critiques contre la politique économique conservatrice mais un appel à ne pas dresser de camps retranchés dans le PLP contre Corbyn.

Il a précisé qu’il n’attendait pas d’eux qu’ils soient aux ordres : « Je n’attends pas et je ne veux pas de loyauté aveugle, mais nos adhérents et sympathisants attendent de nous que nous soyons totalement concentrés sur les conservateurs. Nous devons au moins nous respecter les un et les autres à défaut d’être unis. » Il a souligné que nombre de retours d’adhérents du parti avec lesquels il a discuté témoignent qu’ils en ont assez de voir leurs représentants au parlement « parader dans les médias pour faire la course au commentaires » sur le destin du Labour party.

A la lumière des résultats, moins catastrophiques qu’annoncés, Jeremy Corbyn a estimé que le parti n’était pas encore prêt pour gagner les prochaines élections générales, mais qu’il allait dans la bonne direction : « Soyons clair. Les résultats sont mitigés. C’est seulement la première étape pour construire une majorité électorale, convaincre des électeurs qui votent pour les autres partis et mobiliser ceux qui ont tourné le dos à la politique, à l’image de ce que nous avons fait à Londres et Bristol. »

Il a rappelé les projections de la BBC, ou le Labour devance désormais d’un point les conservateurs, alors qu’un an auparavant, ces derniers avaient une avance de 7 points.

Lors de la réunion du PLP, on a pu constater que le chemin était encore long. L’aveuglement de certains perdurent, notamment sur le Pays de Galles, où l’on préfère mettre en avant le fait que la polémique sur l’antisémitisme et les propos de l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, qui auraient fait perdre des voix. Certains refusent encore d’admettre que Plaid Cymru est en train de reprendre du terrain au cœur des bastions du Labour comme le démontre l’élection de la porte-parole du parti Leanne Wood.

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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 11:23

Le lundi 18 avril 2016, l'école de formation proposait à ses participants un panorama historique et politique des gauches européennes. Rémi Lefebvre, professeur à l'université Lille-2, ayant été empêché pour des raisons professionnelles de faire l'intervention prévue ce soir-là, j'ai donc assuré l'intervention.

Alors que la social-démocratie traverse une période de crise prolongée, mêlant tout à la fois des raisons stratégiques, sociologiques et idéologiques, il est utile de regarder quelle est la situation réelle de la gauche en Europe dans sa diversité. Social-démocratie, écologie politique, gauche radicale, les situations varient évidemment énormément selon les réalités nationales, mais de grandes lignes de lecture peuvent se distinguer à l'échelle européenne. Il était donc utile de faire le point sur les convergences, les divergences, les opportunités et les impasses au moment où la gauche espagnole négocie dans des conditions difficiles pour savoir si elle est capable de proposer un nouveau gouvernement.

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Vous trouverez ci-dessous les vidéos de la séance.

 

29e séance de l'école de formation sur le panorama des gauches européennes le lundi 18 avril 2016

29e séance de l'école de formation sur le panorama des gauches européennes le lundi 18 avril 2016

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24 avril 2016 7 24 /04 /avril /2016 23:28

En ce dimanche 24 avril 2016, les électeurs autrichiens ont placé le candidat du FPÖ en tête du premier tour de l'élection présidentielle à 37%, loin devant les partis habituels de gouvernement - SPÖ, sociaux-démocrates et parti du Chancelier, et ÖVP, conservateurs et partenaires du Chancelier, chacun à 11% - ou son désormais challenger écologiste à moins de 20%.

Le SPÖ a refusé de donner des consignes de vote pour le second tour.

Évidemment, les réseaux sociaux s'enflamment et s'indignent. Décidément, pour les uns, les Autrichiens seraient indécrottables et pour les autres ce qui le disent seraient de dangereux naïfs.

Je lis ainsi des commentateurs "autorisés" nous expliquer que la raison de la victoire relative de l'extrême-droite au premier tour de l'élection présidentielle autrichienne est "l'insécurité culturelle"... Insistant sur le très faible taux de chômage (5,8%), ils font à nouveau du piège identitaire la nouvelle boussole de "leur gauche" (peut-on encore l'appeler comme cela ?).

Pourtant en Autriche, pas d'immigration massive non plus pour justifier les obsessions des identitaires à la sauce Valls/Le Guen. Donc où serait le problème ?

Depuis 60 ans, le compromis gouvernemental permanent entre conservateurs et sociaux-démocrates a effacé le clivage droite-gauche (sans oublier l'ultime brouillage de l'alliance régionale SPÖ/FPÖ), éteint toute alternative politique réelle et sous l'effet de la pression néolibérale et ordolibérale il a mis sur la défensive classes populaires et moyennes. Encore une fois, ce sont les questions économiques et sociales et celle de la souveraineté populaire qui produisent la montée du national-populisme. Sans message émancipateur conséquent la gauche socialiste ne peut pas lutter. Reprendre le message national-identitaire ne fait qu'aggraver le problème ! Cette analyse est évidemment valable pour d'autres pays européens, et notamment la France.

Considérer que la mise en cause de l'émancipation républicaine, du progrès social et de la souveraineté populaire soit un problème identitaire serait la seule manière de faire le lien : on a bien compris que ce n'est pas là le fond de la thèse de "l'insécurité culturelle". C'est là où il y a eu dérapage dans l'initiative du Printemps Républicain, dont le manifeste (que j'ai signé, donc qu'on ne me fasse pas le coup de me tromper d'adversaire et d'être aveugle à ces sujets) prétendait défendre une vision combattante généreuse de l'identité républicaine pour une expression de l'identité républicaine qui définit un ennemi intérieur : islamistes, islamo-gauchistes, gauche soixante-huitarde laxite et naïve. La République vivra si elle émancipe et si elle rassemble, sans rien négliger de tous ses adversaires, mais tout réduire comme cela a été fait n'est pas plus efficient en terme électoral. Ce n'est qu'en améliorant les conditions de vie des gens, en redonnant un rôle et une centralité à la majorité sociale du pays (tant du point de vue démocratique que social) que nous reprendrons du poil de la bête. Toute autre stratégie, celle suivie par Manuel Valls, Jean-Marie Le Guen, et même François Hollande, ne conduira qu'à opposer entre eux des concitoyens qui partagent les mêmes difficultés et les mêmes peines, en offrant un boulevard au FN qui profite de cette confusion pour remplacer dans le débat politique et dans l'imaginaire des électeurs la question sociale par la question identitaire en recevant de fait caution et crédibilité par l'exécutif et ses soutiens.

Que la crise des réfugiés attise encore plus des situations instables où l'extrême-droite joue sur les angoisses de populations fragilisées est assez évident. Que la réalité migratoire soit présente ou lointaine par ailleurs. Le fait que la question des réfugiés aient dominé la campagne présidentille ne change rien au raisonnement. On peut même se dire que dans certains pays la machine à fantasme fonctionne d'autant mieux que l'immigration est absente ou quasi (Autriche, Slovaquie... Quant à la Hongrie, Orbán aurait pu rassurer ses électeurs : personne ne veut y rester) mais la réalité est qu'à force de voter sans que rien ne change, à force de voter et que la situation concrète se dégrade dans la vie quotidienne depuis que la machine à déstructurer les modèles de protection sociale s'est mise en marche, il apparaît légitime aux électeurs de se demander à quoi cela sert de voter ÖVP ou SPÖ (ou à quoi cela sert de voter tout court) et qu'il est plus facile pour les nationaux-populistes de remplacer la question sociale par la question identitaire.

Cela devient consternant quand des "responsables" de "gauche" valident ce remplacement et crédibilisent les thèses de l'extrême-droite plutôt que de reconstruire des perspectives émancipatrices et démocratiques concrètes.

Frédéric Faravel

résultats du premier tour de l'élection présidentielle autrichienne du dimanche 24 avril 2016 (infographie TV autrichienne)

résultats du premier tour de l'élection présidentielle autrichienne du dimanche 24 avril 2016 (infographie TV autrichienne)

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