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sur l'auteur

Je m'appelle Frédéric Faravel. Je suis né le 11 février 1974 à Sarcelles dans le Val-d'Oise. Je vis à Bezons dans le Val-d'Oise. Militant socialiste au sein de la Gauche Républicaine & Socialiste. Vous pouvez aussi consulter ma chaîne YouTube. J'anime aussi le groupe d'opposition municipale de gauche "Vivons Bezons" et je suis membre du groupe d'opposition de gauche ACES à la communauté d'agglomération Saint-Germain/Boucle-de-Seine.
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Gauche Républicaine & Socialiste

1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 10:09

Il aura fallu attendre 4 mois, presque jour pour jour, après la mort de Nahel et les émeutes urbaines qui l’ont suivie, pour que la Première Ministre présente en deux temps les réponses du gouvernement à l’explosion de violences de la fin du mois de juin, qui avait remis au centre du débat public la question de la Ville. On avait suffisamment reproché à l’exécutif de tirer des conclusions hâtives, démagogiques et passe-partout quelques jours après les événements, pour être en droit d’espérer, qu’après ces longues semaines de réflexion, que celui-ci ait enfin affiné son diagnostic et mûri les réponses à apporter.

Il n’en est rien, malheureusement… L’Élysée et Matignon n’ont visiblement pas évolué depuis le mois de juillet, restant scotchés à la surface des enjeux pour les noyer dans un discours de fermeté armée et des propos hors sol sur l’autorité familiale.

Rien d’étonnant donc que, dans la mise en scène des annonces gouvernementale, Élisabeth Borne ait donné la priorité à la réponse sécuritaire avant de réunir à Chanteloup-les-Vignes un Comité interministériel des Villes plusieurs fois reporté.

Elisabeth Borne prenait la pose à Chanteloup-les-Vignes vendredi 27 octobre 2023

Elisabeth Borne prenait la pose à Chanteloup-les-Vignes vendredi 27 octobre 2023

Miroir aux alouettes sécuritaire

Jeudi 26 octobre 2023, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, à Paris, devant un parterre de quelque 250 maires, dont pour la plupart les villes avaient été touchées par les violences urbaines de l’été, Élisabeth Borne a donc présenté une série de mesures destinées à « réaffirmer l’autorité et l’ordre républicain ». Nous ne contesterons pas ici l’idée qu’il n’y a aucune réponse à apporter dans ce domaine : cette question existe et il faut la traiter ; pourtant, nous ne pouvons que nous inquiéter sur l’absence de diagnostic sur ce qui a conduit à cette remise en cause de l’autorité républicaine.

Les mesures annoncées sont clairement inscrites dans une matrice idéologique répressive, peu nourries par les sciences sociales ; il y a un décalage entre les politiques publiques qui s’appuient de plus en plus sur des opinions et de moins en moins sur des travaux de recherche, ce qui est une faiblesse majeure. L’exécutif semble in fine adopter une posture fataliste : les émeutes reviendront et donc la seule préoccupation est de savoir comment nous y ferons face, plutôt que d’en prévenir l’irruption. Devant des élus traumatisés par les destructions de bâtiments et services publics, la logique est la même : personne ne pourra critiquer la promesse de la cheffe du gouvernement de compléter les remboursements des assureurs par un fonds de 100 millions d’euros, mais plutôt que de se contenter de se réjouir que « 60 % des bâtiments publics partiellement ou totalement détruits ont d’ores-et-déjà été remis en état », le rôle d’un gouvernement serait de prévenir de tels événements.

Plus grave, il y a une forme de militarisation du discours gouvernemental : les expressions « opération coups de poing », « envoyer des forces », « task force » l’illustrent à l’envie. Ainsi, le dispositif FAR (Forces d’Action Républicaine), annoncé par la Première Ministre, consisterait à envoyer temporairement sur un territoire en difficulté des policiers, des fonctionnaires des finances, mais aussi des personnels éducatifs. Tout cela témoigne en réalité d’un manque d’action publique pérenne et ancrée sur le terrain. Il existe bien entendu des cas où une telle intervention peut être utile à certains moments, mais la résolution des inégalités urbaines nécessite la mise en œuvre de politiques publiques, dotées de réels moyens, au long terme. Cela fait près de 20 ans que les acteurs de la politique de la Ville se plaignent de voir progressivement les crédits « exceptionnels » remplacer ceux de « droit commun », nous y reviendrons.

La France n’a pas besoin de « coups de poing » mais d’action publique durable

Mais même du point de vue de la stratégie d’ordre public, on sent un flottement de l’État qui ne peut en aucun cas rassurer les différents acteurs du dossier.

Nicolas Sarkozy avait aboli dès 2002 la police de proximité par dogmatisme, or il faudra bien changer de paradigme et ne pas cantonner l’action de la police à des arrivées en force, pour s’imposer dans des quartiers qu’elle ne connaît plus. Ce constat est aujourd’hui assez largement partagé par les élus locaux, parfois même si cela en place certains en contradiction avec leur affiliation partisane. Pourtant, le vocable de « police de proximité » reste tabou et l’expérimentation des unités de « police de sécurité du quotidien » a eu un impact extrêmement limité1 du fait de la faiblesse des moyens et des crédits qui lui ont été consacrés et donc de la réalité de ses implantations. Aussi la cohérence et la pérennité de l’action publique de terrain, y compris sur le thème de la sécurité, devront revenir à l’ordre du jour, même si ce n’est pas le chemin pris par l’exécutif macronien : il faudra remettre ouvertement sur le métier la police de proximité et en tirer les conséquences en matière de politique de tranquillité publique, c’est-à-dire privilégier le quotidien sur le « maintien de l’ordre ».

La question de l’élargissement des pouvoirs des polices municipales est plus controversée. Et, là aussi, elle divise les élus locaux, même au sein de la droite. Certains prétendent évidemment faire des maires de véritables shériffs, comme Arnaud Robinet (Maire Horizons de Reims), Christian Estrosi (Maire Horizons de Nice) ou encore Eric Ciotti, le patron de LR. Mais, là encore, la réalité du terrain rattrape les effets d'annonce : le renforcement des pouvoirs des polices municipales s'accompagnerait immanquablement d'un transfert croissant de l'action de sécurité vers ces services et donc d’un recul de celle conduite par la police nationale et la gendarmerie. Un Maire LR comme Benoît Digeon à Montargis rappelait en marge du happening de La Sorbonne que le commissariat de son secteur a perdu 30 policiers en 4 ans. D'une manière générale, il a été constaté partout que les effectifs de police nationale baissaient là où une police municipale était en place, que la baisse de ces effectifs s'accélérait quand une commune prenait la décision de créer une police municipale pour faire face au dépeuplement des commissariats et que, finalement, cette baisse était d'autant plus forte que le discours sécuritaire de l'édile local était appuyé.

1La police de sécurité du quotidien sous l’angle des partenariats locaux, note de Virginie Malochet pour l’Institut Paris Région – 30 juin 2021

Jusque dans le maintien de l’ordre, le rappel à l’autorité de l’État par Élisabeth Borne masque un désengagement pour renvoyer la responsabilité aux collectivités

Cette « tarte à la crème » des pouvoirs des polices municipales pourrait pourtant séduire momentanément certains élus locaux, car ils sont confrontés à l'effet ciseau des dépenses conséquentes que représentent la création et l'entretien d'un tel service et la déception des électeurs quant aux résultats concrets de son action au regard de ses moindres compétences. Mais mettre en pratique concrètement la logique présentée par Élisabeth Borne signerait également une catastrophe au regard de l'égalité territoriale : enkystées dans une logique de maintien de l'ordre, la police nationale et la gendarmerie déserteraient progressivement les Villes dans lesquelles la sécurité serait dépendante des capacités d'investissements des collectivités territoriales. On pourra compter des effectifs pléthoriques et bien équipés, des caméras par centaines (avec les écrans de contrôle et les « opérateurs » que cela suppose), à Nice ou à Rueil-Malmaison, mais que se passera-t-il à Charleville-Mézières ou à Grigny ?

On voit bien ici la mauvaise réponse apportée par le gouvernement à un problème concret constaté lors des émeutes : le temps d'intervention des effectifs de police nationale parfois éloignés des lieux des violences. On préfère donc l'inégalité territoriale à la police de proximité. Il n’est sans doute pas besoin ici d’insister sur le problème politique que créerait une municipalisation quasiment complète de l’action policière dans certaines communes…

Cela n’empêche pas de réfléchir aux moyens juridiques, aux stratégies d’action… mais là encore on bute soit sur des illusions ou soit sur l’absence d’engagement budgétaire concret.

Par exemple, l’obligation pour un jeune délinquant de respecter de jour comme de nuit un placement dans une unité éducative de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et d'y suivre les activités de formation et d’insertion de l’unité peut apparaître comme une réponse adaptée et proportionnée qui peut déboucher sur une véritable logique de réinsertion, mais faudrait-il encore que les services de la PJJ soient en capacité de l’assumer alors qu’ils subissent depuis plus de 20 ans un déficit constant de moyens humains et financiers.

La Première ministre a encore martelé : « Dans certains cas, nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires ». Son entourage évoquait après cette annonce la montée en puissance du « partenariat Justice-armées » avec « les classes de défense dans les CEF, la mise en place de mesures d’encadrements militaires dans toutes les régions, la signature de nouvelles conventions locales pour la réalisation de travaux d’intérêt général (TIG) au sein d’unités militaires et la participation des militaires dans l’organisation de stages de citoyenneté ». L’armée française est certes disciplinée et aux ordres du pouvoir politique, mais si le « partenariat Justice-armées » a besoin, aux yeux du gouvernement, de monter en puissance, c’est que les militaires à tous les niveaux de la hiérarchie rechignent légitimement à s’engager dans une logique qui n’appartient en rien à leurs missions et pour laquelle ils n’ont pas été formés. Il est d’ailleurs parfaitement consternant que la seule référence à une démarche éducative fut celle de l’horizon de la discipline militaire, alors que la Première Ministre, d’inspiration sociale-libérale paraît-il, s’adressait aux élus dans l’auditorium de La Sorbonne, haut lieu de l’enseignement s’il en est…

La force d’une sanction, notamment chez les plus jeunes, ce n’est pas sa brutalité, c’est sa précocité et sa certitude…

détournement d'une intervention de Benjamin Morel

« Tarte à la crème » également que les discours sur les réseaux sociaux. Ils ont sûrement joué un rôle important dans les émeutes, en matière de coordination et d’entraînement. Le gouvernement prétend vouloir suspendre les comptes des délinquants et émeutiers. Nous lui souhaitons bon courage dans ses négociations avec Twitter, Snapchat et Meta ; au regard de l’absence de régulation de ces espaces et de la facilité avec laquelle on peut créer de multiples comptes, cette mesure semble illusoire, alors même que le gouvernement refuse d’engager une réflexion sérieuse sur l’évolution de la législation comme l’a démontré l’examen du projet de loi « sécurité et régulation de l’espace numérique ».

La multiplication par cinq de l'amende pour non-respect d'un couvre-feu par un mineur, en la portant à 750 euros (au lieu de 150 euros) et tout le discours autour de la responsabilisation des parents – aggravation de la peine du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales, "contribution citoyenne familiale éducative" versée à une association d’aide aux victimes, responsabilité financière civile solidaire des deux parents d'un enfant coupable de dégradations, stages de responsabilité parentale, etc. – relèvent également de la posture. Rappelons deux chiffres : 60% des jeunes émeutier sont issus de familles monoparentales, 40% des enfants résidant au sein d’une famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté… La définition des aides à apporter aux familles monoparentales est renvoyée aux bons soins d’une commission à créer… alors que la part de ces familles est de 35% en Seine Saint-Denis contre 20% dans le reste du pays. Les moyens dévolus au soutien scolaire et à l’éducation populaire sont très insuffisants. Au regard de cette situation sociale, de telles annonces ne peuvent être que des pétitions de principes.

Pétition de principes, parce que la force d’une sanction, notamment chez les plus jeunes, ce n’est pas sa brutalité, c’est sa précocité et sa certitude. Cela implique d’avoir une justice efficace ; or le problème de la justice en France n'est pas seulement d'être engorgée et de souvent tarder à prononcer des peines, c'est aussi et surtout d'avoir, faute de moyens, la capacité à les faire exécuter, avec des conséquences dévastatrices en matière d'autorité, de sens des responsabilités et de l'impunité. On peut annoncer la plus grande et disproportionnée des sévérités, elle n'en sera que plus contre-productive si on ne peut concrètement l'exercer. Et cela s'applique là encore aux amendes aggravées ou à la responsabilité financière des familles que prétend instaurer le gouvernement – de la même manière que pour la mesure réclamée par la droite de suspension des allocations familiales : personne ne pourra en réalité recouvrer les sommes concernées sur des familles le plus souvent insolvables que cela plongerait également dans des difficultés sociales accrues.

Sans vouloir retomber dans le travers de l'excuse sociale, on voit mal comment on peut exiger d’une mère seule que ses adolescents ne sortent pas dans la rue quand l'appartement est trop petit ou que le réfrigérateur est vide.

Le gouvernement préfère les discours martiaux mais ne pas s'attaquer à la pauvreté. C'est assez logique puisque celle-ci a progressé depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. Et cette logique ne se dément pas lorsqu'on examine le prétendu "volet social" de la réponse gouvernementale.

Réponse sociale, vous êtes sûrs ?

On connaît la chanson et elle a été entonnée avec entrain aux lendemains des émeutes sur un air qu’on pourrait croire composé par l’association ultralibérale, antifiscale et proche de l’extrême droite Contribuables Associés1 : la politique de la Ville est un échec, « un puits sans fond » qui favorise tout à la fois l’assistanat, le détournement des crédits pour des associations inutiles et nourrit les islamistes… Les violences qui ont suivi la mort de Nahel étaient censées démontrées une nouvelle fois le gaspillage de l’argent public, les émeutiers qui auraient profité « grassement » de ces budgets finissant par détruire les équipements publics mis à leur disposition : « de la confiture pour des cochons », pourrait-on dire… c’était peu ou prou le discours de l’extrême droite, d’une partie de la droite (on ne s’étonnera pas), mais aussi derrière Gérald Darmanin d’une partie de la « non majorité présidentielle ».

Quand on veut tuer la politique de la Ville, on l’accuse « d’avoir la rage »…

Ainsi, chaque année, entre deux et trois milliards d'euros sont débloqués directement ou indirectement pour la politique de la ville. On compte un peu moins de 600 millions d’euros pour les contrats de Ville. S'y ajoutent aussi des mesures fiscales : certaines PME et petits commerces de banlieue sont exonérés de cotisations foncières ; en 2022, cette exonération a coûté 235 millions d'euros à l'État. Il y a également une enveloppe de solidarité urbaine, pour les communes les plus pauvres, à hauteur de 2,5 milliards d'euros dépensés l'année dernière. Mais ce qui concentre le plus d'effort, c'est le programme national de rénovation urbaine et le programme de renouvellement urbain : entre 2003 et 2022, près de 46,5 milliards d'euros ont été dépensés pour rénover quartiers et bâtiments. Sauf que, depuis 2003, l'État n'a investi "que" 3 milliards d'euros. En revanche, 20 milliards d'euros proviennent d'une partie des loyers, versés aux organismes HLM. L'effort vient également de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), près de 12 milliards d'euros déboursés. Les collectivités territoriales aussi, ont mis la main à la pâte, en versant depuis 2003, plus de 9 milliards d'euros.

Or les collectivités territoriales et les organismes HLM ont été parmi les institutions particulièrement maltraitées du premier quinquennat Macron. Les premières, qui assument directement le premier contact avec les citoyens, ont vu leurs recettes stagner et leur fiscalité propre disparaître peu à peu ; quant aux seconds, les gouvernements d’Emmanuel Macron leur ont carrément ponctionné plusieurs milliards d’euros alors même que leur rôle est de construire puis de gérer des logements abordables pour les foyers modestes et que chacun s’accorde à reconnaître une crise de l’accès au logement.

Élisabeth Borne peut bien avoir prétendu le 26 octobre à la Sorbonne qu'elle tenait à apporter des réponses qui « dépasse[nt] largement la question des quartiers et des banlieues », arguant qu'un tiers des villes concernées par les émeutes ne possèdent pas de quartier prioritaire. Mais là encore, il est nécessaire de rappeler que le nombre de « quartiers prioritaires » a été artificiellement mais drastiquement réduit lors du quinquennat de François Hollande : En juin 2014, Najat Vallaud-Belkacem faisait ainsi passer le nombre de 2500 à 1500 quartiers prioritaires répartis sur 700 communes – dont 100 nouvelles. L'affichage de quelques Villes (situées dans ce que certains géographes appellent la "diagonale du vide") a été en réalité payé par l'exclusion de 1000 quartiers en difficulté des dispositifs de soutien. En mars 2018, c’est le dispositif des "emplois francs" (dispositif peu convaincant au demeurant) qui a été circonscrit à 200 quartiers, et non 1500. En mai 2023, l’ex-ministre du logement et de la Ville, Olivier Klein, avait annoncé le lancement de la mise à jour de cette cartographie prioritaire : on l’a crue un temps enterrée par les émeutes et avec le ministre.

Mais en réalité, situer le débat sur la cartographie des quartiers prioritaires revient à se battre pour les miettes du gâteau.

Définir où sont les véritables responsabilités politiques de l’échec

Si la politique de la ville a permis un rattrapage à la marge dans certains quartiers, elle n’a jamais pu jouer un rôle de discrimination positive. La responsabilité de cet échec n’incombe pas à ces dispositifs et ces faibles crédits "exceptionnels", mais bien davantage à l’absence de redistribution massive des ressources ainsi que de politique publique véritablement égalitaire à la base. Ils n'ont jamais permis aux territoires les plus défavorisés de France d'avoir un traitement équivalent à la moyenne : la faute en revient aux inégalités flagrantes qui existent en matière de répartition de l'effort public et privé. Ce n’est pas la faute de la politique de la ville si aucun gouvernement n’a cherché à modifier les structures d’inégalités pénalisant la majorité des habitants des quartiers. De véritables déserts médicaux continuent à se développer en Seine-Saint-Denis, et un enfant scolarisé dans ce département plutôt qu’à Paris a reçu un an d’enseignement de moins lorsqu’il passe le baccalauréat.

Aucun président de la République, aucun premier ministre, aucun gouvernement depuis plus de 30 ans n'a réellement donné mandat à un ministre de l’Éducation nationale de poser sérieusement la question de la réussite éducative des classes populaires, et de s’attaquer enfin à la logique de reproduction sociale frappant l’école de la République. On connaît l'état de l’Éducation nationale, mais on pourrait tenir le même propos pour l'Hôpital public : sa situation est catastrophique en générale, elle est encore pire en Seine-Saint-Denis (par exemple). Mais le raisonnement vaut aussi pour la police nationale : il n’y a rien de surprenant à ce qu’elle se montre plus humiliante dans les quartiers populaires, lorsque l’on regarde les préjugés, ainsi que l’origine sociale et géographique des gardiens de la paix y évoluant la peur au ventre.

Depuis le rapport des ­députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM), publié en 2018 sur les moyens et l’action de l’État en Seine Saint-Denis, on peut affirmer sans être taxé de démagogie que la République accorde aux quartiers populaires dits « prioritaires » « quatre fois moins de moyens qu’ailleurs, rapporté au nombre d’habitants ». À cette inégalité flagrante et fondamentale, les annonces gouvernementales apportent une réponse ridiculement faible.

Au regard des défis pour la cohésion sociale et nationale de la persistance de territoires de relégation voire de ségrégation territoriale, les réponses données par la Première ministre lors du comité interministériel des Villes à Chanteloup-les-Vignes le vendredi 27 octobre semblent tout à la fois faibles et déconnectées des réalités. On voit mal comment le gouvernement pourra sur la base de sa « vision "Quartiers 2030" » de la politique de la ville favoriser « l’émancipation » plutôt que la « réparation ».

La principale mesure, et la plus commentée, annoncée lors de ce comité est la demande faite aux préfets « de ne plus installer, via les attributions de logement ou la création de places d'hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés » ... en clair, cela concerne les ménages "Dalo" (droit au logement opposable) les plus en difficulté qui ne pourront plus être logés dans des QPV. L’idée semble louable : elle paraît mettre en application le principe de ne pas rajouter toutes les difficultés au même endroit pour faciliter l’intégration de tous. Mais elle appelle plusieurs contradictions qui ravalent cette annonce au niveau d’une nouvelle gesticulation.

En effet, on a déjà dit que le nombre de QPV avait été drastiquement réduit ; certains quartiers classés jusqu’en 2014-2015 en politique de la ville n’ont pas vu nécessairement leur situation sociale s’améliorer, il y a fort à parier qu’ils recevront en priorité les publics les plus difficiles venant déséquilibrer une situation déjà précaire. Certains quartiers toujours classés en QPV se voient aujourd’hui accueillir les reclassements des quartiers proches soumis à un programme de renouvellement urbain : les personnes concernées ne relèvent pas du DALO, elles n’en ont pas moins de difficultés. L’annonce de la Première Ministre ne changera donc rien à ce type de situations. Le relogement des « personnes les plus précaires » ne devrait pas se faire non plus dans les zones périurbaines ou rurales : ces publics ont besoin d'une grande présence de services publics pour les accompagner, alors qu’ils ne sont pas véhiculés et ne pourraient alors accéder à des structures désormais éloignées.

Une mesure qui interdirait en pratique le relogement des foyers les plus précaires...

Fin 2022, le nombre de demandeurs de logements a atteint un record avec près de 2,5 millions de personnes, en hausse de 7 % par rapport à 2021. Or la construction de HLM, passée depuis 2020 sous la barre des 100 000 logements par an, devrait continuer de ralentir pour se stabiliser à une moyenne de 66 000 nouveaux logements annuels à partir de 2030. Concrètement, les bailleurs sociaux sont pris entre leurs obligations de rénovation et une dette croissante, dette qui a été aggravées par les milliards d'euros que leur a retirés l’État. Ces derniers n'auront donc pas les moyens de rénover et en même temps de construire de nouveaux HLM. Par ailleurs, poussés par l'interdiction progressive de louer les logements les plus énergivores, les bailleurs sociaux devront donner la priorité à la rénovation. Les réhabilitations de logements atteindraient un pic à 125 000 logements par an en 2025 et 2026, puis reflueraient, pour atteindre 90 000 par an sur la période 2031-2061, selon une étude la Banque des territoires (Caisse des Dépôts et Consignations). Une grande partie de ses demandeurs devraient se voir proposer un logement très social (PLUS ou PLAI). Dans le nouveau Schéma directeur de la région Île-de-France environnemental (SDRIF-E), adopté à la demande de Valérie Pécresse par le conseil régional le 12 juillet dernier, qui sert de référence dans les décisions d'aménagement de la région capitale, il est inscrit que les villes dont 30% ou plus du parc est composé de logements très sociaux ne doivent plus en construire… L’offre et la demande de logements très sociaux va donc subir un brutal effet de ciseau dans la région capitale ce qui aggravera une situation déjà extrêmement tendue.

Car en les cumulant à l’ensemble des initiatives engagées et aux conséquences de la catastrophique politique du logement d’Emmanuel Macron depuis 2017, les annonces du 27 octobre 2023 conduiront tout bonnement à rendre impossible le relogement des foyers les plus précaires. Pourquoi ? Parce que l’offre de PLUS et de PLAI n’existe pas (ou très peu) dans les quartier plus favorisés et pas seulement parce que l’électorat local et ses élus conservateurs s’y opposent – on connaît les combats d’arrière-garde des élus du XVIème arrondissement contre l’installation des foyers d’hébergement ou des logements sociaux… Il existe, en effet, des raisons économiques structurelles qui rendent particulièrement difficile la correction de cette logique de ghettoïsation que la président du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse, dénonce tout en l’entretenant.

Proposer de nouveaux HLM suppose de les financer de leur construction à leur gestion… et le premier écueil est massif avant même la construction, c’est celui des prix du terrain, des prix du foncier. Dans les quartiers « bourgeois » concernés, le foncier est cher, très cher, et il est d’autant plus cher qu’il est rare ; dans ces conditions, même en ayant passé outre les états d’âme des élus conservateurs, même en accumulant tous les dispositifs qui permettent de subventionner la construction et d’alléger les coûts, les prix de sortie rendent impossible une production massive de logements sociaux et encore moins très sociaux dans ces quartiers. Les organismes HLM, confrontés à l’enjeu de la rénovation du parc et aux ponctions financières de l’État, n’ont pas les moyens de présenter des opérations trop déséquilibrées. En conclusion, mettre en œuvre la « fausse bonne idée » d’Élisabeth Borne supposerait une véritable révolution dans la stratégie de l’État en matière de logement, avec des investissements massifs et durables plutôt que de faire les poches du monde HLM, et une action contraignante et radicale sur la formation des prix du foncier… autant dire que l’on ne voit pas venir une telle évolution.

Il y a donc fort à parier que sa mise en œuvre reste à l’état d’effet d’annonces, avec quelques opérations qui seront mise en scène avant que les quartiers en QPV et ceux qui devraient y être continuent finalement d’accueillir les publics les plus défavorisés et restent ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : des « hubs » du logement que les quelques foyers qui ont réussi à s’élever socialement fuient dès qu’ils en ont l’occasion pour être remplacés par des foyers extrêmement précaires qui rencontreront les plus grandes difficultés à s’intégrer économiquement et socialement, au milieu d’habitants qui partagent les mêmes peines qu’eux.

Car, en plus d’une action éducative puissante, de mise à niveau généralisée des services publics, le principal enjeu pour sortir les habitants des quartiers populaires est de leur donner durablement accès à l’activité économique. On a vu l’échec des « emplois francs » et des « zones franches », limités à des territoires toujours plus réduits : il vient en grande partie d’un aveuglement idéologique qui lie le chômage à un « coût du travail » supposé excessif… le même raisonnement nourrissait la course à l’ubérisation qui prétendait faire des plus ambitieux des auto-entrepreneurs à succès. On sait quelles frustrations et colères cette illusion a nourri (qui se lisent sans doute dans les votes de la présidentielle et des législatives) dans ces quartiers.

La plupart des territoires concernés ont en réalité subi une désindustrialisation massive et brutale, rendant inaccessible l’emploi pour des décennies. On attend encore le retour d’une politique industrielle digne de ce nom, qui ne donnera des résultats qu’à moyen terme.

Recyclage d’annonces présidentielles sous financées

Et ce ne sont pas les annonces présidentielles recyclées dans l’intervention de la Première ministre qui offriront beaucoup de perspectives. Déjà annoncé par Emmanuel Macron à Marseille en juin 2023, elle reprend le "plan entrepreneuriat Quartiers 2030", porté avec BpiFrance et la Banque des Territoires, doté de 456 millions d’euros sur quatre ans – 114 millions par an pour ancré l’activité économique dans les quartiers populaires. Est-ce bien sérieux ? Mais heureusement, le gouvernement veut également renforcer le programme "Les entreprises s’engagent pour les quartiers", avec l’objectif d’intégrer 2000 nouvelles entreprises pour atteindre un total de 6000 entreprises engagées. Nous voilà rassurés…

Enfin chacune des mesures suivantes, déjà annoncées précédemment, pose un problème de financement ou de logique de rustine. Sur le principe, il n’y aurait rien à redire. Les cités éducatives seraient généralisées d’ici 2027. L’accueil continu de 8h à 18h dans les collèges de REP et REP+, comme annoncé par le chef de l’État en juin à Marseille, serait assuré à partir de la rentrée scolaire 2024. Le gouvernement promet également une « convergence progressive du zonage des QPV et de celui de l’éducation prioritaire en assurant dès 2024 un traitement spécifique pour l’ensemble des écoles orphelines ».Un plan d’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques viserait à toucher 500 collectivités, pour « neuf heures d’ouverture supplémentaire par semaine en moyenne » et en particulier le dimanche. « Un abondement exceptionnel de la dotation globale de décentralisation » devrait financer cette mesure. Enfin, avec l’appui du fonds de co-investissement de l’ANRU, l’expérimentation de 60 centres de santé sera conduite d’ici 2027, avec pour « priorité d’aller vers les habitants et de les orienter vers les soins dont ils ont besoins ». Au regard des suppressions de postes encore annoncées dans l’éducation nationale, on s’étonne de la capacité à financer et assurer subitement les cités éducatives l’accueil continu dans les collèges et la convergence des zonages, alors que le ministère peine aujourd’hui à assurer les remplacements d’enseignants absents dans les mêmes territoires. L’abondement « exceptionnel » pour financier l’ouverture supplémentaire des bibliothèques laisse présager des lendemains qui déchantent, car une fois que ce sera éloigné l’actualité brûlante on connaît le destin des financements exceptionnels de l’État en direction des collectivités : il sera effectivement exceptionnel et les communes devront arbitrer entre le maintien de ces 9 heures supplémentaires et la suppression d’autres services dans le cadre d’un budget toujours plus contraints. Enfin, les expérimentations de centres de santé (60 pour toute la France ?!) ne remplaceront pas la nécessité de travailler à l’installation durable de médecins de ville et à la restauration d’un fonctionnement décent des hôpitaux publics.

Les annonces sur la nouvelle génération de contrats de ville pourraient prêter à rire si la situation n’était pas grave. Leur élaboration vient de gagner un délai de 6 mois supplémentaires (donc une liberté de trésorerie de 6 mois supplémentaires) pour des signatures fin mars 2024. Mais la nouvelle géographie prioritaire, officiellement mise en chantier lorsqu’Olivier Klein était encore ministre ne sera publiée qu’en décembre 2023 : à tout hasard, si de nouvelles communes devaient entrer dans le champ des QPV, elles auront 3 mois pour boucler leur dossier. Mais surtout, le discours sur la flexibilité et la liberté accordée dans l’élaboration des contrats de ville masque une réalité plus crue : les crédits d’État passeront généreusement de 597,5M€ en 2023 à 600M€ en 2024…

Ne rien changer pour que rien ne change

4 mois après des émeutes d’une intensité et d’une violence rarement connues, le gouvernement a donc choisi de privilégier la réponse sécuritaire et les opérations « coups de poing ». La reproduction de tels événements est en réalité perçue par l’exécutif comme inéluctable : à la supposée sécession d’une population à la dérive répond la sécession des élites qui finalement se détourne des habitants de son propre pays pour privilégier des solutions de « gestion de crise ». Et encore dans leur propre logique, on pourrait même finir par considérer que les moyens offerts à cette réponse sécuritaire sont sous-dimensionnés. Les Quartiers populaires sont plus que jamais regardés comme des espaces où il convient de temps à autre de restaurer l’ordre, mais pas d’assurer la tranquillité publique et encore moins de garantir la justice. Le volet social annoncé à Chanteloup-les-Vignes, pour compenser à la marge l’essentiel des mesures de nature répressive, est absolument anémique et inopérant.

Les Quartiers populaires ne sont en réalité que la partie la plus éruptive de la société française qui subit aujourd’hui de plein fouet les conséquences des politiques néolibérales qui lui sont imposées depuis 30 ans et ont non pas détruit mais profondément abîmé et rendu impuissant l’État social. Pour mettre en œuvre ne serait-ce que le début des mots utilisés par la Première ministre dans ses interventions des 26 et 27 octobre 2023 – « émancipation », « intégration », « respect de l’autorité », « cohésion sociale » – il faudrait une transformation radicale tant sur le fond que budgétaire pour l’éducation, la santé, le logement, la reconquête industrielle, le recul de la pauvreté, les collectivités et la présence de l’État sur le terrain.

Finalement, le fatalisme gouvernemental est logique… en ne changeant rien, il peut prévoir que tôt ou tard un nouvel épisode d’émeutes, peut-être plus violent encore, finira bien par intervenir. Sa seule préoccupation est d’être prêt à frapper le moment venu. Il n’est pas question de changer de politique et régler le problème à la racine.

Frédéric Faravel
Conseiller municipal et communautaire GRS de Bezons
Président de "Vivons Bezons, le groupe des élus communistes, socialistes & républicains"
Animateur national du pôle Idées, formation, riposte de la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS)

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12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 08:59
LE CORONAVIRUS, LA MONDIALISATION NÉO-LIBÉRALE ET LA BATAILLE CULTURELLE

Le texte publié ci-dessous est une analyse géopolitique et économique de la Gauche Républicaine & Socialiste rédigée le mercredi 11 mars 2020

Les places financières mondiales se sont effondrées en ce début mars. Une telle violence des baisses d’indices, de l’ordre de 20% en quelques séances, n’avait plus été observée depuis le krach de 2008. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour aboutir à ce désastre : des anticipations de croissance moroses, l’arrêt de l’activité en Chine pour cause de coronavirus et un vif désaccord entre Saoudiens et Russes sur la production de pétrole.

Chronologiquement, c’est ce dernier facteur qui a précipité la chute. L’Arabie Saoudite était plutôt encline à réduire la production et soutenir ainsi les cours du baril. La Russie se disait pour sa part qu’un baril durablement sous les 40 dollars pourrait détruire l’industrie américaine du pétrole de schiste (dont le seuil de rentabilité se situe au-delà des 50 dollars). C’est le point de vue de cette dernière qui a finalement prévalu. Mais les cours du pétrole étaient déjà bas, reflétant la faiblesse de l’économie réelle, dès avant l’impact du coronavirus. La gestion de la maladie par la Chine n’a fait qu’aggraver une situation latente de surproduction – et donc de survalorisation des cours de bourse.

A présent, on ne peut que redouter les effets dévastateurs de la crise financière sur la sphère productive. Les banques vont essuyer des pertes colossales et réduire encore davantage l’accès des entreprises au crédit (investissements et surtout trésorerie). De l’autre côté, le coronavirus entraîne non seulement des ruptures d’approvisionnement mais aussi des reports voire des annulations pures et simples d'événements, de transports, de voyages touristiques et professionnels, etc. Ce premier trimestre 2020 subit donc à la fois un choc d’offre et un choc de demande. Tout (en tout cas beaucoup) dépend maintenant de la vitesse de récupération de la Chine, atelier du monde.

Si l’Empire du Milieu se remet en marche d’ici quelques semaines, peut-être que l’économie repartira. Mais ça n’est qu’un « peut-être » car pour de très nombreuses entreprises et secteurs d’activité, « quelques semaines » veut dire une éternité. Faute de clients, de pièces détachées et de crédit, des milliers d’entreprises pourraient avoir entre temps déposé leur bilan.

Mis à part les mesures conjoncturelles que prendront les gouvernements pour atténuer ces chocs (inondation de liquidités sur les marchés, dégrèvements fiscaux et sociaux, voire même des relances budgétaires), la grande question que pose évidemment cette crise est celle de notre dépendance matérielle à la Chine. La consommation mondiale et notamment occidentale, s’appuie sur une production dont la chaîne de valeur remonte presque toujours 

là-bas. Hormis quelques niches de type armement ou centrales nucléaires, toute notre industrie contient du Made in China. Si la Chine s’effondre, nous ne pouvons plus produire de voitures, d’avions, d’appareils électroniques, de machines, de médicaments, ni même de vêtements ou de maisons.

C’est si vrai que l’effet le plus catalyseur, intellectuellement, du coronavirus a été de convertir des amoureux de la mondialisation heureuse comme Thierry Breton ou Bruno Le Maire aux vertus de la souveraineté économique. C’est à peine s’il faut se pincer, pour être sûrs de bien les entendre expliquer aujourd’hui le contraire de ce qu’ils nous infligeaient hier. Ils prononcent le mot « relocalisation ». Ils ne font plus des sauts de dix mètres sur leur chaise lorsqu’on leur suggère que le concept de « démondialisation » n’est pas si stupide, ni soviétique, ni vénézuélien que tous les idéologues néolibéraux nous l’enseignaient jusqu’il y a deux mois. On commence à se dire que passer des accords de libre-échange avec l’Australie pour lui acheter du bœuf ou la Nouvelle-Zélande pour lui acheter du lait, n’est pas forcément d’une rationalité économique évidente.

Même l’Union européenne bruisse de ces réflexions sacrilèges – lesquelles ne sont certes pas encore parvenues au cerveau du Commissaire au Commerce international (ce qui s’explique sans doute par la lenteur des influx nerveux chez les dinosaures). Même l’Allemagne (!!!!) convient que la règle d’or budgétaire est un peu trop rigide.

Nous assistons donc aux prémices d’une victoire culturelle. Les faits nous donnent raison. La tension extrême dans laquelle se déploient les flux économiques et financiers mondiaux est en train de se rompre, nous laissant momentanément à poil, et honteux – par exemple de devoir compter sur la Chine pour fournir l’Italie en appareils de réanimation médicale, ou Sanofi en principes actifs médicamenteux.

Tout cela, toutes ces innombrables choses qui nous permettent de vivre dans un confort à peine imaginable pour les humains d’il y a un siècle et demi, nous pouvons le produire nous-mêmes, chez nous. Sans supprimer la mondialisation, nous pouvons et nous devons rapatrier des industries et les compétences, les savoir-faire et les salaires qui vont avec. Le coronavirus vient de nous montrer que la démondialisation n’est pas qu’une question idéologique, ni même principalement sociale; c’est une question de survie.

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18 octobre 2019 5 18 /10 /octobre /2019 14:43

On dit parfois que quand quelqu’un montre la lune les idiots regardent le doigt... certains aussi pensent qu’on peut éteindre une mauvaise polémique par une autre mauvaise polémique. De la part d’une élue comme Madame Laurence Rossignol, sénatrice PS de l'Oise et ancienne ministre de François Hollande, se revendiquant du camp de l’émancipation et du progrès, il serait cependant utile d’éviter les grosses ficelles et de parler de choses qu’on ne connaît pas du tout en procédant à des généralisations et des amalgames aussi abusifs qu’insultants.

Je ne partage pas grand chose avec les Églises évangéliques (que la sénatrice en question renomme « églises évangélistes » 🤔) et sûrement pas leur caractère conservateur moral qui me débecte ; mais il serait lamentable de les dénoncer pour une « rage » dont elles ne sont pas porteuses ... ou alors il faut assumer de vouloir les tuer.

Si ces Églises assument parfaitement leur nature prosélytes – ce qui somme toute est assez logique pour une religion – il convient de regarder les faits :
• aucune des dénominations membres du Conseil national des évangéliques de France (CNEF) ne prône une remise en cause des enseignements de l'école républicaine, comme la parlementaire semble l’affirmer. Ils peuvent être très conservateurs sur le plan des mœurs, ce qui peut effectivement mettre mal à l'aise une institution nécessairement laïque et ouverte comme l'école. De là à prôner le créationnisme par exemple, franchement, c'est très minoritaire et ces extrêmes existent dans toutes les religions.
• les atteintes à la laïcité en milieu scolaire sont finalement rares. Du côté du ministère de l'Education nationale, on nous indique que "les atteintes à la laïcité ne sont pas classées par religion". Seules des données globales existent : les fameux 900 cas remontés sur le dernier trimestre et évoqués ces derniers jours dans les médias. Parmi eux, 61% sont du fait des élèves, 19% de la part des parents. Sans parler d'une confession religieuse en particulier, le ministère souligne : "900 cas sur 12 millions d'enfants scolarisées, cela reste très minoritaire". "Pour chaque cas, un suivi auprès des élèves et des parents est effectué", ajoute-t-il. Les contestations d'enseignement oscillent entre 11 et 20% des signalements, depuis avril 2018. Les organisations membres de la CNEF quoi que l’on puisse leur reprocher n’ont dans leur discours et dans leurs pratiques pas de volonté d’entre soi et de mise à l’écart des enfants de leurs famille par rapport à l’école républicaine. Ils fréquentent très majoritairement celle-ci.
• "Quelques églises évangéliques, non affiliées au Conseil national des évangéliques de France (qui rassemble plus de 70% des églises évangéliques) et des petites églises pentecôtistes, le plus souvent créées par des pasteurs auto-proclamés, font craindre de graves dérives (...). Discours millénariste, recours fréquent à l'exorcisme, mise en scène spectaculaire du pouvoir miraculeux du fondateur, création d'émotions collectives en sont les marqueurs. Ils provoquent chez certains adeptes des états d'hystérie et des traumatismes. Au-delà du risque sectaire, le repli communautaire et la vision apocalyptique véhiculés par les discours de ces pasteurs est une menace pour la cohésion de la société", rapporte la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dont le gouvernement actuel n'a pas remplacé son dernier président (parti à la retraite en 2018) et qu'il a décidé de dissoudre dans les services du ministère de l'intérieur au 1
er janvier 2020.

Cette disparition en tant que telle pose un énorme problème car la lutte contre les sectes et contre la radicalisation sont deux combats différents. La motivation de cette décision se trouve exclusivement dans la volonté de réaliser des économies budgétaires ; on se prive ainsi d’un outil fondamental et l'on fait disparaître la lutte contre les sectes. De leur coté, des acteurs du monde associatif que nous avons contacté craignent de ne plus pouvoir accompagner les victimes correctement. Si je voulais faire du mauvais esprit face à cette situation désastreuse, je pourrais expliquer que la Miviludes est malheureusement plus utile que les propos approximatifs de la sénatrice PS ; malheureusement c'est elle que France Inter a choisi d'interroger à une heure de grande écoute mardi 15 octobre 2019. Il serait donc utile de retourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de l’ouvrir quand on veut paraître plus intelligente que tout le monde.

Tous ces gens qui s’effraient de la progression des thèses des Frères Musulmans ou des Évangéliques les plus réactionnaires parmi nos voisins et concitoyens devraient plutôt s’interroger sur une partie des raisons (celles sur lesquelles nous pouvons agir) qui ont permis ou permettent encore la progression facile de leurs idées. Si on n’avait pas failli sur la promesse républicaine, sur la République sociale, on en serait sans doute pas là... venant de gens qui en plus ont collaboré avec des gouvernements qui ont accru cette faillite politique, je trouve cela d’autant plus croquignolet.

Moi je n’aurais aucun mal à dire qu’il faut être anticlérical et qu’il faut faire reculer l’influence dans les têtes et dans les rues de ces obédiences, mais on ne réussira (que ce soit pour l’islamisme ou les fondamentalistes protestants) qu’à la condition de ne pas se tromper de diagnostic, de ne pas élargir au-delà du réel le nombre des adversaires, et surtout en redevenant crédibles sur le projet politique et social qu’on défend : la cohésion nationale ne se bâtit pas uniquement sur des injonctions mais sur le fait que chacun puisse trouver dans son quotidien la preuve positive qu’il est membre de la Nation.

Frédéric Faravel

un culte au sein de l'église évangélique Martin-Luther King

un culte au sein de l'église évangélique Martin-Luther King

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15 octobre 2019 2 15 /10 /octobre /2019 13:04

Il y a plusieurs choses qui me gênent profondément dans la façon dont le débat public tourne ces derniers mois, et en fait ces dernières années :

1- Comment peut-on accepter de réduire les "musulmans" (si tant est qu'on puisse définir précisément une telle catégorie) vivant en France, ou les Français de confession musulmane (tout comme il y a des Français de confession juive, protestante, catholique, bouddhiste et surtout majoritairement sans confession), à l'image qu'en donnent celles et ceux qui ont une interprétation particulière, qui ont par ailleurs parfaitement le droit de l'avoir dans le respect du cadre républicain mais qui sont également minoritaires au sein de leur propre confession en France ?

2- Doit-on également, parce que c'est aussi cela qui est en jeu, assigner explicitement ou implicitement les immigrés d'origines maghrébine, sub-saharienne et moyen orientale, les Français dont les parents ou grands parents immigrés sont de ces origines, à une confession comme on assigne des personnes à résidence ? Ne vous est-il jamais venu à l'idée que parmi eux il y en a des nombreux qui sont agnostiques ou athées ?

3- Ne vous est-il jamais venu à l'idée qu'en procédant ainsi, souvent par fainéantise intellectuelle, qu'en validant de telles réductions et raccourcis, on facilite le travail de sape de l'extrême droite (qui a trouvé une diversion facile pour renommer son racisme anti-maghrébin et anti-africain "lutte contre l'Islam") et des islamistes contre la République et la cohésion nationale ?

4- Ne vous est-il jamais venu à l'idée que si nous voulons d'un point de vue républicain procéder à une reconquête de l'hégémonie culturelle perdue face aux diverses facettes de l'obscurantisme (message de soumission de la femme et de supériorité de la loi religieuse sur celle de la République d'un côté ; racisme et inégalitarisme de l'autre), cela ne pourrait fonctionner en assignant une partie de nos compatriotes à une identité réductrice, en refusant de discuter rationnellement et de manière argumentée avec celles et ceux dont la pratique religieuse nous "dérange", et sans redonner sens et réalité à la vocation sociale de la République ?

Soyons sérieux : tout le monde sait que l'Islam autour du monde vit aujourd'hui une période de tensions géopolitiques, sociales et théologiques, qui forcément atteint par ricochets certains de nos concitoyens. Est-ce que ceux qui ne sont pas musulmans peuvent décider de comment doit évoluer cette situation (vous imaginez vous expliquer au Pape et aux cardinaux ce que DOIT devenir le catholicisme romain ?) ? Je ne le crois pas... par contre, c'est aux Républicains sincères d'être convainquant sur le type de société qu'ils défendent et cela ne peut l'être qu'en rendant concret ce qui crée du commun.

Jaurès avait dit au lendemain du vote de la loi de 1905 : "La République est désormais laïque, elle doit devenir sociale. C'est parce qu'elle sera devenue sociale qu'elle restera laïque." Réfléchissez y bien...

Frédéric Faravel

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12 octobre 2019 6 12 /10 /octobre /2019 19:24

Sortant du cinéma après avoir vu le nouveau film de Todd Phillipps, dont je comprends désormais aisément qu'il ait reçu le Lion d'Or à la Mostra de Venise, l'effet qu'a produit « Joker » sur moi a sans doute inhibé ma faible capacité à trouver un titre original. Ceux qui auront vu le film ou qui auraient lu des critiques trouveront sans doute que je sombre dans la banalité ou la facilité ; ils auront sans doute raison, mais je vais essayer de traduire dans les lignes qui suivent quelques impressions fortes qui me paraissent être transmises par cette interprétation originale d'un anti-héros emblématique des Comics américains.

Joaquin Phoenix, ayant achevé sa transformation

Joaquin Phoenix, ayant achevé sa transformation

Évidemment, la composition de Joaquin Phoenix – dont on ressent bien qu'il ait pu manquer de sombrer dans la folie avec ce personnage, quand on connaît sa propension à s'immerger dans ses rôles – est proprement époustouflante, tous les autres Jokers qui l'ont précédé (sauf peut-être Heath Ledger) peuvent aller se rhabiller, ils ne lui arrivent pas à la cheville ; le scénario, la mise en scène, la photographie, la bande sonore et le reste du casting sont à l'unisson. Autre originalité à souligner, l'histoire de ce « Joker » n'a jamais de près ou de loin été contée dans une quelconque version BD des Comics, dont il décrit ici la genèse d'un des personnages phares. C'est donc une œuvre originale dans tous les sens du terme. Or donc ce qui est intéressant dans toute œuvre originale, c'est ce qu'elle semble raconter de la société dans laquelle nous vivons.

Je m'écarterai de ce qui semble faire prioritairement polémique, notamment aux États-Unis, sur le fait que d'aucuns y verraient une implicite apologie de la violence, dans un pays tout à la fois rudement touché par les meurtres de masse, la prise de conscience qui en découle et le déni pathologique d'une partie de ses institutions et de sa population. Pourtant s'agissant du portrait et du passé d'un criminel psychopathe, on pouvait s'attendre à ce que le film en lui-même ne soit pas exactement une bluette pour adolescent ; la production cinématographique américaine propose suffisamment d'images de violence gratuite, sans aucun recul, pour qu'on ne fasse pas ce procès au « Joker » plus qu'à un autre. Au contraire, comme dans The dark knight rises (qui avait pour le coup été frappé par des agressions et des fusillades au moment de sa sortie), « Joker » est suffisamment explicite dans sa manière de mettre en scène la folie et l'insanité du personnage principal pour que le recul existe sur la violence qui s'affiche. Je considère qu'ici c'est la société américaine qui se sert du film comme d'un miroir à ses propres angoisses et impensés.

Il me semble que le film développe un propos social pour le coup assez appuyé et transparent. Le Gotham city décrit de manière évidente le New York du début des années 1980, celui de la crise sociale, des immeubles décrépis et presque insalubres, des rues sales soumises à la criminalité, celui de la crise morale également, quand l'Amérique avait mauvaise conscience de la guerre du Viet Nâm, rejetait ses vétérans (c'est le pitch du premier Rambo) et que la police new-yorkaise semblait irrémédiablement gangrenée par la corruption.

#Joker, une fable sociale... et politique

Le décor est cohérent avec les deux messages principaux.

Le premier se greffe sur la compréhension de la fabrique d'un monstre. Comédien raté, avec un passé psychiatrique déjà chargé (on découvrira dans le dernier tiers du film à quel point), Arthur Fleck est suivi par les services sociaux de la ville de New York, ce qui l'empêche de sombrer totalement.

Évidemment, la vie qui lui est promise sur ce chemin n'a rien de réjouissant, le personnage est un loser, qui semble condamné aux brimades et à la médiocrité. Il n'y a pas d'angélisme dans la présentation des services sociaux : le metteur en scène ne laisse aucun doute sur le fait que les psychologues qui accompagnent Arthur sont dépassés, désabusés, pas forcément à l'écoute, mais pas forcément sans conscience de leur utilité sociale, de leur rôle et de leur place. C'est la suppression de tout ou partie des services sociaux municipaux pour coupes budgétaires qui va être l'un des éléments rendant possible la dérive délirante et la naissance du Joker, Arthur choisissant sous l'effet de sa dérive psychiatrique de considérer que la folie lui offre la possibilité de se réaliser plus pleinement.

On pourra considérer que le propos reprend des discours psycho-pédagogiques que certains disent éculés et qui viseraient selon eux à excuser les criminels et feraient preuve de naïveté quant aux peines qui leurs sont infligées... On pourra juste rappeler à quel point presque toutes les prisons des pays démocratiques (il y a une exception US, qui a trait à l'enfermement des hommes noirs américains, je ne vais pas entrer dans les détails, mais lisez Emmanuel Todd) sont remplies majoritairement d'individus atteints de sévères troubles psychologiques ; c'est sans doute l'une des raisons, parmi d'autres, pour lesquelles la mission de correction, de rachat ou de rééducation qu'on leur fixe est aujourd'hui en échec. On ne dira jamais à quel point les politiques de prévention psychologique et sociale sont des outils essentiels pour éviter des parcours criminel ; on ne redira jamais à quel point certains des pires tueurs de ses dernières années avaient un pedigree psychologique chargé dès l'enfance et témoignent donc d'un échec ou plutôt d'un abandon du suivi social et psychologique de l'enfance en difficulté... n'oublions jamais qu'un enfant violenté a besoin d'être accompagné pour faire preuve de résilience.

Le film dit d'abord cela : l'austérité détruit nos capacités à prendre soin, à soigner ceux de nos prochains qui sont les plus fragiles, l'austérité accouche de fous dangereux et criminels, donc l'austérité détruit à court et moyen terme notre sécurité individuelle et collective, notre tranquillité...

#Joker, une fable sociale... et politique

Le second s'engage sur le terrain de la morale économique et sociale, de la morale ramenée à une forme de lutte des classes. On pourrait y voir une forme d'illustration de la notion de common decency, proposée tout au long de son œuvre par l’écrivain britannique et socialiste George Orwell.

Cette notion postule une « décence ordinaire », un sens inné de l’entraide et de l’éthique propre à la classe ouvrière – ou aujourd'hui (dans une époque où le sentiment d'appartenance de classe a fondu) aux catégories populaires  –, cette dernière, de par sa condition, serait plus encline que les autres à l’entraide, à la fraternité, à un comportement « moral ». La notion est aujourd’hui reprise et abusivement exploitée par toute sorte d’intellectuels plus ou moins réactionnaires qui tentent de transformer le concept en « signifiant vide » qui réceptionnerait une forme de xénophobie bon teint quand il s'agit juste au départ d'une forme de rejet de la mondialisation libérale ou plutôt de ses conséquences. Il fallait que je signale cette instrumentalisation du concept orwellien pour qu'il n'y ait pas de confusion : cette dérive est absente du film. On peut par contre rapprocher l'interprétation qui en est donnée dans un autre film récent et très réussi « Alice et le maire » (de Nicolas Pariser), la jeune collaboratrice y rappelant au maire fictif de Lyon à quel point le militant de gauche éduqué et favorisé ne saurait être en capacité d'édicter un point de vue moral ou politique aux catégories sociales défavorisées qu'il prétend défendre (certains ne le prétendent même plus) s'il n'a pas réellement conscience ou s'il ne partage pas d'une manière ou d'une autre leur vie quotidienne et leur réalité sociale. Sans tomber dans la caricature de la notion « d''établissement » des jeunes militants maoïstes français des années 1970, il s'agit de dire que les jugements politiques définitifs des Bobos du XIème sur le comportement électoral ou civique des catégories populaires des banlieues, du nord ou de l'est de la France n'est pas toujours frappé au coin de la pertinence et de la légitimité, qu'ils gagneraient sans doute à partager un peu concrètement leur vie en s'installant à leurs côtés pour mettre en œuvre cette diversité sociale qu'ils défendent intellectuellement si souvent.

« Joker » applique la « décence ordinaire » à l'élite libérale et financière. Le mépris affiché par les puissants, par ceux que les « populistes de gauche » pourraient désigner comme la caste ou l'oligarchie, le mépris de leur représentants politiques (en France, Macron en est un archétype absolu), leur absence d'empathie quelconque pour la réalité quotidienne de la vie du plus grand nombre, des 99%, est indécent. La dérision et la caricature de média sombrant dans l'entertainment permanent est tout aussi indécent. La dignité voudrait qu'ils se taisent ou se mettent de côté. Mais évidemment les rapports de pouvoir et la facilité à manipuler avec « du pain et des jeux » les masses leur offrent une garantie de long terme. Ainsi Thomas Wayne peut prétendre se présenter à la mairie de New York tout en traitant la majorité des habitants de la ville de clowns et en les comparant à un assassin, dont il charge lui-même le crime d'une valeur sociale. Il a les médias pour lui.

Arthur devenu Joker suggère une solution quelque peu définitive à cette indécence, mais il s'agit d'un personnage psychopathe ne l'oubliant pas. Cependant, il est intéressant de noter que le portrait des New-yorkais dressé dans le film les montre LE moment où cette indécence de l'oligarchie, de ses médias et de ses fondés de pouvoir est devenu insupportable : c'est l'émeute et c'est la projection des masses (au sens arendtien) à travers la personnalité d'un leader possible mais délirant. Le mépris peut conduire les foules à choisir un clown, celui-ci ne sera par forcément drôle. Il est certain que le mépris a joué dans l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d'Amérique ; quels que soient les talents et les qualités personnelles ou politiques de Barack Obama (surtout comparé à G. W. Bush), il a mené une politique de fondé de pouvoir de l'oligarchie libérale bien pensante américaine ; le mépris a transparu durant toute la campagne d'Hillary Clinton en 2015, les intérêts du monde de la finance étant largement représentés parmi ses soutiens (avec une situation de « subjugation » de l'électorat noir par sa propre élite sociale qui la convint depuis deux décennies de voter Clinton contre ses intérêts, plutôt que de voter Sanders par exemple) ; il est probable que cela se reproduise avec Joe Biden.

George Orwell ; Hannah Arendt

George Orwell ; Hannah Arendt

La violence des rapports de pouvoir entre les masses et l'oligarchie sont parfaitement visibles également que ce soit dans la manière dont le pouvoir a traité le phénomène des Gilets Jaunes ou le refuge d'une large partie du vote populaire auprès de la famille Le Pen qui présente toute une panoplie de clowns sinistres et dangereux. L'un des enjeux de la gauche est bien de sortir d'une logique de "masses" pour retrouver une dynamique de "front de classes" qui rétablisse nos intérêts collectifs face à l'oligarchie.

À méditer...

Frédéric Faravel

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26 septembre 2019 4 26 /09 /septembre /2019 09:31

J'ai beau ne pas être membre de la France Insoumise et déplorer parfois certains emportements du personnage, force est de reconnaître que Jean-Luc Mélenchon sait parfois élever le débat bien au-dessus des querelles politiques quand des enjeux philosophiques, anthropologiques et culturels déterminants sont en jeu.

Je reproduis donc ici en vidéo et par écrit l'intervention qu'il a faite hier vers 16h dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale lors du débat sur le projet de loi bioéthique. Il mériterait d'être étudié dans toutes les classes de philo.

Frédéric Faravel

M. Jean-Luc Mélenchon. Après avoir entendu mes collègues, je veux compléter et renforcer les propos que j’ai tenus tout à l’heure. Sur le sujet dont nous débattons, lorsque l’on a des certitudes, c’est qu’on les a construites : on n’a pas de certitudes a priori. Pour être plus exact, si l’on a des certitudes a priori, ce sont des préjugés.

J’admets qu’il s’agit de préjugés très forts : l’évidence plaide pour affirmer qu’il y a un père et une mère. C’est un fait évident. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition dans ce domaine. Pour autant, si nous examinons cette situation, devons-nous conclure à son caractère indépassable ? C’est tout le sujet. C’est la question même du progrès – je ne parle pas du progrès matériel ou du progrès technique, qui sont d’un autre ordre, quoiqu’ils viennent souvent bousculer notre perception du progrès humain. Ce progrès humain existe bel et bien, et son existence se mesure à l’évolution des lois – qui sont parfois régressives et parfois progressistes. Et, en la matière, que de chemin parcouru !

Notre collègue Blandine Brocard a évoqué la nécessité d’une présence masculine dans la vie et la construction de la psyché des enfants. Ce n’est pas un homme qui lui dira que cela n’a aucune espèce d’importance ! Je suis moi-même père et grand-père…

M. Thibault Bazin. Félicitations ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Mélenchon. et j’espère jouer un rôle. À vrai dire, j’ai fait ce que j’ai pu, comme beaucoup d’entre nous. Il reste que je veux récuser l’argument selon lequel la situation prévue par le texte exclurait la présence des hommes. Ce sera certes le cas du père, y compris de manière formelle pour l’état civil, mais ce ne sera pas une exclusion des hommes, car celles qui forment un couple de femmes ont des frères, des pères, et peut-être parfois des fils. Des hommes seront donc bien présents, tels qu’ils sont.

Mais bien malin qui peut dire ce que sont les hommes, parce que ça change d’une génération à l’autre : le genre masculin est aussi une construction, mais j’ai eu l’impression qu’on le présentait comme une essence. Or, ce n’est pas du tout le cas ! Une seule de mes collègues plus jeunes que moi éduquerait-elle aujourd’hui son fils en lui donnant une gifle lorsqu’il a les larmes aux yeux, en lui disant : « Tu n’es pas une femme ; au moins maintenant, tu sais pourquoi tu pleures ! » (Sourires.) Dans ma génération, c’était courant : on était un homme, on ne pleurait pas. Du coup, nous gardions nos sentiments pour nous. On nous apprenait cela : nous étions dressés pour cela. On évoque souvent la dictature des modèles culturels sur les femmes, mais l’équivalent existe pour les hommes.

Mme Anne-Christine Lang. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Les hommes doivent être comme cela, se comporter de telle manière ou de telle autre… Le genre masculin est une construction, comme le genre féminin.

M. Marc Le Fur. Ce ne sont pas des genres ; ce sont des sexes !

M. Xavier Breton. Nous parlons de corps !

M. Jean-Luc Mélenchon. La paternité et la filiation sont un rapport social. Je viens de vérifier un point avec mon collègue Bastien Lachaud, qui est un éminent historien. Même si elle est aujourd’hui remise en cause, selon la règle de la présomption de paternité consacrée par l’état civil napoléonien, lorsque votre femme donne naissance à un enfant, c’est le vôtre : c’est votre femme, donc c’est votre fils ! Disons que c’est un credo.

M. Marc Le Fur. C’est pour la paix des ménages !

M. Jean-Luc Mélenchon. En tout cas, c’est comme cela. C’est la loi. Moi, je trouvais ça très bien.

Dans la Rome antique, le paterfamilias avait le choix : il pouvait prendre l’enfant dans ses bras et prononcer la formule sacrée « c’est à moi ! », et c’était alors son fils, ou le mettre à la poubelle. Dira-t-on aujourd’hui qu’il s’agissait d’un modèle indépassable ? Non, bien sûr !

M. Marc Le Fur. C’est pourtant ce que nous recréons !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne l’évoque pas pour le jeter à la figure de qui que ce soit – de quel droit le ferais-je ? –,  mais pour montrer que les rapports sociaux, les rapports de filiation, de paternité et de maternité sont des faits sociaux et culturels. Comme tels, il faut s’en réjouir, car cela signifie qu’ils sont à notre portée.

Ainsi, monsieur Brindeau, il faut reconnaître que votre raisonnement est formellement implacable : il enchaîne des faits. Mais, non, collègue ! Ce que nous allons voter ne forcera pas notre conviction et personne ne sera obligé de renoncer au père du fait du vote de la loi : il y aura toujours des pères, et il y aura toujours des mariages hétérosexuels. Il s’agit là uniquement d’une catégorie de personnes, en vérité peu nombreuses. Quelqu’un a parlé de révolution de civilisation mais, de grâce,…

M. Marc Le Fur. C’est vous qui en parlez !

M. Jean-Luc Mélenchon. On peut toujours dire cela, mais nous n’en sommes pas là ! Ce qui va changer, monsieur Le Fur, c’est qu’au lieu d’avoir un seul modèle possible de filiation, il y en aura plusieurs. Le seul mal qui résultera de cela…

Mme Constance Le Grip. Comment écrivez-vous « mal » ?

M. Jean-Luc Mélenchon. …serait celui que pourraient éventuellement faire ceux qui viendraient ultérieurement discuter de la légitimité de telles filiations.

J’appartiens à une génération pour laquelle le divorce était rarissime. Les enfants de divorcés pouvaient lire dans les yeux des autres une sorte de consternation douloureuse. On nous disait qu’il fallait s’apitoyer sur eux. Personnellement, cette situation ne m’a causé aucune souffrance et je me demandais de quoi je pouvais bien me plaindre. Je comprends ce regard, qui était plein de bienveillance. Aujourd’hui, dans une classe de CM2 ou de CP, on a plus vite fait de compter les enfants dont les parents sont toujours en couple que ceux dont les parents ont divorcé.

M. Xavier Breton. 70 % des enfants vivent avec leurs père et mère !

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes en train d’augmenter les droits des personnes, des pères et des mères, qui constituent les familles recomposées – quatre personnes sont concernées. Nous voyons bien que les choses ont évolué.

Nous ne ferons rien d’autre que de voter. Un vote, ce n’est pas un oukase, c’est seulement une décision. Une fois le vote acquis, chacun peut conserver son opinion. Si vous pensez que nous commettons une erreur terrible… D’ailleurs, peut-être avez-vous raison et peut-être dirons-nous, dans quatre ou cinq ans, que nous avons fait une horrible gaffe et rendu malheureux des milliers de jeunes gens – mais nous ne le croyons pas.

Nous avons beaucoup réfléchi avant de prendre notre décision et il ne faudrait pas faire croire que c’est une décision prise au débotté. Cette mesure n’est même pas partidaire : elle se trouvait dans le programme que j’ai eu l’honneur de défendre lors de l’élection présidentielle, dans celui de M. Macron, et peut-être dans d’autres – j’en oublie –, comme celui de M. Hamon. Nous avons tous pris le temps d’y réfléchir.

Mais la force de l’idéal républicain et de la démocratie laïque – et j’insiste sur cet adjectif –, c’est qu’elle ne place pas un Dieu ou une ethnie au-dessus de nos têtes : la loi est réversible, provisoire. La démocratie et l’humanisme ne proclament pas de vérité : nous ne prétendons pas que nous connaissons la vérité, mais que nous la cherchons.

Monsieur Brindeau, vous m’expliquez aussi, par un raisonnement que j’entends, que si nous sommes partisans de l’égalité, nous serons partisans de la GPA. Formellement, vous avez raison, mais nos décisions cheminent entre nos principes : à côté du principe d’égalité, un autre principe intervient, selon lequel le corps humain n’est pas une marchandise. Croyez bien que si ce projet de loi comportait un quelconque élément de marchandisation, je ne le voterais pas !

M. Marc Le Fur. Alors, vous ne le voterez pas !

Plusieurs députés du groupe LR. Vous ne le voterez pas !

M. Thibault Bazin et M. Xavier Breton. Nous allons vous expliquer !

M. Jean-Luc Mélenchon. En fait, comme beaucoup de gens ici, je vais voter ce texte, parce qu’on n’y trouve pas trace de marchandisation.

Si, demain, des collègues proposent d’autoriser la GPA, tout en disant d’avance que je respecterai leur point de vue et en reconnaissant l’ambiguïté de certaines de nos positions, je serai contre et mon raisonnement sera le suivant : présentez-moi une femme milliardaire prête à faire un enfant pour le bonheur d’une femme habitant un bidonville, et j’accepterai de discuter du principe de la GPA. Cela n’existe pas ! La GPA ne sera jamais autre chose qu’une forme de marchandisation, et nous nous y opposerons absolument.  Ah ! » sur les bancs du groupe LR. – Applaudissements sur les bancs du groupe LT.) Nous ne serons pas les seuls. Il y aura des oppositions sur tous les bancs. Vous aussi vous voterez contre !

Voilà ce qu’est une décision politique : il ne faut pas en faire une vérité absolue, sous peine de tomber dans le dogmatisme et, forcément, dans le sectarisme. Toutefois, puisque Marc Le Fur est venu sur ce terrain, et que vous avez aussi évoqué le droit aux origines, je me permets de vous demander de quoi vous parlez – mais je ne veux désigner personne ni mettre aucune polémique dans mon propos.

Peut-être celui ou celle qui est capable de remonter à ses origines sur cinq, dix ou vingt générations pourra-t-il parler du droit aux origines en citant ses ancêtres jusqu’aux croisades. Les miens devaient sans doute s’y trouver aussi – par la force des choses, puisque je suis aujourd’hui devant vous –, mais ils ont oublié de le mentionner. Peut-être n’étaient-ils pas du « bon côté » mais, à la vérité, je m’en fiche, car le droit aux origines est une illusion ou, plus exactement, une idéologie.

C’est pourquoi tout à l’heure je repartais du discours de Mme Le Pen, parce qu’elle est cohérente. À sa manière, M. Le Fur l’est aussi, pour de tout autres raisons, comme M. Brindeau – je m’empresse de le dire, car nous sommes unis, avec Marc Le Fur et Claude Goasguen, par des polémiques à propos de l’interprétation des événements de la Révolution de 1789.

Vous avez raison de dire, monsieur Le Fur, que nous sommes des nains sur les épaules des géants, mais vous vous trompez sur un point : ce n’est pas parce que les autres étaient plus grands, mais parce qu’ils étaient plus nombreux…

M. Marc Le Fur. C’est parce que nous leur sommes redevables !

M. Jean-Luc Mélenchon. Le sens de cette métaphore, c’est que nous sommes tous des nains parce que nous succédons à des générations qui nous précèdent. Comme vous le savez, puisque vous vous êtes chrétien, Christophoros, qui veut dire, en grec, « qui porte le Christ », ne signifie pas que Christophe est plus grand que le Christ – ce serait une hérésie –, mais que nous sommes les héritiers d’une histoire collective, et non individuelle. Moi, comme tout le monde le sait ici, je suis l’héritier de Robespierre, avec qui je n’ai aucun lien de parenté.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas sûr ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin. Il faudrait faire un test ADN !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis l’héritier d’Épictète, que je n’ai jamais rencontré, et de Karl Marx, que je n’ai jamais vu,…

Mme Danièle Obono. Lui, il existe !

M. Jean-Luc Mélenchon. …et ainsi de suite. Notre passé, nous le choisissons, et même la mémoire que vous croyez en avoir est une reconstruction – il y a parmi nous quelques médecins qui me donneront raison à ce propos. La mémoire n’a jamais été un enregistrement, et l’histoire, si elle est une science – et c’en est une – n’établit, là non plus, aucune certitude, sans quoi elle ne serait pas une science.

Acceptons donc la splendeur du relativisme ! C’est ce dont je me fais l’avocat à cet instant. Nous sommes grands parce que nous décidons de vivre de telle ou telle manière, et de le faire de façon honorable. C’est la seule chose qui compte ; nous ne devons rien à personne, sinon pour les sacrifices qui ont été consentis pour nous, mais cela ne nous crée pas une identité.

M. Marc Le Fur. Cela crée une dette !

M. Jean-Luc Mélenchon. L’identité est une construction. Je suis d’accord, monsieur Le Fur, pour dire que nous sommes en désaccord sur ce point : je ne vais pas vous attribuer une position qui ne serait pas la vôtre, que  je ne connais pas exactement, mais je sais qu’il y a un lien profond – et j’invite ceux qui siègent de votre côté de l’hémicycle à y réfléchir – entre le droit aux origines, le droit du sang, l’ethnicisme et le communautarisme. Je ne vous le reproche pas, collègue, et je ne suis pas en train de vous faire un procès, mais ceux qui sont les plus cohérents sont ceux qui vont d’un bout à l’autre du spectre : du droit aux origines au droit du sang, pour terminer par l’ethnie, qui fonderait l’identité. L’histoire est longue et moi, je suis l’héritier d’une histoire – qui n’est pas celle-là dont je ne veux pas.

La vraie frontière qui traverse l’Europe est celle des lignes de l’Empire romain : d’un côté, c’est la cité, la citoyenneté et le droit du sol – celui qui arrive et qui est là a droit à la parole comme tout le monde – ; de l’autre, c’est le droit du sang, et tout ce qui va avec.

Je ne suis pas étonné par la position de mes collègues conservateurs. Il n’y a d’ailleurs aucune honte à être conservateur et je me demande pourquoi cela semble en déranger certains. C’est un point de vue politique respectable et honorable, et il n’y a pas de démocratie si nous sommes tous d’accord ! Il n’y a de démocratie que parce que nous sommes dans un rapport de conflictualité, qui nous fait réfléchir et nous oblige à affiner nos arguments.

On peut donc être conservateur et vous l’êtes, chers collègues, quand vous proclamez la prééminence du passé. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Thibault Bazin. Nous sommes pour le progrès éthique !

M. Jean-Luc Mélenchon. Quant à nous, nous proclamons la prééminence de l’autoconstruction !

M. Marc Le Fur. La prééminence de la transmission, c’est autant le passé que l’avenir.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne disons pas qu’elle sera une réussite à tous les coups, mais que si nous ne sommes pas dans cette logique-là, cela signifie – et cela vous a échappé, monsieur Le Fur – que chacun d’entre nous n’a d’autre mission dans la vie que de reproduire des modèles. Or, reproduire des modèles, ce n’est pas exister, c’est imiter.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai ! Syllogisme !

M. Jean-Luc Mélenchon. La vie n’est pas une imitation, et elle le sera moins que jamais à l’avenir.

Vous me verrez peut-être d’accord avec vous, Marc Le Fur, quand nous aborderons les questions terribles posées par les eugénistes et par ceux qui se disent transhumanistes.  

M. Marc Le Fur. C’est ce que vous nous préparez avec ce texte !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ceux-là non plus n’ont rien compris à ce qu’est la nature humaine telle que l’humanisme historique la décrit.

Nous n’avons jamais dit que nous allions dépasser les limites physiques de l’humanité, mais celles qui tiennent à sa culture, à ses préjugés, à sa violence, à ses obsessions et à ses dogmes. Voilà ce que l’humanisme se donne comme projet.

C’est pourquoi ce modeste article, qu’on aurait tort de présenter comme le changement du siècle, est un petit bout du chemin que nous construisons étape après étape, tâtonnant dans la pénombre pour trouver la bonne direction. Nous sommes comme la chouette qui, lorsque le jour tombe, passe entre l’ombre et la lumière pour trouver le côté où elle va s’en aller.

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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 08:41

Je me permets de diffuser ici pour sa grande qualité intellectuelle le débat organisé par l'association "Critique de la Raison européenne" de l'Institut d'Etudes politique de Paris. Marcel Gauchet et Emmanuel Todd débattent  le 26 mars 2019 dans une conférence intitulée "La France sous Macron : de la fracture sociale à l'explosion ?".

Les deux intellectuels échangent sur l'impasse politique dont l'accession au pouvoir de Macron et la réaction sociale qu'il a provoquée (la crise des "Gilets Jaunes") sont les symptômes terminaux.

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25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 11:43

Dravisseurs-gourdel-2838146-jpg_2471967_652x284.JPGepuis hier soir et l'annonce de l'assassinat d'Hervé Gourdel par les "soldats du Califat" en Kabylie, je lis sur les réseaux sociaux des déclarations à l'emporte pièce toutes plus affligeantes les unes que les autres. Qu'elles émanent parfois de responsables politiques, qui sont censés avoir un peu de recul et de jugeotte, me paraît d'autant plus consternant.

Pour la plupart, elles se fondent sur l'idée que l'ensemble des religions - tout particulièrement les trois "religions du livre" - seraient intrinsèquement violentes et totalitaires. D'aucuns condamnent en soi Dieu (quelle que soit la forme que lui donnent les humains), la foi et les différentes confessions en raison des exactions qui sont et ont pu être commises en leur nom tout au long de l'Histoire. C'est oublier que les textes "révélés" sont avant tout sujet à interprétation et exégèse, donc les enseignements qui en sont tirés sont largement facteurs du regard humain qui se porte dessus. Si certains veulent avoir une lecture littérale des passages et citations les plus violents du Coran, de "l'Ancien Testament" ou des Evangiles, c'est leur seule responsabilité qui est en cause. Ce serait comme lire Nietzsche et en tirer la conclusion que seule une minorité aristocratique de l'humanité aurait droit de vivre et de gouverner, en oubliant que le grand philosophe allemand n'appelait qu'au dépassement de soi, dans un message profondément anti-militariste et anti-autoritaire...

Dans le même mouvement, ils exigent que les "croyants" prennent enfin leurs responsabilités et combattent avec la dernière des fermetés ceux qui massacrent au nom de Dieu. C'est donc que les religions ne seraient pas en soi totalitaires puisque des "fidèles" pourraient avoir une autre vision de la foi que celle qui conduit au massacre. Mais c'est à nouveau les comparer aux assassins, donc les insulter, tout en oubliant les combats incessant entre tous ceux qui ont toujours cru au message d'Amour contenu dans les textes incriminés, qui ont toujours combattu les intégrismes, et qui souvent ont été les premiers à en faire les frais, qui d'ailleurs le payent encore aujourd'hui.

Je suis dans le même ordre d'idée fort mal à l'aise quand j'entends des responsables politiques ou des représentants d'organisation diverses exiger des musulmans français qu'ils suivent l'exemple de leurs correligionnaires anglophones qui ont lancé depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux la campagne #notinmyname, pour condamner les exactions et la perversion des "fous de Dieu" au Moyen Orient et partout ailleurs. Ce n'est pas de l'extérieur d'une "communauté" qu'il convient d'indiquer à ceux qui en sont membres quel est leur rôle, leur tâche, leur devoir. C'est à eux seuls de se déterminer en fonction de leur conscience et de déterminer quel est le meilleur viatique pour être utile et efficace dans le combat contre l'intolérance et la violence. Pour ma part, je préfère que nous nous prononcions d'abord et avant tout en tant que citoyens français, membres de la seule communauté qui vaille, la communauté républicaine. Si je participe de manière personnelle et privée à la vie d'une organisation confessionnelle, c'est en son sein que je parlerai des choix et des alternatives qui nous sont posées, pour éventuellement déboucher sur la parole publique de l'organisation concernée ; mais hors d'elle je ne suis qu'un citoyen français, un républicain aux convictions socialistes, qui seules doivent s'exprimer en mon nom propre sur la place publique. Cette réaffirmation de la prégnence de la communauté républicaine est d'autant plus nécessaire quand un de nos concitoyens a été mise à mort, lâchement égorgé, parce qu'il en était membre.

Enfin, j'ai pu aussi lire que le gouvernement, voire le Parti Socialiste, porterait une part de responsabilité dans l'assassinat d'Hervé Gourdel. C'est abject ! C'est vouloir trouver des excuses à ses assassins, c'est considérer qu'ils leur aurait manqué un prétexte si la France n'était pas intervenue au Mali et en Irak. Mais ces "fous de Dieu" n'auront jamais besoin de prétextes pour appliquer leur doctrine de mort ! Leur idéologie politique qui veut se draper du voile de la religion n'est rien de moins qu'un "nouveau" fascisme qui cherche par tous les moyens à instaurer son pouvoir territoriale et/ou culturel sur l'ensemble de la planète ; il renouvellera ses massacres quelles que soient les forces qui s'opposent à lui et le fera d'autant plus aisément que nous ferions preuve de faiblesse ou d'indifférence à son égard. Nous n'aurons de repos que lorsque nous aurons éradiqué un tel ennemi. Eradiquer cela veut dire remporter de manière radicale et définitive la bataille politique et culturelle qui se joue à l'échelle mondiale. Cela veut dire rétablir la stabilité et l'Etat de droit là où les interventions militaires américaines, fondées sur l'idée du "choc des civilisations", ont apporté tout au long des années 2000 le chaos et la division.

Frédéric Faravel

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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 16:31

MoranoL'inénarrable Nadine Morano a provoqué une polémique en cette fin d'été en postant sur son compte twitter en dénonçant photo à l'appui la présence d'une femme voilée sur la plage de ses vacances, au milieu des autres baigneurs et estivants. Ce buzz médiatique qui permet à l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy de refaire surface à l'occasion de la période de creux du mois d'août, quand les journalistes qui ne sont pas spécialistes des questions internationales et économiques sont un peu désœuvrés, a connu un rebondissement inattendu lorsqu'Harlem Désir, sous-ministre aux affaires européennes – qui a laissé un si bon souvenir comme premier secrétaire du PS entre novembre 2012 et avril 2014 – a indiqué sur BFM TV et RMC info «comprendre sa réaction».

Dans les deux cas, ces prises de position ont suscité un déferlement de commentaires tant de soutien que de réprobation sur les réseaux sociaux ; Harlem Désir s'est particulièrement exposé à l'ire de jeunes députés socialistes sur twitter qui voient dans le harcèlement contre l'ancien premier secrétaire une manière facile de se refaire une virginité politique, quand ils n'ont pas grand chose à proposer face aux errements de la politique économique du gouvernement. Ce brave Harlem a cependant reçu le soutien de son ancien comparse de SOS Racisme et de feu la Gauche Socialiste, Julien Dray considérant sur RTL que le voile n’était «pas seulement un signe religieux»mais «d’abord et avant tout un signe d’oppression des femmes».

Dans tous les cas, le caractère liminaire et hâtif des réseaux sociaux n'est pas le bon format pour répondre à notre lorraine et notre sous-ministre. On peut y faire des bons mots mais en aucun cas sortir par le haut de cette polémique nauséeuse, ce n'est d'ailleurs pas l'objectif de ces twittos parlementaires qui ne cherchent qu'à attirer l'attention médiatique à cette occasion.

Il faut prendre le temps pour développer quelque peu son argumentation et explique pourquoi Nadine et Harlem ont tort.

Morano et le dévoiement de la laïcité par la droite

Coupons court à toute mauvaise interprétation : je n'ai aucune sympathie pour le fondamentalisme religieux et je ne pense pas que l'on puisse traiter la question abordée par l'ex-ministre UMP par la simple invocation du «droit à l'indifférence» et de la «liberté culturelle». Oui, le développement du port du voile dans toutes ses variantes nous pose question collectivement, cette pratique me choque comme elle choque la très grande majorité de nos concitoyens ; oui le port du voile du hidjab jusqu'à la burqa en passant par le niqâb est clairement un symbole d'oppression de la femme. Non, le voile n'est pas inhérent à l'islam qui n'est pas en soi une religion plus misogyne que les autres et l'on peut très bien vivre l'islam sans le voile.

La première remarque nous permet de rappeler qu'au regard de la loi républicaine, aucune tenue vestimentaire n'est interdite dans l'espace public sauf le voile intégral – niqâb ou burqa – et les femmes voilées et très couvertes qui profitent de la plage fréquentée par Madame Morano ont parfaitement le droit de le faire et ne contreviennent en aucun cas ni à la tradition française, ni aux lois de la République. Pour dédramatiser, on dira que si elles veulent «crever de chaud» sur la plage c'est leur affaire et réécouter la très belle chanson de Zebda «Le dimanche autour de l'église».

20130728-100921.jpgD'ailleurs, cette propension de Nadine Morano a tout d'un coup se draper dans la laïcité et l'égalité femmes-hommes ne peut pas manquer de faire sourire, il est plus que probable qu'elle n'aurait pas eu la même réaction en regardant des bonnes sœurs déambuler sur une plage et qu'elle n'aurait jamais posté la photo ci-contre sur son mur facebookpour pousser un cri d'alarme. La laïcité n'était pas non plus dans ses principales préoccupations lorsqu'elle portait aux nues son Nicolas chéri, qui avait commis, en décembre 2007, le fameux discours de Latran, expliquant que "l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur" (le pauvre pasteur en cette occasion vaticane n'avait pourtant rien demandé). Nadine nous avait habitué paradoxalement à promouvoir sa pratique culturelle (et peut-être confessionnelle) chrétienne en regrettant le 24 décembre 2011, qu'il n'y ait "plus de films sur la nativité" diffusés à la télévision, remarque qui n'a pas sa place sous le clavier (oui c'était encore sur les réseaux sociaux) d'un(e) ministre de la République.

L'égalité femmes-hommes n'a pas plus été sa préoccupation principale jusqu'ici : on ne l'a guère entendue protester contre son propre parti qui préfère payer des millions d'euros d'amende plutôt que de présenter des femmes aux élections législatives ; de même, elle s'est récemment élevée contre l'amendement visant à modifier la loi Veil, supprimant la notion de "détresse" pour recourir à l'IVG.

Non, le propos et l'objectif de Nadine Morano est ailleurs et il est très explicitement exprimé par sa phrase : « A la vue de cette scène, on ne peut s’empêcher de ressentir une atteinte à notre culture (…) », écrivait-elle. « Lorsqu’on choisit de venir en France, État de droit, laïc, on se doit de respecter notre culture et la liberté des femmes. Sinon, on va ailleurs !! »

Plusieurs enseignements sont à retirer de ces admonestations :

  • -> Nadine réduit l'islam à sa sensibilité fondamentaliste pour expliquer qu'il est radicalement incompatible avec la culture et la République françaises, ce qui est pire qu'un raccourci ;

  • -> Nadine mélange allègrement droit et culture qui sont des notions différentes et l'on a vu plus haut que, dans tous les cas, cette pauvre femme à la présence gênante pour notre lorraine n'enfreint pas le droit ;

  • -> les musulmans sont forcément des gens venus d'ailleurs, et comme leur pratique culturelle et confessionnelle serait incompatible avec «la nôtre», ils ne sont donc décidément pas intégrables.

On voit bien ainsi où aboutit le raisonnement de notre égérie de la droite des réseaux sociaux. C'est bel et bien un buzz médiatique extrêmement calculé pour, dans la droite ligne des débats lancés par Nicolas Sarkozy et l'UMP sous le précédent quinquennat, dénoncer l'étranger ou plutôt celui dont elle considère que sa nature est étrangère au «corps national». S'attaquer à ce qu'elle croit, ou veut faire croire à nos concitoyens, être l'essence de sa pratique religieuse lui permettrait de ne pas être taxée de racisme. Allons ! Elle ne s'attaque pas aux maghrébins, aux africains ou aux turcs, mais aux islamistes, vous voyez bien qu'elle prend la défense des femmes... Amalgames et raccourcis habillent la haine, et je reprends les mots de Jean Baubérot interrogé sur cette polémique : «La droite ne cesse de détourner les termes de cette loi, et à force de répéter des mensonges, elle fait croire à l'opinion publique que la laïcité n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était à l'origine. Ainsi, il ne faut pas s'étonner que la laïcité glisse de gauche à droite, voir à l'extrême droite. C'est du Nadine Morano tout crachée, Marine Le Pen aurait pu dire la même chose.» La France tu l'aimes ou tu la quittes c'est toujours le même programme, on ne saura sans doute jamais, si Nadine le pense vraiment ou si son alignement sur les thèses du FN est un simple calcul politique visant à conserver et/ou reconquérir un électorat. Dans le deuxième cas, on a déjà vu l'inefficacité de ce type de posture, les gens préférant toujours l'original à la copie par accoutumance. Dans tous les cas, cela ne vise à répondre et à résoudre aucun des problèmes évoqués au début de ce chapitre, d'autant que notre Nadine nationale oublie largement que ces «pratiques culturelles» fondamentalistes qu'elle fait mine d’exécrer ne sont pas réservées à des gens qui «viennent en France» mais touchent un nombre grandissant de «gaulois» convertis, ce qui devraient largement nous interroger sur l'évolution de notre société.

Harlem-Desir-assure-qu-il-sera-toujours-patron-du-PS-apres.jpegHarlem se prend les pieds dans le tapis

Je l'ai dit en introduction la charge lancée sur les réseaux sociaux contre l'ancien et mauvais premier secrétaire du PS est facile et mesquine. En tout, même avec des personnes dont on désapprouve les actes et la stratégie, il faut se garder des mots blessants, ainsi quand on lit sur le compte d'un ancien président du MJS «Ce qui est rassurant dans le fait qu'Harlem Désir comprenne Morano ? Le fait qu'il comprenne quelque chose...», cela peut faire sourire mais pas plus et en tout cas cela ne fait en rien avancer le débat. On a connu l'auteur de la saillie mieux inspiré. C'est sans doute le travers de twitter mais bon...

Je n'ai aucun doute sur les bonnes intentions du sous ministre des affaires européennes dans cette affaire. Son engagement à gauche et comme ancien Président de SOS Racisme ne sauraient être mis en doute et il a sans doute voulu exprimer les mêmes sentiments que ceux que je développais en introduction du premier chapitre.

Cependant, un responsable politique de cette «envergure» n'aurait pas dû faire preuve d'autant de légèreté dans sa réponse. Surtout avec une personnalité aussi sulfureuse que Nadine Morano. Si l'on avait été devant un coup de gueule soudain d'une personnalité centriste (pas comme le Maire de Cholet, hein !) ou d'un représentant de ce qu'il reste de la droite républicaine, on aurait pu à la rigueur comprendre qu'il dise «comprendre». Mais la simple citation retranscrite plus haut démontre déjà la perversité du propos de Madame Morano et il était impensable dans cette configuration de faire preuve de compréhension et paraître ainsi cautionner le raisonnement qui sous-tend le propos. Je l'ai déjà dit nous ne sommes pas devant un simple coup de gueule et une éructation soudaine à laquelle Nadine nous a habituée (parfois avec une vulgarité sans égal) en 140 signes sur twitter ; le propos est construit et avant même la réaction du sous ministre il a été longuement développé sur la page Facebook de l'intéressée. Harlem Désir a donc ici commis une nouvelle faute politique.

Par ailleurs, l'ancien premier secrétaire n'apporte dans cette interview aucune réflexion qui fasse avancer le débat. Il démontre ainsi à quel point la gauche est en train de perdre le combat face au dévoiement de la laïcité organisé par la droite et l'extrême droite. Ici aussi, je me permets de citer Jean Baubérot : «La droite va continuer de surfer sur cette thématique. C'est à la gauche de reconquérir l'hégémonie intellectuelle sur la laïcité. Aujourd'hui, la gauche a beaucoup de mal à répondre à cette perversion car elle-même n'est pas au clair sur la laïcité, et bien qu'elle invoque souvent la loi de 1905, elle ne la connaît pas vraiment. Il y a un combat à mener. Je regrette d'ailleurs que l'on ne soit pas suffisamment nombreux à le mener à gauche. Après les propos de Nadine Morano, la gauche devrait se sentir interpellée car la laïcité lui échappe – ce qui est de sa faute.[…] Elle doit rappeler que la laïcité est une règle politique et pas du tout un conformisme culturel. Tant que la gauche fera preuve de paresse intellectuelle, il ne faudra pas s'étonner que la laïcité soit prise en otage par des gens comme Nadine Morano – qui pourtant n'est pas très brillante sur plan intellectuel. C'est à la gauche de réagir

Il y a donc nécessité de faire un retour clair à la lettre et à l'esprit de la loi de 1905, que nous avons largement perdus de vue depuis quelques années, dans des débats publics où couvert par les meilleures intentions du monde qui ont présidé à l'évolution récente de la législation sur le voile, la droite et l'extrême droite ont réussi à faire du sujet une arme de dénonciation ethnique contre une partie de nos concitoyens d'origine immigrée – cette partie étant présentée comme la représentation du tout.

000_par7355636_0.jpgDans le précédent chapitre, j'évoquais ceux qui ne sont pas issus de l'immigration maghrébine, turque ou subsaharienne (oui parce que parmi les «petits blancs», n'oublions jamais qu'il y a eu aussi des immigrations belge, italienne, espagnole, polonaise, etc. sans parler des autres apports anciens qui font la richesse actuelle de notre République) qui se convertissant à l'islam – ce qui en soi n'est pas répréhensible – choisissent pour certains la voie fondamentaliste pour exprimer leur nouvelle foi. Hommes et femmes, ils font partie de cette minorité islamiste qui sert à stigmatiser l'ensemble des musulmans et les nos voisins issus des immigrations venus du sud de la Méditerranée (bien loin de leurs supposées racines donc). Ce choix de rejoindre la pratique la plus fermée, la plus communautariste, celle qui met le plus en cause l'égalité entre citoyens et entre femmes et hommes, devrait bien plus nous inquiéter. Il est pour moi le symbole des reculs de la République engagés depuis plusieurs années. Lorsque la République, qui doit porter le message universel de la Liberté et de l'Égalité (une fois réalisé celles là, on pourra expérimenter concrètement la Fraternité), laisse sans réponse sérieuse et durable se gripper l'ascenseur social, se creuser les inégalités, au point d'empêcher parfois l'égalité des droits, lorsqu'elle laisse se consolider des espaces de relégations sociale, il est évident que les forces sournoises qui abhorrent la République se proposent de la remplacer et parfois de la combattre. Partout où la République recule, partout où la solidarité républicaine fait défaut communautarismes et extrémismes fleurissent. Quarante année de chômage de masse et de ségrégation sociale, ethnique et spatiale nous présente aujourd'hui la facture, et parmi ceux qui nous présentent la note l'islamisme est l'une des forces qui souhaitent en tirer parti. Dans les classes populaires, les dégâts sociaux ont touché les uns et les autres quelle que soit la couleur de la peau ou l'origine géographique des aïeux. Ces nouveaux convertis à l'islamisme font partie des déshérités d'un système où les défaillances de la solidarité républicaine se sont doublées du déclin de la conscience de classe.

Malgré quelques tentatives (parfois timides) pour relancer la machine du progrès en 1981, 1988 ou 1997, nos concitoyens ont subi 30 ans de reculs sociaux, 30 années de recul de la République dans les têtes et sur le bitume. L'accélération de ses reculs à la faveur de l'abdication de la puissance publique devant la vulgate néolibérale ne peut donc avoir comme seule conséquence celle de l'aggravation du phénomène qui nous occupe ici.

Cela aussi devrait plaider pour changer radicalement de politique économique et pour reprendre la bataille idéologique et culturelle.

Frédéric FARAVEL

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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 13:35

Depuis plusieurs mois, toute la gauche est à nouveau bousculée par les contradictions qui s'expriment en son sein sur les questions de l'immigration et de l'intégration. Ceci serait moins dramatique si nous n'étions pas aujourd'hui en charge de conduire les destinées de la République.

Quel effroi lorsque en septembre dernier, le Ministre de l'intérieur Manuel Valls, un socialiste, a expliqué sur une radio publique qu'une catégorie de la population résidant sur le territoire de la République n'avait «pas vocation à s'intégrer» mais retourner dans leurs pays d'origine (la Bulgarie, la Roumanie, essentiellement), sur la base de leur «culture trop différente». Cette déclaration ethnicisante n'est pas conforme selon nous à la tradition républicaine d'une part et aux valeurs humanistes de la gauche d'autre part.

Elle entre pourtant dans une stratégie construite de créer le clivage et la polémique par la triangulation.

leonarda.jpgL'expulsion d'une famille rrom au Kosovo, alors que leur pays d'origine n'était pas clairement identifié, l'interpellation de la jeune Leonarda Dibrani en marge d'une activité scolaire, avant sa reconduite à sa frontière, a suscité une grave polémique dont toutes les retombées ne sont pas encore connues. L'arbitrage final et public du Président de la République – après avoir pris connaissance des résultats de l'enquête administrative demandée par le Premier Ministre, qui a démontré à la fois une application stricte du droit mais également un manque de discernement dans l'appréciation humaine de la situation – est également troublante : en proposant à la jeune fille et «à elle seule» de rentrer en France pour poursuivre sa scolarité, nous sommes en contradiction avec le droit international, avec la convention internationale des droits de l'enfant.

Non seulement la droite et l'électorat conservateur, qui n'auraient en tous les cas jamais soutenu la décision gouvernementale, accusent désormais le Président de laxisme, mais surtout une large partie des militants et des électeurs socialistes ont mal à leurs valeurs humanistes.

Mais au-delà de la légitime émotion que l’expulsion de cette famille, alors que sa volonté d’intégration se traduisait clairement par la scolarisation assidue des quatre enfants, suscite, il est temps d’interroger notre politique en matière d’immigration irrégulière.

Le cas de la famille de Leonarda n'est que la partie émergée de centaines d'expulsion de famille de sans papier, dont les enfants sont le plus souvent scolarisés dans les écoles de la République.

Ce n’est pas seulement l’application des textes qu’il faut discuter, mais aussi les textes eux-mêmes. C’est aussi l’état du droit en matière d’immigration que cette triste affaire révèle. Le parlement devait légiférer, mais les délais ont été repoussés.

Pendant cinq ans, les socialistes ont, aux côtés des associations, milité pour un assouplissement des critères de régularisation des sans papiers et l’abandon d’une politique du chiffre. L’abrogation du délit de solidarité, celle de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers ou encore la circulaire d'août 2012 sur les campements nomades illicites (qui s'adresse essentiellement aux populations Rroms) ont incontestablement marqué une rupture avec le sarkozysme. Mais ces mesures sont peu ou mal appliquées.

Pour l’essentiel, la politique de l’immigration menée aujourd’hui est malheureusement comparable à celle de la période précédente, car notre législation continue à « fabriquer des sans papiers » et des familles ni régularisables, ni expulsables. Un des problèmes provient de ce que l'immigration relève de la compétence du ministère de l’intérieur. Penser l’immigration au seul titre de la sécurité est en soi un non sens. Ce n’est pas au ministère de l’intérieur de définir une politique migratoire. Quand tout est entre les mains du ministère de l’intérieur, cela donne une vision presque policière de l’immigration.

Aujourd’hui, il faut aller plus loin.

lampedusa1.jpgCar «l'affaire Leonarda» ne peut pas masquer le drame récent de Lampedusa, qui a rappelé après bien d'autres naufrages, que la mer méditerranée était en train de devenir un cimetière marin pour des milliers d'immigrants originaires du Moyen Orient et d'Afrique. La réponse de l'Union Européenne, en cette circonstance, n'a pas été à la mesure du défi : en proposant uniquement d'augmenter les crédits de l'agence Frontex, dont le rôle est de surveiller les frontières extérieures de l'UE, les Européens démontrent qu'ils ne cherchent qu'à repousser au loin ces migrants, quelle que soit leur situation sanitaire ou humanitaire, condamnant des dizaines de milliers d'entre eux à la misère et parfois à la mort.

naufrage-de-lampedusa.JPGSoyons clair : il n'est pas possible de dresser sur la Méditerranée un "mur" comme les Américains ont échoué à en dresser un sur le Rio Grande. Il n'est pas possible de décréter la fin des flux migratoires au regard de la détresse économique, politique, humanitaire et sanitaire des populations concernées. Cette question ne peut donc pas se régler par les seules réponses policières. Personne ne peut penser qu’à l’inverse, ce sujet sera réglé sans frontières et sans entraves. La question du développement avec le soutien des Européens des pays au sud de la Méditerranée est une donnée essentielle du problème : mais ne nous y trompons pas, le rythme et la qualité de ce développement ne suffiront pas à stopper ces flux migratoires. À nous de définir comment on régule la mobilité légitime des personnes et comment nous nous donnons collectivement, Français et Européens, les moyens d'accueillir dignement ces migrants.

Dans ce cadre, il faut d’abord définir notre projet européen. On ne peut plus continuer à organiser la concurrence entre nous, à nous exclure les uns les autres, selon l’origine ou le degré de pauvreté. Pourtant, on continue avec une logique européenne qui nous impose de nous faire du mal.

Le Parti Socialiste, ses parlementaires et notre gouvernement doivent retrouver la boussole qui semble leur faire défaut aujourd'hui et qui doit nous conduire collectivement à réformer en profondeur notre politique migratoire. Cette boussole n'est pourtant pas loin : elle a été réactualisée en conformité avec les valeurs émancipatrices et humanistes de la gauche lors des conventions que le PS a organisées en 2010 et 2011, validée lors de l'adoption du projet socialiste en juin 2011.

Il est temps d’agir.

Frédéric FARAVEL

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